13/01/2020
presque toutes les brochures de nos jours ressemblent à cette foule innombrable de moucherons qui meurent après avoir bourdonné un jour ou deux, pour faire place à d'autres qui ont la même destinée
... C'est évidemment multiplié par des milliards de nos jours . Innombrables nouvelles sans intérêt . Auto- admiration filmée jusqu'à l'écoeurement . Gaspillage de temps . Gaspillage d'énergie . Influenceurs/petits-maîtres pour moutons de Panurge vendeurs d'idioties , chefs d'Etats arrogants et vains, tous à mettre dans le même panier des déchets ultimes, inutilisables .
« A Pierre Rousseau Directeur du « Journal
encyclopédique »
à Bouillon
Aux Délices près de Genève
19è novembre 1764 1
Il est vrai, monsieur, comme vous le dites dans votre lettre du 4 courant, qu'on débite toujours quelque chose sous mon nom, comme on donne quelquefois du vin cru pour des vins étrangers . Ceux qui font ce négoce se trompent encore plus qu'ils ne trompent le public . Mon vin a toujours été fort médiocre, et ceux qui débitent le leur sous mon nom, ne feront pas fortune .
J'apprends que pour surcroit, on vient d'imprimer en Hollande mes Lettres secrètes . Je crois qu'en effet ce recueil sera très secret, et que le public n'en saura rien du tout . Il me semble que c'est à la fois offenser le public, et violer tous les droits de la société, que de publier les lettres d'un homme de son vivant, sans son consentement ; mais lui imputer des lettres qu'il n'a point écrit 2, c'est le métier d'un faussaire . Ce recueil n'est point parvenu dans ma retraite ; on m'assure qu'il est fort mauvais, et j'en suis très aise .
Je présume , au reste, que dans ces lettres familières qu'on débite sous mon nom, il n'y en aura aucune qui commence comme celles de Cicéron , si vous vous portez bien, j'en suis bien aise, pour moi je me porte bien. Ce serait là trop clairement un mensonge imprimé .
Je conçois qu'on imprime les lettres de Henri IV, du cardinal d'Ossar, de Mme de Sévigné . Racine le fils a même donné au public quelques lettres de son illustre père, dont on pardonne l'inutilité en faveur de son grand nom, mais il n'est permis d'imprimer les lettres des hommes obscurs que quand elles sont aussi plaisantes que celles que vous connaissez sous le titre de Litterae obscurorum virorum 3. Ne voilà-t-il pas un beau régal à faire au public que de lui présenter les prétendues lettres très inutiles et très insipides écrites par un homme retiré du monde à des gens que ce monde ne connait point du tout ? Il faut être aussi malavisé pour imprimer de telles fadaises, que frivole pour les lire . Aussi toutes ces paperasses tombent-elles au bout de quinze jours dans un éternel oubli ; et presque toutes les brochures de nos jours ressemblent à cette foule innombrable de moucherons qui meurent après avoir bourdonné un jour ou deux, pour faire place à d'autres qui ont la même destinée .
La plupart de nos occupations ne valent guère mieux, et ce n'était pas un sot que celui qui a dit le premier que tout était vanité, excepté la jouissance paisible de soi-même .
La substance de tout ce que je vous dis, monsieur, mériterait une place dans votre journal, si elle était ornée par votre plume .
J'ai l'honneur d'être avec les sentiments que vous me connaissez, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
V. »
1 Lettre parue dans le Journal encyclopédique le 1er décembre 1764.
2 Sic.
3 Sur cet ouvrage, voir la lettre du 22 janvier 1760 à Elie Bertrand : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/01/26/je-vais-selon-le-temps-et-ce-n-est-pas-assurement-le-temps-d-5544497.html
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