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08/09/2022

ne se souvenir que du besoin que nous avons de nous soutenir les uns les autres...faudra-t-il que nous soyons la victime de ceux qui ne pensent point, ou qui pensent mal ?

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« A Claude-Joseph Dorat, ancien

Mousquetaire du roi

près de la barrière Vaugirard

à Paris

23è Mars 1767 à Ferney

Je réponds, monsieur, à votre lettre du 17 de mars, et je vous demande en grâce qu’après ce dernier éclaircissement il ne soit plus jamais question entre nous d’une affaire si désagréable.

Tout ce que j’ai mandé à M. le chevalier de Pezay est dans la plus exacte vérité. Il est très vrai que je n’ai jamais montré à personne ni vos lettres, ni vos premiers vers imprimés  1, ni vos seconds manuscrits.

Il est très vrai que madame Denis, ayant appris de Paris l’effet dangereux que pouvait faire l’avis imprimé chez Jory, me demanda, en présence de M. de La Harpe, ce que c’était que cette triste aventure. J’avais la pièce, et je ne la communiquai pas ; je dis que vous aviez tout réparé, que je vous croyais un très bon cœur, que vous m’aviez écrit une lettre pleine de candeur, que vous étiez, de toute façon, au-dessus de la jalousie, qui est le vice des esprits médiocres. Je citai un endroit de votre lettre, très bien écrit, et qui m’avait fait impression. Si M. de La Harpe a fait quelque usage de cette seule confidence, je l’ignore entièrement. Je viens de lui parler ; il m’a dit qu’il était très affligé d’avoir eu sujet de se plaindre de vous. Je vous prie de considérer que c’est un jeune homme qui a autant de talents que peu de fortune. Il a une femme et des enfants. Qui pourra seconder ses talents, sinon des gens de lettres aussi capables d’en juger que vous ? Nous sommes dans un temps où la littérature n’est que trop persécutée ; elle le serait certainement moins, si ceux qui la cultivent étaient unis. Il faut tout oublier, monsieur, et ne se souvenir que du besoin que nous avons de nous soutenir les uns les autres. Nous avons tous la même façon de penser ; faudra-t-il que nous soyons la victime de ceux qui ne pensent point, ou qui pensent mal ?

Ce qui est encore malheureusement très vrai, c’est que, lorsque votre avis parut, lorsqu’on eut la cruauté d’y remarquer l’injustice publique faite par nos ennemis communs à certains ouvrages, j’avais, dans ce temps-là même, une affaire très sérieuse, et la calomnie me poursuivait vivement.

Je ne vous dissimulai pas combien il était dangereux pour moi d’être confondu avec Rousseau, convaincu, aux yeux de M. le duc de Choiseul, et même à ceux du roi des manœuvres les plus criminelles. Je pousserai même la franchise avec vous jusqu’à vous avouer que je venais de recevoir des reproches de M. le duc de Choiseul sur les affaires qui concernaient ce Genevois. Vous voyez que vous aviez fait beaucoup plus de mal que vous ne pensiez en faire.

N’en parlons plus  j’ai tout oublié pour jamais, et je ne suis sensible qu’à votre mérite et à vos politesses. Je veux que M. le chevalier de Pezay en soit le garant. Tout ce que j’oserais exiger d’un homme aussi bien né que vous l’êtes, ce serait de sentir combien votre supériorité doit vous écarter de tout commerce avec Fréron. Ni ses mœurs ni ses talents ne doivent le mettre à portée de vous compter parmi ceux qui le tolèrent.

Ceux qui, comme vous, monsieur ont tant de droits de prétendre à l’estime du public, ne sont pas faits pour soutenir ceux qui en sont l’exécration.

Je donne actuellement tout mon temps à l'affaire des Sirven, et je ne me souviens qu'avec horreur que Fréron osa jeter des soupçons sur l'innocence des Calas dans une de ses feuilles qu'on m'envoya et qui est la seule que j'aie jamais vue de ce misérable .

Si vous voyez Mlle Dubois, je vous supplie de lui dire que je ferai tout ce qui sera en moi pour la satisfaire . Je voudrais que les rôles qu'elle voudra bien jouer fussent dignes d'elle 2.

J'ai l'honneur d'être, monsieur, sans compliment, et avec la plus grande sincérité, votre très humble et très obéissant serviteur .

Voltaire. »

2 Les trois paragraphes précédents, omis par la copie Beaumarchais-Kehl, manquent dans toutes les éditions .

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