04/03/2020
Le meilleur parti qu’on puisse prendre avec les hommes, c’est d’être loin d’eux
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« A Jacques-François-Paul Aldonce de Sade
26 décembre 1764 au château de Ferney
Vous avez écrit à un aveugle, monsieur, et j’espère que je ne serai que borgne quand j’aurai l’honneur de vous revoir. Soyez sûr que je vous verrai de très bon œil, s’il m’en reste un. Les neiges du mont Jura et des Alpes m’ont donné d’abominables fluxions, que votre présence guérira. Mais serez-vous en effet assez bon pour venir habiter une petite cellule dans mon petit couvent ? Il me semble que Dieu a daigné me pétrir d’un petit morceau de la pâte dont il vous a façonné. Nous aimons tous deux la campagne et les lettres : embarquez-vous sur notre fleuve , je vous recevrai à la descente du bateau, et je dirai benedictus qui venit in nomine Apollinis 1.
Je n’ai point encore entendu parler de votre second tome 2 ; mais quand il viendra, je ne saurai comment faire pour le lire. Il y a trois mois que je suis obligé de me servir des yeux d’autrui. Jugez s’il y a quelque apparence au beau conte qu’on vous a fait que j’avais mis quelque observation dans la Gazette littéraire. Je ne lis depuis longtemps aucune gazette, pas même l’ecclésiastique.
Il est juste que vous ayez beaucoup de jésuites dans Avignon . D’Assoucy 3 et eux se sont sauvés en terre papale, les parlements ont fait du mal à l’ordre, mais du bien aux particuliers . Ils ne sont heureux que depuis qu’ils sont chassés. Mon jésuite Adam était mal couché, mal vêtu, mal nourri ; il n’avait pas un sou, et toute sa perspective était la vie éternelle. Il a chez moi une vie temporelle qui vaut un peu mieux. Peut-être que dans un an il n’y aura pas un seul de ces pauvres gens qui voulût retourner dans leurs collèges s’ils étaient ouverts. Du reste, nous ignorons, Dieu merci, tout ce qui se passe dans le monde, et nous nous trouvons fort bien de notre ignorance. Le meilleur parti qu’on puisse prendre avec les hommes, c’est d’être loin d’eux, pourvu qu’on soit avec un homme comme vous. Mon indifférence pour le genre humain augmentera quand je jouirai du bonheur que vous me faites espérer. Je prends la liberté d’embrasser de tout mon cœur le parent de Laure et l’historien de Pétrarque, qui est de meilleure compagnie que son héros.
V. »
1 Béni celui qui vient au nom d'Apollon ; d'après les Psaumes, CXVII, 26 et l’Évangile selon Luc, XIII, 35 : voir https://www.aelf.org/bible/Ps/117
2 De l'ouvrage décrit à propos de la lettre du 12 février 1764 à Sade : Mémoires pour la vie de François Pétrarque ; http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/02/22/je-me-suis-donne-une-nombreuse-famille-que-la-nature-m-avait-refusee-et-je.html
3 D'Assoucy, cité par V* dans sa lettre du 17 novembre 1750 à Mme Denis ( page 65, https://books.google.fr/books?id=dBNEAAAAYAAJ&pg=PA65&lpg=PA65&dq=d%27Assoucy+voltaire&source=bl&ots=RbuA2VEc3c&sig=ACfU3U10YAumLMly1kbYEtj26jOUKFxBOA&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjrw8TX3P7nAhUN2BoKHSKBCrgQ6AEwBXoECAYQAQ#v=onepage&q=d'Assoucy%20voltaire&f=false ) , raconte dans ses Aventures burlesques ses pérégrinations dans le midi de la France, l'accueil qu'il reçut à Pézenas du « généreux M. de Guillerargues », et la prudente retraite en terre papale, pour des comportements réprouvés à l'époque. Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Coypeau_d%27Assoucy
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