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27/02/2025

Monsieur le chancelier a bu publiquement à ma santé

... Friedrich Merz a porté "ein Prosit" pour Emmanuel Macron, si on en croit ce dernier et quelques témoins avinés : https://www.20minutes.fr/monde/allemagne/4140893-20250227...

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* https://www.youtube.com/watch?v=6Xe7mRV0S-0&ab_channe...

 

 

« A Marie-Louise Denis

16 auguste [1769] à Ferney

Pour réponse à votre lettre du 6 1, je vais vous ouvrir mon cœur . Vous savez qu'il saigne depuis dix-huit mois. Dupuits m'a avoué que c'est lui qui contribua à vous faire partir si tôt, en vous disant que je lui avais demandé deux fois si vous partiez, et en n'entendant pas le sens de ces paroles. Il se trompa de même en disant que je ne voulais pas ouvrir la porte de ma chambre quand j’étais au bout du jardin 2.

Le résultat est que j'ai vécu seul et malade dans un désert . J'ai cru et je crois encore que je pourrais passer l'hiver prochain auprès de vous dans une profonde obscurité , et ne voir que deux ou trois amis . J’ai pensé qu'on n'aurait pas la barbarie de m'envier cette consolation à soixante et seize ans . Vous me fîtes aller à Lyon quand je devais abandonner pour jamais un pays où je n'ai été que persécuté . Ce voyage à Lyon me conduisit dans le désert où je suis . L'hiver y est horrible et mortel, et vous m'écrivez aujourd'hui que vous voulez y venir pour faire des visites, que vous avez dix ou douze amis dans ce pays barbare 3.

Ah ! Croyez-moi vos amis de Paris méritent la préférence . Vous mourriez de douleur au bout d'un mois . Ferney , la moitié de l'année, est une prison affreuse où l'on ne peut supporter la vie qu'en ayant chez soi et sous la main toutes les ressources de la société . Je n'ai pu y vivre qu'autant que le travail , qui console de tout, m'a soutenu au milieu de mes souffrances . Mais toutes mes forces sont épuisées, ma patience aussi . Je ne puis plus travailler et ma fin approche .

Le parti le plus doux et le plus sage serait de passer ensemble l'hiver à Paris et l'été à Ferney . Pourquoi serions-nous moins heureux que M. et Mme de Florian ? Si le fracas de Paris nous rebutait ou si la barbarie m'empêchait d'y cacher mes derniers jours avec vous, les climats méridionaux de la France nous conviendraient . C'est dans ce dessein que j'ai fait ajuster un carrosse qui est une espèce de dormeuse où nous serions très à notre aise . Nous serions suivis d'un bon fourgon qui porterait tout ce qui est nécessaire . Tout cela est prêt . Je suis d'ailleurs très bien avec le parlement de Toulouse qui expie son crime envers les Calas en protégeant les Sirven . Hyères en Provence, Montpellier en Languedoc, Toulouse même pourraient avoir des agréments pour vous, et au mois de mai vous retrouveriez Ferney délicieux . Tout cela peut s'exécuter, et je ne ferai que ce qu'il vous plaira .

La situation embarrassante et délicate dans laquelle je me trouve avec M. le duc de Virtemberg exigera un peu d’économie dans les premiers mois de notre établissement, soit à Paris, soit dans un pays chaud . Il a fallu lui donner cent mille francs qu'il me devait . Il les rembourse en quatre années, et probablement le remboursement ne commencera qu'en janvier . L'affaire est bonne et sûre pour moi et les miens . Presque tout le comté de Montbéliard appartiendra à mes héritiers ou à moi pendant quatre ans . Mais je serai très à l'étroit jusqu'au mois de janvier ou de février . Le Châtelard a beaucoup coûté et coûte encore et il faut tout payer argent comptant, tandis que dans le pays on me doit plus de trente mille francs d'argent prêté dont on ne me rend pas un denier .

Je vous ai proposé une femme qu'en cas que vous n'en eussiez point 4 . C'est la nièce de l'abbé Nollet . Elle ne sert point un jeune homme . Le frère de Mme de Sauvigny a cinquante-trois ans . Il y a quatre mois qu'il est chez moi dans l’aile du théâtre . Je l'ai tiré d'un état très triste . Sa famille en use avec lui avec une dureté barbare et acharnée . Il a fait des fautes, mais ce qu'on lui a fait souffrir est infiniment au-dessus de tout ce qu'on peut lui reprocher . Il s'est conduit avec moi avec toute la reconnaissance et la circonspection possibles . Je n'ai qu'à m'en louer . Il a d'ailleurs des talents . Il est le meilleur médecin du pays . Ce n'est pas beaucoup dire . Il prépare très bien tous les médicaments . Il reste dans sa chambre comme moi toute la journée . La Nollet est pleine de talents et infiniment serviable . On ne voit Adam que pour manger et jouer aux échecs . Voilà pour Ferney . Quel que soit l'auteur de l'Histoire qui a fait tant de bruit, ce bruit était fondé sur bien peu de choses , mais les hommes sont injustes et méchants .

M. de Chimène veut crier, se remuer, agir, pour faire jouer Les Guèbres 5. Il faut qu'il les préconise et qu'il attende . Il y a peu de connaisseurs . Presque tout le monde juge d'après le parterre .

Monsieur le chancelier a bu publiquement à ma santé . M. le duc de Choiseul m'accable de bontés . M. de Saint-Florentin s'est conduit avec le fanatique d’Annecy en homme d'esprit qui me veut du bien et en ministre très sage .

Je reçois dans le moment deux éditions de cette Histoire qui a fait tant de bruit, et qui ne fera que du bien . Si on la brûle, on brûlera probablement la cinquième édition en attendant la dixième . J'ignore encore l'auteur de ce livre . Les deux dernières éditions me paraissent très bonnes .

Votre lettre du 10 arrive 6. Tout ce que vous voulez est fait, et je vous ai envoyé par M. de La Borde la copie de ma lettre à M. le duc d'Aumont .

Comment ! Je ne verrais pas Élie de Beaumont ! Je me transfigurerais plutôt comme Jésus se transfigura pour converser avec Élie 7 ! il se moque de s'affliger . Je vais lui écrire 8, et lui laver sa très aimable tête .

Que dîtes-vous de ce pauvre Martin ? Il faut des dédommagements à sa famille . Que d'horreurs juridiques ! Et de quoi dépend notre vie ? Tout le monde convient que Lally n’était qu'un brutal très innocent . L’Europe redemande le sang du chevalier de La Barre et Pasquier 9 est tranquille !

Je vous embrasse de toutes mes forces, et je vous aimerai autant que j'ai été affligé . »

1 Voici le passage essentiel de cette lettre du 6 août 1769 :

« Je sens par votre dernière lettre qu'il me serait bien difficile de faire de projets sur mon retour, puisque vous n'êtes pas encore décidé . J'aimerais bien mieux votre projet de l'incognito . C'est celui-là actuellement auquel il faut songer ; je vous écrirai sur cela par M. des Franches mais s'il n'y a pas lieu l'endroit du monde où j'aimerais le mieux vivre serait sans contredit Ferney . Vous voulez mon cher ami que je vous mande mes conditions . Assurément je n'aurais jamais imaginé d'en faire avec vous mais je prendrai la liberté de répondre à celle que vous me faites .

Vous me dites que vous avez en horreur les laquais de Paris . Cependant il faut bien que j'aie un laquais ainsi qu'une femme de chambre dans la route . Je voudrais de tout mon cœur que mon sexe, mon âge, mes forces et mon état me permissent de faire le voyage à pied avec un petit paquet sur mon dos . Mais vous sentez qu'à pied ou à cheval il me faut quelqu'un dans la route . Maton est toujours avec moi . Cependant si je pars je ne l'emmènerai pas . Elle a ici son mari et ses enfants qu'elle ne pourrait pas abandonner . Pour lors je prendrais Agathe qui ne demanderait pas mieux que de venir . Je l'ai placée chez une de mes parentes qui me la cédera quand j'en aurai besoin . Je suis persuadée mon cher ami que le femme de chambre qui demeure chez vous est excellente, mais elle est accoutumée à servir un jeune homme, et il y a une furieuse différence de la condition d'un jeune homme à celle d'une vieille femme . Vous sentez que cela ne serait ni honnête ni faisable . À l'égard du cocher comment pourrais-je m'en passer ? Vous me dites que non seulement il n'y aura plus de fêtes mais que je n'aurai aucune société . Je serais assurément bien fâchée d'attirer chez vous un seul être pensant si cela vous déplaît . Mais c'est une raison pour que je puisse aller en chercher quelquefois . Je compterais mener à à Ferney une vie toute opposée à celle que j'y menais, c'est-à-dire que je sortirais souvent et que je n'attirerais personne chez vous, puisque cela vous déplaît . Vous aimez la solitude . J'irais me délasser chez une douzaine de personnes que je connais et que j'aime . Lorsque vous voudriez de moi assurément vous auriez toujours sur eux la préférence, et je serais trop heureuse de vous voir et de vous entendre .

Je vous demanderais la grâce de ne me point mêler de votre ménage , d'avoir simplement à moi mes trois domestiques et mes deux chevaux, mon laquais pour faire mon appartement, pour le frotter, pour me servir et pour monter derrière le carrosse ; ma femme de chambre ; et mon cocher pour me traîner . Il me semble mon cher ami que ces chose-là ne sont pas coûteuses dans une terre et que trois domestiques ne sont pas de trop pour une femme de mon âge . Mandez-moi ce que vous en pensez, mais soyez sûr que vous m’êtes plus cher que ma vie . »

Voir aussi la lettre de Mme Denis à Hennin du 9 août citée en note : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2025/02/16/les-honnetes-gens-doivent-rembarrer-avec-vigueur-les-mechants-allegoristes.html

3 Dans la lettre du 6 août où elle posait les conditions de son retour, Mme Denis disait qu'elle n'attirerait plus chez V* « aucune tête pensante », mais « irai[t] [se] délasser chez une douzaine de personnes qu'[elle ] connai[t] et qu'[elle] aime » .

5 Voir lettre du 20 août 1769 à Ximénès .

6 Cette lettre est conservée . Elle est très courte, et Mme Denis n'y ajoute que « deux choses très importantes » à sa lettre du 6 août : qu'il faut écrire d'urgence au duc d'Aumont pour Pandore ; qu' Elie de Beaumont se rend à Lyon pour affaire et qu'il mourrait de désespoir » s'il ne voyait pas Voltaire .

7  Évangile de Matthieu, XVII, 2 : https://www.aelf.org/bible/Mt/17

9 Denis-Louis Pasquier, l'un de ses juges . Sur l'affaire du chevalier de La Barre et le blasphème , voir : https://reason.com/2015/01/26/charlie-hebdo-and-the-horrible-history-o/

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