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24/09/2020

je dois rester dans ce trou ou aller dans un autre, parce que tous les trous sont égaux pour un homme qui pense. Celui qu’on habite pour quelques minutes est si voisin de celui qu’on habitera pour toujours, que ce n’est pas la peine de se gêner

... N'y voyez aucune allusion grivoise, bande de malotrous ! Pensez sans vous méprendre !

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

27 mai 1765 1

Il y a au fond de la Suisse, mes chers anges, des eaux assez bonnes pour les vieillards cacochymes qui ont besoin de mettre du baume et de la tranquillité dans leur sang. Je crois que je vais prendre ces eaux 2, et que je pars incessamment pour avoir de ce baume : car il faut mourir à son aise. Il me semble que c’est une ordonnance du médecin que je suppose être dans la demi-feuille dont Mme de Florian m’a parlé ; il n’y a qu’une chose dont je suis un peu en doute, c’est si cette demi-feuille ou demi-page parle de maladies mortelles. Vous sentez combien il est triste que les consultations d’un pauvre malade soient exposées aux regards de ceux qui ne sont pas de la Faculté, et qu’il est très-bon de changer d’air. Je soupçonne qu’on a joué le même tour à frère Damilaville, qui a grand mal à la gorge, et qui a besoin de régime. Je lui conseille, pour son mal, de prendre, comme moi, de la racine de patience .

Je me trompe peut-être, mais j’imagine qu’on peut, avec quelque sûreté, écrire pour ses affaires sous l’enveloppe de M. de Chauvelin l’intendant, en faisant partir le paquet de Lyon, le dessus écrit d’une main étrangère, et la lettre cachetée d’une tête 3.

Je présume encore que vous pouvez avoir la bonté de m’écrire à Lyon, sous le couvert de M. Camp, banquier, contre-signé Chauvelin. Je ne crois pas non plus compromettre l’intérêt que vous voulez bien prendre à ma situation violente, en insérant ici un petit mot pour frère Damila 4, que je vous supplie de lui faire rendre. Je dois un petit mot à Lekain . Agréez-vous que je le mette aussi dans ce paquet ?5

Dès qu’il partira quelqu’un pour Paris, je ne manquerai pas de le charger de quelques Bazin de Hollande arrivés depuis peu. Je ne sais plus comment le monde est fait. L’ouvrage de feu l’abbé me paraît rempli du plus profond respect pour la religion. Les jansénistes sont comme les provinciaux, ils croient toujours qu’on veut se moquer d’eux ; ou plutôt ils ressemblent aux tyrans, qui supposent continuellement des conspirations contre leur pouvoir. Mes chers et divins anges, j’ai défriché un coin de terre sauvage, je l’ai embelli, j’ai rendu ses grossiers habitants assez heureux ; je quitterai tout le fruit de mes peines comme on sort d’une hôtellerie, sitôt que je pourrai vivre dans cet asile sans inquiétude. Mandez-moi, je vous prie, si je dois rester dans ce trou ou aller dans un autre, parce que tous les trous sont égaux pour un homme qui pense. Celui qu’on habite pour quelques minutes est si voisin de celui qu’on habitera pour toujours, que ce n’est pas la peine de se gêner.

Toute ma famille rassemblée baise très-humblement les ailes de mes anges. Le patriarche pourrait bien aller de Sichem en Égypte, quoiqu’il n’ait point de femme à présenter à des pharaons. »

1 A la suite de la copie Beaumarchais on a placé cette lettre au 29, le second chiffre étant peu lisible . Le 27 rendu presque illisible par les surcharges de Wagnière est plus vraisemblable car la lettre est antérieure au voyage à Rolle . V* y était le 28, mais plus le 29 .

2 V* se rendit à Genève le 21 ou le 22 ; de retour à Ferney le 25 et de nouveau à Genève le 27 et le 29 . entretemps il séjourna à Rolle, moins pour prendre les eaux que pour poster quelques lettres .

3 L'un des cachets de V* porte une tête de Socrate .

5 Lettre du même jour à Lekain :

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