12/05/2021
« La tolérance est établie chez nous ; elle fait loi de l’État, et il est défendu de persécuter. »
... Devinez où , et quand, et quel chef d'Etat dit cela ?
-- Russie .
-- 1765
-- Catherine II .
Qu'en pense le dictateur Poutine ( exhibitionniste ridicule, qui en cela arrive à battre le Donald Trump de triste mémoire ) "le plus orgueilleux" et "le plus malhonnête homme" qui soit ? J'ajouterai : le plus dangereux .
Pitoyable !
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
24è janvier 1766 1
Je vous avoue, mon divin ange, et à vous aussi, ma divine ange, que je trouve vos raisons pour ne pas venir à Genève extrêmement mauvaises. Je penserai toujours qu’un conseiller d’honneur du parlement de Paris peut très bien figurer avec un grand trésorier du pays de Vaud ; je penserai qu’un ministre plénipotentiaire d’un petit-fils du roi de France est fort au-dessus de tous les plénipotentiaires de Zurich et de Berne ; je penserai que l’incompatibilité du ministère de Parme avec celui de France est nulle, et qu’on a donné des lettres de compatibilité 2 en mille occasions moins importantes. Enfin, je croirai toujours que ce voyage ne serait pas inutile auprès de Mme de Grosley ; mais vous ne voulez point venir, il ne me reste que de vous aimer en gémissant.
On me mande de Paris que, le jour de Sainte-Geneviève 3, jour auquel sa chapelle autrefois ne désemplissait pas, il ne se trouva personne qui daignât lui rendre visite, et que celle qui donne la pluie et le beau temps gela de froid le jour de sa fête. Je ne me souviens plus si je vous ai mandé que M. Dupuits, et mon jésuite, qui nous dit la messe, s’en allèrent malheureusement à Genève donner des copies de cette guenille : on l’imprima sur-le-champ, le tout sans que j’en susse rien. On l’a imprimée à Paris. Fréron dira que je suis un impie et un mauvais poète . Les honnêtes gens diront que je suis un bon citoyen.
Vous souvenez-vous d’un certain mandement d’un archevêque de Novogorod contre la chimère aussi dangereuse qu’absurde des deux puissances ? L’auteur ne croyait pas si bien dire. Il se trouve en effet que non-seulement cet archevêque, à la tête du synode grec, a réprouvé ce système des deux puissances, mais encore qu’il a destitué l’évêque de Rostou, qui osait le soutenir. L’impératrice de Russie m’a écrit huit grandes pages de sa main, pour me détailler toute cette aventure. J’ai été prophète sans le savoir, comme l’étaient tous les anciens prophètes. Voici d’ailleurs deux lignes bien remarquables de sa lettre 4 : « La tolérance est établie chez nous ; elle fait loi de l’État, et il est défendu de persécuter. »
Pourquoi faut-il que ma Catherine ne règne pas dans des climats plus doux, et que la vérité et la raison nous viennent de la mer glaciale ! Il me semble que, dans mon dépit de ne vous point voir arriver à Genève, je m’en irais à Kiovie finir mes jours, si Catherine y était ; mais malheureusement je ne peux sortir de chez moi ; il y a deux ans que je n’ai fait le voyage de Genève.
Vous me demandez qui sera mon médecin quand je n’aurai plus le grand Tronchin ; je vous répondrai : personne, ou le premier venu ; cela est absolument égal à mon âge ; mon mal n’est que la faiblesse avec laquelle je suis né, et que les ans ont augmentée ; Esculape ne guérirait pas ce mal-là . Il faut savoir se résigner aux ordres de la nature.
Rousseau est un grand fou, et un bien méchant fou, d’avoir voulu faire accroire que j’avais assez de crédit pour le persécuter, et que j’avais abusé de ce prétendu crédit. Il s’est imaginé que je devais lui faire du mal, parce qu’il avait voulu m’en faire, et peut-être parce qu’il lui était revenu que je trouvais son Héloïse pitoyable, son Contrat social très insocial, et que je n’estimais que son Vicaire savoyard dans son Émile ; il n’en faut pas d’avantage dans un auteur pour être attaqué d’un violent accès de rage. Le singulier de toute cette affaire-ci, c’est que les petits troubles de Genève n’ont commencé que par l’opinion inspirée par Jean-Jacques au peuple de Genève que j’avais engagé le conseil de Genève à donner un décret de prise de corps contre Jean-Jacques, et que la résolution en avait été prise chez moi, aux Délices. Parlez, je vous prie, de cette extravagance à Tronchin, il vous mettra au fait ; il vous fera voir que Rousseau est non-seulement le plus orgueilleux de tous les écrivains médiocres, mais qu’il est le plus malhonnête homme.
J’ai été tenté quelquefois d’écrire au conseil de Genève pour démentir solennellement toutes ces horreurs, et peut-être je succomberai à cette tentation 5; mais j’aime bien mieux la déclaration que me donnèrent, il y a quelque temps, les syndics de la noblesse et du tiers état de notre province, les curés et les prêtres de mes terres, lorsqu’ils surent qu’il y avait, je ne sais où, des gens assez malins pour m’accuser de n’être pas bon chrétien. Je conserve précieusement cette pièce authentique, et je m’en servirai, si jamais la tolérance n’est pas établie en France comme en Russie.
J'espère que ma petite famille verra M. de Chabanon avec plus de plaisir que Virginie . On a dit qu'il a beaucoup de talents agréables et des mœurs charmantes ; il a une sœur fort aimable, qui voulait acheter une terre dans mon voisinage.
Adieu, anges cruels, qui ne voulez voir ni les Alpes ni le mont Jura ; je ne m’en mets pas moins à l’ombre de vos ailes.
Je vous supplie d’avoir la bonté de me mander si cette dame Belot que M. de Meynières vient d’épouser, est la dame Belot traductrice de Hume, et qui voulait venir à Ferney .
V.»
1 L'édition de Kehl, suivant la copie Beaumarchais et suivie des éditions omet le dernier paragraphe ainsi que celui qui commence par « J'espère … voisinage. »
2 Littré ne donne pas d'exemple de ce mot, qui existe pourtant dans le langage juridique dès le XVIIè siècle .
3 Le 3 janvier .
4 V* se montre un peu trop optimiste . Voir la lettre , qui occupe deux folios, donc quatre pages dans l'original conservé à Moscou : «De Catherine II, impératrice de Russie II,
« À Pétersbourg, ce 28 novembre 1765 [9 décembre nouveau style].
« Monsieur, ma tête est aussi dure que mon nom est peu harmonieux ; je répondrai par de la mauvaise prose à vos jolis vers . Je n’en ai jamais fait, mais je n’en admire pas moins pour cela les vôtres. Ils m’ont si bien gâtée, que je ne puis presque plus en souffrir d’autres. Je me renferme dans ma grande ruche ; on ne saurait faire différents métiers à la fois. Le mien prend beaucoup de temps , et je trouve ma tête, malgré ce que vous me dîtes de mon bau nom , si peu docile, si peu flexible, que le nom de Catherine m'est très justement donné . Il harmonie avec l'harmonie de mon génie . C'est feu l'impératrice Élisabeth à laquelle je dois beaucoup qui m'appela ainsi par tendresse et par respect pour sa mère .
Jamais je n’aurais cru que l’achat d’une bibliothèque m’attirerait tant de compliments : tout le monde m’en fait sur celle de M. Diderot. Mais avouez, vous à qui l’humanité en doit pour le soutien que vous avez donné à l’innocence et à la vertu dans la personne des Calas, qu’il aurait été cruel et injuste de séparer un savant d’avec ses livres, et empêchez je vous prie M. d'Alembert d'être aussi sensible au refus de la pension qui lui est due . C'est une inconséquence qu'il doit mépriser, il a fait des sacrifices bien au-delà de cette très modique pension . L'effet de ce refus retombe sur ceux qui le persécutent, ils en souffrent plus que lui ..
Dmitri, métropolite de Novogorod, n’est ni persécuteur, ni fanatique. Il n’y a pas un principe dans le Mandement d’Alexis qu’il n’avouerait, ne prêcherait, ne publierait, dès que cela était utile ou nécessaire . Il abhorre la proposition des deux puissances, plus d’une fois il en a donné des exemples que je pourrais vous citer si je ne craignais de vous ennuyer . Je les mettrai sur une feuille séparée, afin de la brûler si vous ne voulez pas la lire.
La tolérance est établie chez nous : elle fait loi de l’État, et il est défendu de persécuter. Nous avons, il est vrai, des fanatiques qui, faute de persécution, se brûlent eux-mêmes ; mais si ceux des autres pays en faisaient autant, il n’y aurait pas grand mal ; le monde n’en serait que plus tranquille, et Calas n’aurait pas été roué. Voilà, monsieur, les sentiments que nous devons au fondateur de cette ville, que nous admirons tous deux.
Je suis bien fâchée que votre santé ne soit pas aussi brillante que votre esprit : celui-ci en donne aux autres. Ne vous plaignez point de votre âge, et vivez les années de Metusalem, dussiez-vous tenir dans le calendrier la place que vous trouvez à propos de me refuser. Comme je ne me crois point en droit d’être chantée, je ne changerai point mon nom contre celui de l’envieuse et jalouse Junon . Je n’ai pas assez de présomption pour prendre celui de Minerve ; je ne veux point du nom de Vénus, il y en a trop sur le compte de cette belle dame. Je ne suis pas Cérès non plus ; la récolte a été très-mauvaise en Russie cette année . Le mien au moins me fait espérer l’intercession de ma patronne là où elle est et à tout prendre, je le crois le meilleur pour moi ; mais en vous assurant de la part que je prends à ce qui vous regarde, je vous en éviterai l’inutile répétition.
Le mandement m'a fait ressouvenir de l'honnête Antoine Vadé et de son discours. » ***
*** En rouge les sections manquantes dans l'édition selon Beuchot . Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire...
5 Ce qu'il fait le jour suivant, voir lettre du 25 janvier 1766 à Pierre Lullin .
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