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15/08/2015

Si jamais il se trouve quelque athée dans le monde (ce que je ne crois pas ) , votre livre confondra l'horrible absurdité de cet homme

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« A Stanislas Leszczynski, roi de Pologne

Du 15è août 1760 1

Sire,

Je n'ai jamais que des grâces à rendre à Votre Majesté . Je ne vous ai connu que par vos bienfaits, qui vous ont mérité votre beau titre 2. vous instruisez le monde, vous l'embellissez, vous le soulagez, vous donnez des préceptes et des exemples . J'ai tâché de profiter de loin des uns et des autres, autant que j'ai pu . Il faut que chacun dans sa chaumière fasse, à proportion, autant de bien que Votre Majesté en fait dans ses États . Elle a bâti de belles églises royales, j'édifie des églises de village ; Diogène remuait son tonneau quand les Athéniens construisaient des flottes ; si vous soulagez mille malheureux, il faut que nous autres petits nous en soulagions dix ; le devoir des princes et des particuliers est de faire chacun dans son État, tout le bien qu'il peut faire .

Le dernier livre de Votre Majesté que le cher frère Menoux m'a envoyé de votre part 3, est un nouveau service que Votre Majesté rend au genre humain . Si jamais il se trouve quelque athée dans le monde (ce que je ne crois pas ) , votre livre confondra l'horrible absurdité de cet homme . Les philosophes de ce siècle ont heureusement prévenu les soins de Votre Majesté, elle bénit Dieu, sans doute, de ce que depuis Descartes et Newton, il ne s'est pas trouvé un seul athée en Europe . Votre Majesté réfute admirablement ceux qui croyaient autrefois que le hasard pouvait avoir contribué à la formation de ce monde : Votre majesté voit sans doute avec un plaisir extrême, qu'il n'y a aucun philosophe de nos jours qui ne regarde le hasard comme un mot vide de sens . Plus la physique a fait de progrès, plus nous avons trouvé partout la main du Tout-Puissant .

Il n'y a point d'hommes plus pénétrés de respect pour la vérité, que les philosophes de nos jour ; la philosophie ne s'en tient pas à une adoration stérile , elle influe sur les mœurs ; il n'y a point en France de meilleurs citoyens que les philosophes, ils aiment l’État et le monarque, ils sont soumis aux lois, ils donnent l'exemple de l'attachement et de l'obéissance ; ils condamnent et ils couvrent d'opprobre, ces factions pédantesques et furieuses, également ennemies de l'autorité royale et du repos des sujets . Il n'est aucun d'eux qui ne contribuât avec joie à la moitié de son revenu au soutien du royaume . Continuez, Sire , à les seconder de votre autorité et de votre éloquence, continuez à faire voir au monde, que les hommes ne peuvent être heureux que quand les philosophes sont rois , et quand ils ont beaucoup de sujets philosophes ; encouragez de votre voix puissante la voix des citoyens qui n’enseignent dans leurs écrits et dans leurs discours, que l'amour de Dieu ; confondes ces hommes insensés, livrés à la faction, qui commencent par accuser d'athéisme quiconque n'est pas de leur avis sur des choses indifférentes .

Le docteur Lange 4, dit que tous les jésuites sont athées parce qu'ils ne trouvent point la cour de Pékin idolâtre . Le frère Hardouin 5, jésuite, dit que les Pascal, les Arnaud, les Nicole, sont athées parce qu'ils n'étaient pas molinistes ; frère Berthier soupçonne d’athéisme l'auteur de l'Histoire générale, parce que l'auteur de cette histoire ne convient pas que les nestoriens conduits par des nuées bleues, soient venus du pays de Tacin dans le septième siècle, faire bâtir des églises nestoriennes 6 à la Chine. Frère Berthier devrait savoir que des nuées bleues ne conduisent personne à Pékin, et qu'il ne faut pas mêler des contes bleus à nos vérités sacrées . Un Breton ayant fait, il y a quelques années, des recherches sur la ville de Paris, l’abbé Trublet et consorts, l'ont accusé d'irréligion au sujet de la rue Tireboudin, et de la rue Trousse-Vache ; et le Breton a été obligé de faire assigner ses accusateurs au Châtelet de Paris 7.

Les rois méprisent toutes ces petites querelles, ils font le bien général, pendant que leurs sujets animés les uns contre les autres font les maux particuliers . Un grand roi tel que vous Sire, n'est ni janséniste, ni moliniste, il n'est d'aucune faction ; il ne prend parti, ni pour, ni contre un dictionnaire ; il rend la raison respectable, et toutes les factions ridicules . Il rend les jésuites utiles en Lorraine quand ils sont chassés du Portugal ; il donne douze mille livres de rente, une belle maison, et une bonne cave à notre cher frère Menoux, afin qu'il fasse du bien ; il sait que la vertu et la religion consistent dans les bonnes œuvres, et non pas dans les disputes ; il se fait bénir, et les calomniateurs se font détester .

Je me souviendrai toujours, Sire, avec la plus tendre et la plus respectueuses reconnaissance, des jours heureux que j'ai passés dans votre palais ; je me souviendrai que vous daigniez faire le charme de la société, comme vous faisiez la félicité de vos peuples, et que si c'était un bonheur de dépendre de vous, c'en était un plus grand de vous approcher .

Je souhaite à Votre Majesté, que votre vie utile au monde, s'étende au-delà des bornes ordinaires . Aureng-Zeb et Muley-Ismaël , ont vécu l'un et l'autre plus de cinq cents ans 8. Si Dieu accorde de si longs jours à des princes infidèles, que ne fera-t-il point pour Stanislas le bienfaisant !

Je suis avec un profond respect . »

1 Copie corrigée de la main de V* .

2 Voir les derniers mots de la présente lettre .

4 Lorenz Lange : Journal de la résidence du sieur Lange [...] à la cour de la Chine, dans les années 1721 et 1722, 1726 ; V* ne cite pas, mais résume la pensée de l'auteur .

5 Le père Jean Hardouin qui écrivit dans la première moitié du XVIIIè siècle .

6 Voir Essai sur les mœurs, chap. XI .

 

 

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