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17/11/2017

il n'y a d'autre moyen d'obtenir la tolérance, que d'inspirer beaucoup d'indifférence pour les préjugés, en montrant pourtant pour ces préjugés même un respect qu'ils ne méritent pas

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"Il est plus difficile de briser un préjugé qu'un atome" : Albert Einstein dixit .

"Plus difficile, mais pas impossible ! : James (décidément optimiste ) dixit .

 

 

« A monsieur le ministre Paul-Claude Moultou

à Genève

Ferney 5è janvier 1763 1

J'ai lu avec attention, monsieur, une grande partie de L’Accord parfait 2. C'est un livre où je dirais qu'il y a de fort bonnes choses, si je ne m'étais pas rencontré avec lui, dans quelques endroits où il parle de la tolérance . Il y a , ce me semble, un grand défaut dans ce livre, et qui peut nuire beaucoup à votre cause ; c'est qu'il dit continuellement que les catholiques ont toujours eu tort , et les protestants toujours raison ; que tous les chefs des catholiques étaient des monstres, et les chefs des protestants des saints . Il va même jusqu'à mettre Spiphame, évêque de Nevers 3, au rang de vos apôtres irréprochables . C'est trop donner d'armes contre soi-même ; il est permis d'injurier le genre humain, parce que personne ne prend les injures pour lui ; mais quand on attaque violemment une secte en demandant grâce, on obtient la haine, et point de grâce .

Je vous répète qu'il est infiniment à désirer qu'un homme comme vous veuille écrire . Vous seriez lu, et L'Accord parfait ne le sera point ; il est beaucoup trop long et trop déclamateur, comme tous les livres de cette espèce ; il faut être très court, et un peu salé, sans quoi les ministres et Mme de Pompadour, les commis et les femmes de chambre, font des papillotes du livre .

Sous un autre gouvernement, je n'aurais pas osé hasarder quelques petites notes, dont il est très aisé de tirer d'étranges conséquences ; mais je connais assez ceux qui gouvernent, pour être sûr que ces conséquences ne leur déplairont pas . Je pense même qu'il n'y a d'autre moyen d'obtenir la tolérance, que d'inspirer beaucoup d'indifférence pour les préjugés, en montrant pourtant pour ces préjugés même un respect qu'ils ne méritent pas .

Je pense enfin , que l'aventure des Calas peut servir à relâcher beaucoup les chaînes de vos frères qui prient Dieu en fort mauvais vers . Je suis convaincu, que si d'ailleurs on a quelque protection à la cour, on verra clairement que des ignorants qui portent une étole, ne gagnent rien à faire pendre des savants à manteau noir, et que c'est le comble de l'absurdité comme de l'horreur .

Plus je relis les Actes des martyrs, pus je les trouve semblables aux Mille et une nuits, et je suis tenté de croire qu'il n'y a jamais eu que les chrétiens qui aient été persécuteurs, pour la seule cause de la religion .

Je vous supplie , monsieur, de vouloir bien envoyer chez MM. Souchay et Lefort le commentaire de Bayle sur le Contrains-les d'entrer 4, et la lettre de l'évêque d'Agen 5, par laquelle cet animal veut contraindre d'entrer .

J'ai encore une autre grâce à vous demander, comme à un docteur hébraïque, qui est pourtant un Français très aimable, c'est de vouloir bien m'écrire en caractères chrétiens, ces mots de la Vulgate, tibi jure debentur 6. C'est à l'occasion du dieu Chamos 7, vous savez ce que c'est ; il ne sera pas mal de mettre cet hébreu en marge, pour effrayer les ignorants qui prétendraient que ce passage est un argument ad hominem 8, et qu'il ne veut dire autre chose, sinon, vous pensez vous autres chamichiens que vous possédez de droit ce que Chamos vous a donné . Mais le jure debentur est formel, et un petit mot d'hébreu sera sans réplique .

On m'a mandé de Toulouse, qu'un jeune homme qui allait prier tous les jours à Saint-Étienne sur le tombeau du saint martyr Marc-Antoine Calas 9, est devenu fou, pour n'avoir pas obtenu de lui le miracle qu'il lui demandait, et ce miracle c’était de l'argent .

On ne peut rien ajouter, monsieur, ni à ma compassion pour les fanatiques, ni à ma sincère estime pour vous . »

1 L'édition Gaberel est limitée à des extraits, datée correctement ; l’édition Taillandier de même . Les Lettres inédites suppriment le 5è et le 7è paragraphe, suivie des autres éditions et toutes celles-ci datent à tort du 8 .

3 L'auteur de L'Accord parfait a mis en effet Jacques-Paul Spiphame, évêque de Nevers, au rang des hommes de bien convertis au protestantisme en oubliant que Spiphame avait été décapité en 1566 sur l'ordre du Conseil de Genève pour « immoralité » .

4 C'est le fameux Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ : Contrains-les d'entrer, de Pierre Bayle, 1686-1688 .

5 Lettres de M. l'évêque d'Agen à monsieur le contrôleur général, contre la tolérance des huguenots dans le royaume, 1et mai 1751, de Joseph-Gaspard-Gilbert de Chabannes .

6 Il te sont dus à bon droit .

7 Juges , XI, 24 .

8 Personnel .

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