03/02/2025
Je frémis d'un cocher de Paris
... Ami Voltaire, nos taxis parisiens modernes et autres Uber ont la réputation [ usurpée ?!] de n'être pas faits pour rassurer par leur amabilité, tout comme leurs ancêtres .
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https://www.cultura.com/p-hep-taxi-9782370470010.html
« A Marie-Louise Denis
[de Ferney 1] 31 juillet 1769
Votre lettre du 23 juillet 2, ma chère amie, ne répond point à trois autres lettres que probablement vous n'avez reçues qu'après m'avoir écrit . Mais les projets que vous avez me comblent de joie . J'étais très incertain sur le parti que je devais prendre et je vous avoue que je le suis encore .
Je voulais vous prévenir très incognito, et croyez que rien n'est plus aisé . Vous voulez venir avec Des Franches . Je suis partagé entre l'extrême désir de vous voir et le besoin que j'ai de vous à Paris .
Vous ne me dites pas un seul mot du fracas qu'a fait d'abord l'affaire que vous savez , ni des résolutions qu'on prend . Vous m'aviez dit que Marin, de concert avec vous, ferait entrer les autres éditions honnêtes qui vont paraître . Vous ne me dites rien de l'ouvrage de ce jeune homme . Mais vos projets de nous rejoindre me touchent, au point que j'en oublie tout le reste .
Je considère en même temps qu'il ne faut pas abandonner l'affaire de l'abbé Blet . Elle est importante . Vous me dites qu’on vous donnera de l'argent dans quinze jours . C'est un préalable par lequel vous devez commencer . Si vous partiez sans avoir rien reçu, vous vous trouveriez extrêmement embarrassée . Je suis précisément avec M. le duc de Virtemberg comme vous avec l'abbé Blet et son maréchal . Toutes ces affaires sont sûres, mais il faut attendre, et lorsque je suis forcé d'attendre, je ne sais point dépenser . Dès que les princes me manquent, je vis en philosophe .
Si vous venez, ma chère amie, partager ma solitude, la vie que je mène vous étonnera . Pourrez-vous la supporter ? Ce qui fait ma consolation fera-t-il la vôtre? Je tremble que vous ne soyez pas heureuse . Ne serez-vous pas effrayée d'une solitude dans un désert au milieu des neiges ? Plus de fêtes, plus de spectacles, plus même de société . Une Parisienne pourra-t-elle me supporter ? Je frémis d'un cocher de Paris . Je n'ai que des charretiers qui sont excellents cochers dans l'occasion . Vos chevaux parisiens ne voudront jamais traîner du foin .
On dit que vous n'avez plus Maron . Vous seriez bien étonnée de trouver ici la femme de chambre la plus adroite, la plus propre, la meilleure couturière, la tailleuse la plus élégante . Vous auriez la Barberac en sous-ordre ; vous retrouveriez La Vigne qui est sédentaire . Mais un monsieur, laquais de Paris, épouvante nos pénates rustiques . J'élève deux petits garçons à qui je fais arranger de la paille et des pierres . Un laquais parisien qui n'est bon qu'à monter derrière un carrosse est un monstre à mes yeux . Nous ferons nos arrangements quand vous serez déterminée . J'aimerais mieux vous venir trouver . J'aimerais mieux passer avec vous l'hiver dans un pays chaud, mais votre volonté soit faite . Mandez-moi vos derniers arrangements afin que je vous fasse mes dernières réponses 3 . Nous verrons comment la providence ajustera l'automne de votre vie avec le triste hiver de la mienne . Quelque chose qui m'arrive, je vivrai et je mourrai en vous aimant, et mon cœur sera le même tant que j'en aurai un .
V. »
1 Ces deux mots sont ajoutés par Mme Denis sur le manuscrit .
2 Lettre du 23 juillet perdue .
3 Mme Denis accueillit sans plaisir ces propositions . On verra, par sa lettre du 9 août 1769 à Hennin, citée en note dans la lettre du 9 août à Thieriot, comment elle s'en expliquera ; cette note n'existe pas dans l édition de Kehl qui est amputée d'une phrase : « Mes affaires sont plus que jamais dérangées par le voyage de Mme Denis . »
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