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15/08/2015

Je ne sais si vous m'avez rendu encore meilleur Français que je n'étais

... A la réflexion : si,  mon cher Voltaire . Et je pense que je ne suis pas le seul .

 

Mis en ligne le 16/11/2020 pour le 15/8/2015

 

 

« A César-Gabriel de Choiseul, comte de Choiseul

A Ferney , par Genève

15 août 1760

Pangloss avait assurément grand tort avec son Tout est bien . Votre Excellence doit penser au moins comme Martin après notre désastre, et il faut avoir la patience de Socrate pour voir de sang froid tout ce qui arrive . Cette fausse aventure n'ôtera rien à la considération personnelle que vous avez dans la cour où vous êtes, mais elle vous sera aussi sensible qu'elle est cruelle . Je ne sais si vous m'avez rendu encore meilleur Français que je n'étais, et si vos bontés et celles de M. le duc de Choiseul ont échauffé mon patriotisme au milieu des Alpes, mais la défaite de notre armée me pénètre de douleur . Si les Russes sont battus par le roi de Prusse, je fais jeter dans le feu toute l'Histoire de Pierre le Grand .

Vous voici dans un moment de crise bien violent ; peut-être a-t-on donné une bataille vers l'Oder . Si le roi de Prusse la gagne, je connais des gens qui diront :

Dieux, qui le connaissez,

Est-ce donc sa vertu que vous récompensez ?1

Et s'il la perd, j'assure Votre Excellence qu'une certaine nièce, très sensible à l'honneur de votre souvenir, se consolera, et moi peut-être aussi . Je vous soupçonne fort de savoir certaines choses très étranges et uniques dans leur espèce qui seront de bonnes anecdotes pour la postérité . Pourquoi suis-je vieux, malingre et suisse ? Il me semble que j'irais passer huit jours dans un faubourg de Vienne pour vous faire ma cour . J'espère au moins avoir l'honneur de vous envoyer un des premiers exemplaires de l'Histoire de Pierre le Grand pour vous délasser pendant quelques heures de vos importantes et épineuses occupations . J'ai bien peur qu'elles ne prennent sur votre santé . On m'a parlé d'un mal au pied, d'un érésypèle .

Ah ! Monsieur, les affaires du monde entier, les honneurs, ne valent pas la santé . Conservez la vôtre pour jouir de tout le reste . Je fais mille vœux pour votre bonheur du fond de ma douce retraite, et je vis pénétré de la plus respectueuse et de la plus tendre reconnaissance pour toutes vos bontés .

La Marmotte des Alpes

V. »

 

1D'après Racine , Phèdre, II, sc. 6 .

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