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27/03/2024

Je voudrais que ceux qui publient des vies particulières des princes ne craignissent point de nous ennuyer en nous apprenant comment ils furent élevés

... Il y a en effet une vaste clientèle pour ce genre d'information-déformation, de tout temps ; les éditeurs n'ont aucune crainte, ils touchent le jackpot à tout coup bas ; il  n'est qu'à voir tout ce qui se déblatère sur les membres de la famille royale d'Angleterre : not at all amazing !

 

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Entre autres ...

 

 

« A Charles-Jean-François Hénault

Au château de Ferney, ce 13 septembre 1768

Mon très illustre et très aimable confrère, que j’aimerai tant que je vivrai, si vous vous portez bien, si vous êtes libre d’affaires, il faut que vous sachiez qu’il y a un Bury qui croit avoir fait une Histoire de Henri IV 1. Il court une critique 2 de cette histoire, qui fait une très grande impression par le style audacieux et tranchant dont elle est écrite, et par les fautes qu’elle relève ; mais il y a bien autant de fautes dans la critique que dans l’histoire. L’auteur de la critique est visiblement un huguenot, qui ne relève les erreurs de Bury que sur ce qui regarde les huguenots. Cet auteur s’appelle La Beaumelle ; il demeure au Carlat, dans le pays de Foix, patrie de Bayle, dont il n’est pas assurément concitoyen.

Voici comme il parle du roi dans son libelle, page 24 : « Je voudrais que ceux qui publient des vies particulières des princes ne craignissent point de nous ennuyer en nous apprenant comment ils furent élevés. Par exemple, je vois avec un charme infini, dans l’Histoire du Mogol 3, que le petit-fils de Scha-Abas 4 fut bercé pendant sept ans par des femmes ; qu’ensuite il fut bercé pendant huit ans par des hommes ; qu’on l’accoutuma de bonne heure à s’adorer lui-même, et à se croire formé d’un autre limon que ses sujets ; que tout ce qui l’environnait avait ordre de lui épargner le pénible soin d’agir, de penser, de vouloir, et de le rendre inhabile à toutes les fonctions du corps et de l’âme ; qu’en conséquence un prêtre le dispensait de la fatigue de prier de sa bouche le grand être ; que certains officiers étaient préposés pour lui mâcher noblement 5, comme dit Rabelais, le peu de paroles qu’il avait à prononcer. »

Voici maintenant comme ce maraud parle de vous, page 30 : « Du reste, il a copié cette faute de M. le président Hénault, guide peu sûr, abréviateur infidèle, hasardeux dans ses anecdotes ; trop court sur les grands événements pour être lu avec utilité ; trop long sur des minuties pour être lu sans ennui ; trop attentif à ramasser tout ce qui est étranger à son sujet, tout ce qui l’éloigne de son but, pour obtenir grâce sur les réticences affectées, sur les négligences de son style, sur les omissions de faits importants, sur la confusion qui règne dans ses dates ; auteur estimable pourtant, sinon par l’exécution, du moins par le projet, mais fort inférieur à Marcel 6, quoiqu’il l’ait fait oublier. »

C’est ce même La Beaumelle qui, dans ses Mémoires de Maintenon, insulte toutes les grandes maisons du royaume, et prodigue le mensonge et la calomnie avec l’audace qu’un historien fidèle n’aurait jamais, et que quelques sots ont prise pour la noble hardiesse de la vérité. Je sais qu’il fait actuellement une Histoire de Henri IV 7, dans laquelle il essaie de vous réfuter sur plusieurs points. Cet homme a de l’esprit et de la lecture, un style violent, mais serré et ferme, qui éblouit le lecteur : il est protégé par deux ou trois dames qui ont été élevées à Saint-Cyr, et dont il tient les Lettres de Mme de Maintenon, qu’il a fait imprimer 8. Le roi, instruit de l’insolence de cet homme, qui a été prédicant à Genève, lui a fait défense, par M. de Saint-Florentin, d’exercer son talent de médire. Cette défense lui a été signifiée par le commandant du pays de Foix 9.

Mon zèle et mon amitié ne m’ont pas permis de vous laisser ignorer ce qui intéresse également la vérité, la nation, et vous. Je vous crois à portée de faire un usage utile de tout ce que je vous mande ; je m’en remets à votre sagesse, et je vous prie de me continuer une amitié qui fait la consolation de ma vie.

Je vous prie, mon cher et illustre confrère, de dire à Mme Du Deffand qu’elle sera toujours dans mon cœur. »

3 Le « Mogol » est Louis XV.

4 Shah-Abbas est Louis XIV ; son petit-fils, Louis XV.

5 V* pense à un passage du Vè livre, chap. XXIII de Rabelais . Voir page 254 et suiv. : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1044328m/f368.item.r=XXIII

6 Guillaume Marcel est l'auteur de deux séries de Tablettes chronologiques, 1682, consacrées à l'histoire profane et à l'histoire ecclésiastique . Voir : https://data.bnf.fr/fr/14605577/guillaume_marcel/fr.pdf

et https://archive.org/details/tabletteschrono00lepagoog/page/n12/mode/2up

et : https://archive.org/details/lestabletteschr00marcgoog/page/n7/mode/2up

7La Beaumelle ne publia jamais d'histoire de Henri IV . V*, se fondant sur un bruit , tente d'exciter l'inquiétude du président Hénault qui consacre une grande place à Henri IV dans son Abrégé chronologique de l'histoire de France .

9 Malgré les dénonciations de V*, l'intervention du ministre Saint-Florentin s'est en effet bornée à lui demander de ménager son ennemi : voir lettre du 22 juillet 1767 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/03/17/qu-il-y-a-une-difference-immense-entre-les-sentiments-des-so-6433691.html

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