20/11/2023
avec de l'ordre et de l'économie je ferai face à tout . Il n'y a que le désordre qui ruine
... D'où mon recours au 49-3" dit Mme Borne, première ministre qui s'en prend plein la figure et n'en démord pas .
« A Alexandre-Marie-François de Paule de Dompierre d'Hornoy
28è mars 1768
Mon cher parlementaire , suspendez un moment vos disputes avec l'ange bouffi du Grand Conseil pour écouter mon plaidoyer, comme si vous étiez sur les fleurs de lys 1 ; réunissez-vous tous les deux ; n'en croyez point les discours vagues et extrajudiciaires du public . Vous savez que ce public a autant d'oreilles et de bouches que la renommée mais qu'il n'a point d'yeux . Voici le fait clair et net .
M. le maréchal de Richelieu me doit vingt-sept mille livres, la succession de Guise vingt mille, Lézeau vingt mille, ce qui joint à d'autres non-valeurs sur mes rentes, monte à près de quatre-vingt mille .
M. le duc de Virtemberg en doit aussi environ quatre-vingt mille . Il a fait des billets à ordre qui ne sont payables que dans deux années (c'est-à-dire probablement après ma mort ) et sur lesquels on ne peut emprunter un denier . Voilà un vide de cent soixante mille livres sur un revenu qui était ma ressource .
Le seul château de Ferney, avec les embellissements et les améliorations de la terre, a coûté cinq cent mille livres, et rapporte très peu . J'ai dépensé plus de deux millions dans le pays barbare que j’habite depuis quatorze ans . Telle est ma situation . Je ne vous dis pas tout . Je vous enverrai bientôt un mémoire sur la terre de Tournay qui vous surprendra .
Nous avons pendant l'année dernière donné des fêtes à trois régiments . Nous avons eu chez nous pendant deux mois un colonel et presque tous ses officiers . Ce colonel est si occupé du service du roi, qu’étant de retour à Paris il ne nous a pas seulement écrit un mot de remerciement .
Ainsi en ont usé trois ou quatre cents Anglais que nous avons très bien reçus, et qui sont si attachés à leur patrie qu'ils ne se sont jamais souvenus de nous . Nous avons été pendant quatorze ans les aubergistes de l’Europe, aux Délices, à Lausanne, à Ferney.
Joignez à tout cela l'agrément d'acheter tout à Genève le double plus cher qu'en France, et de payer toute la main-d’œuvre le double ; vous verrez que le chapeau de Fortunatus et les trésors d'Aboulcassem n'y suffiraient pas .
Je ne veux pas mourir ruiné ; et je ne veux pas que Mme Denis en souffre . Elle ne peut vivre dans le pays barbare de Gex sans quelques amusements qui la consolent ; et ces amusements ne se trouveront plus . J'ai soixante et quatorze ans . Je me couche à dix heures du soir , je me lève à six du matin . Cette vie ne peut lui convenir ; sa santé s'altère , elle a besoin de tous les secours de Paris . Ce séjour n'est pas moins nécessaire à Mme Dupuits . C'est forcer la nature que de transporter des Parisiennes dans les glaces éternelles des Alpes et du mont Jura ; je dirais plus, c'est abréger leurs jours . Je n'ai plus qu'à mourir, mais il faut qu'elle vive, et quelle vive agréablement .
Il ne me reste actuellement que mes rentes sur M. de Laleu ; tout le reste est épuisé pour deux années . Ces rentes dans lesquelles il y a tant de non-valeurs suffiront à peine pour entretenir Mme Denis à Paris et moi à Ferney . Vous n'avez pas assez sur ces rentes , et il faut pour être juste égaler le Parlement au Grand Conseil . Ainsi , je vous supplie dès à présent, à commencer du premier avril où nous sommes, d'accepter la somme modique de dix-huit cents livres en attendant mieux .
J'avais compté que pour compléter la part que je fais à Mme Denis, M. le maréchal de Richelieu lui donnerait au moins trois ou quatre cents louis d'or . Je l'en ai conjuré par ma dernière lettre . S'il ne veut pas faire cet effort, si la succession de Guise ne fournit rien encore, vous avez mon cher ami votre recours sur Lézeau, qui doit donner au mois d'avril neuf ou dix mille francs au procureur boiteux . Ces neuf ou dix mille francs joints à ce que Mme Denis peut avoir encore, ne suffira pas pour lui faire avoir des meubles d'une maison commode . Il faut donc qu'elle vende la terre de Ferney qui baissera toujours de prix, par l'aversion naturelle qu'ont tous les Genevois à posséder des biens-fonds dans ce pays, et surtout parce qu'ils n'achètent jamais que de l'utile et non de l'agréable . Je me retirerais alors dans la terre de Tournay . Elle toucherait une grosse somme d’argent comptant ; elle augmenterait ses rentes, elle serait très riche .
Cet arrangement si convenable, et même si nécessaire, a manqué pour ne m'avoir pas envoyé à temps son consentement, et pour avoir écouté des personnes qui ne pouvaient être au fait de ses affaires, ni de ma position . Le marché qu'on lui proposait était des plus avantageux, mais il ne se retrouvera plus 2. L'acquéreur s'est dédit, et a donné l'alarme aux autres .
Mme Denis m'a laissé pour environ quinze mille livres de dettes criantes à payer 3 ; j'en ai environ pour cinq mille de ma part . Il ne me reste pour subvenir à toute cette année et le suivante que mes rentes . J'arrangerai tout de manière qu'elles suffiront .
J'ai encore vingt-sept personnes à nourrir dans le le château . Mais avec de l'ordre et de l'économie je ferai face à tout . Il n'y a que le désordre qui ruine .
Je me flatte qu'après cette lettre je serai reçu dans l'académie de lésine de Boulogne ; mais ma famille ne m'exclura pas du temple de l'amitié .
Je reçois une petite lettre de M. Dupuits toute pleine d’amitié . Je l’embrasse tendrement lui et sa femme . Il trouvera ici son avocat quand il viendra, il a un maudit bien dans le maudit pays de Gex .
Mme Denis n'a point répondu à mes trois dernières lettres . Serait-elle malade ? M. Dupuits ne me le mande point, ni vous non plus .
V. »
1 C'est-à-dire en séance au tribunal .
2Voir lettre 7213 de Hennin du 19 mars 1768 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411361p/texteBrut
3Curieux détail qu'on ne soupçonnerait guère .
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