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25/10/2019

aujourd’hui les meilleurs écrivains ne pourraient dire que ce qu’on sait. Le dégoût est venu de l’abondance

... Le dégoût de la lecture atteindra-t-il un jour le dégoût que montrent les jeunes ( et souvent leurs parents ) pour toute nourriture autre que les sacro-saintes chips et les divins hamburgers inondés de coca ? J'en ai peur parfois, et les petit(e)s gros(ses) brayant "j'aime pas ça !" à tort et à travers, ne savent pas de quoi ils se privent, et ne sachant pas distinguer une carotte d'un navet, ne sauront pas plus  distinguer Voltaire de Bernard-Henri Lévy .

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Dis-moi ce que tu n'aimes pas et je te dirai ce qui te restes à apprendre

 

 

« A Michel-Paul-Guy de Chabanon

Au château de Ferney, 2 septembre [1764] 1

Je vous dois, monsieur, de l’estime et de la reconnaissance, et je m’acquitte de ces deux tributs en vous remerciant avec autant de sensibilité que je vous lis avec plaisir 2. Vous pensez en philosophe, et vous faites des vers en vrai poète. Ce n’est pas la philosophie à qui on doit attribuer la décadence des beaux-arts. C’est du temps de Neuton qu’ont fleuri les meilleurs poètes anglais ; Corneille était contemporain de Descartes, et Molière était l’élève de Gassendi. Notre décadence vient peut-être de ce que les orateurs et les poètes du siècle de Louis XIV nous ont dit ce que nous ne savions pas, et qu’aujourd’hui les meilleurs écrivains ne pourraient dire que ce qu’on sait. Le dégoût est venu de l’abondance. Vous avez parfaitement saisi le mérite d’Homère ; mais vous sentez bien, monsieur, qu'on ne doit pas plus écrire aujourd'hui dans son goût qu’on ne doit combattre à la manière d’Achille et de Sarpédon. Racine était un homme adroit ; il louait beaucoup Euripide, l’imitait un peu (il en a pris tout au plus une douzaine de vers), et il le surpassait infiniment. C’est qu’il a su se plier au goût, au génie de la nation un peu ingrate pour laquelle il travaillait . C’est la  seule façon de réussir dans tous les arts. Je veux croire qu’Orphée était un grand musicien : mais s’il revenait parmi nous pour faire un opéra, je lui conseillerais d’aller à l’école de Rameau.

Je sais bien qu’aujourd’hui les Welches n’ont que leur opéra-comique ; mais je suis persuadé que des génies tels que vous peuvent leur ramener le siècle de Louis XIV ; c’est à vous de rallumer le reste du feu sacré qui n’est pas encore tout à fait éteint. Je ne suis plus qu’un vieux soldat retiré dans sa chaumière. Je souhaite passionnément que vous combattiez contre le mauvais goût avec plus de succès que nous n’avons résisté à nos autres ennemis 3. C’est avec ces sentiments très sincères que j’ai l’honneur d’être, monsieur,

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire. »



1 Le manuscrit autographe est passé à la vente Liepmanssohn en 1920 ; l'édition de Kehl place la lettre en 1766 . la rectification de date fut faite par Beuchot .

2 Chabanon a envoyé à Voltaire son opuscule : Sur le sort de la poésie en ce siècle philosophe, 1764, , avec une dissertation sur Homère considéré comme poète tragique, et une tragédie en un acte intitulée Priam au camp d’Achille.

Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k108144k/f1.image

et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Paul_Guy_de_Chabanon

3 Entendu les Anglais et Prussiens lors de la Guerre de Sept ans .

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