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17/02/2025

Les honnêtes gens doivent rembarrer avec vigueur les méchants allégoristes qui trouvent partout des allusions odieuses

... La censure prend des tours effarants quand elle s'attaque à la littérature enfantine et scolaire, en particulier aux USA : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-grand-reportage/la-censure-des-livres-nouveau-front-dans-les-guerres-culturelles-aux-etats-unis-2004775

Et ne parlons pas de la censure dans les pays théocratiques qui croient au blasphème .

 

 

« A Nicolas-Claude Thieriot l'aîné

Corres[pondant] de S.M. le roi de Prusse

rue Jacinthe, la dernière grande porte cochère

à droite

de l'hôtel d'Ormesson

à Paris

9è auguste 1769 1

Grand merci de ce que vous préférez le mois d’auguste au barbare mois d’août ; vous n’êtes pas welche.

Je ne vous démentirai pas sur Les Guèbres, j’en connais l’auteur ; c’est un jeune homme qu’il faut encourager. Il paraît avoir de fort bons sentiments sur la tolérance. Les honnêtes gens doivent rembarrer avec vigueur les méchants allégoristes 2 qui trouvent partout des allusions odieuses : ces gens-là ne sont bons qu’à commenter l’Apocalypse ; Les Guèbres n’ont pas le moindre rapport avec notre clergé, qui est assurément très humain, et qui de plus est dans l’heureuse impuissance de nuire.

Je ne crois pas que la comédie du Dépositaire que vous m’avez envoyée soit de la force des Guèbres : une comédie ne peut jamais remuer le cœur comme une tragédie ; chaque chose doit être à son rang.

Je ne crois pas que Lacombe vous donne beaucoup de votre comédie. Une pièce non jouée, et qui probablement ne le sera point, est toujours très mal vendue ; en tout cas, mon ancien ami, donnez-la à l’enchère.

Mes affaires sont plus que jamais dérangées par le voyage de Mme Denis 3.

Je ne sais rien de si mal écrit, de si mauvais, de si plat, de si faux, que les derniers chapitres de l’Histoire du Parlement. Je ne conçois pas comment un livre, dont le commencement est si sage, peut finir si ridiculement ; les derniers chapitres ne sont pas même français. Vous me ferez un plaisir extrême de m’envoyer ces deux volumes de Mélanges historiques 4 par les guimbardes de Lyon et ayez la bonté de mettre ce petit envoi dans le compte de ce que je vous dois .

Je vous plains de souffrir comme moi ; mais avouez qu’il est plaisant que j’aie attrapé ma soixante-seizième année en ayant tous les jours la colique. Mon ami, nous sommes des roseaux qui avons vu tomber bien des chênes. Je vous embrasse de tout mon cœur . »

1 Original, cachet B sur P.D., et B sur 3 dans un cercle ; éd. Kehl, LXI.

2 Ce mot n'est pas une création de V* . Henri Estienne l'emploie déjà dans son Nouveau langage françois italien .

3 Cette phrase biffée sur la copie Beaumarchais est pudiquement supprimée par les éditeurs de Kehl . Mme Denis qui s'est très endettée à Paris a pour son retour des exigences peu compatibles avec les vues d'économie de V* . Elle rend compte de la situation dans une lettre à Hennin, envoyé de France à Genève, le 9 août 1769 :

« Ce 9 août [1769] de Paris

Il y a un siècle , monsieur, que je n'ai reçu de vos nouvelles . Mon amitié pour vous ne s'accommode pas d'un silence aussi long . Comment vous portez-vous ? Comment vont vos affaires ? Espérez-vous faire entendre raison à un homme qui n'en a point ? Je sais que ce n'est pas une besogne aisée .

Je suis actuellement dans de grandes discussions avec le patron . La proposition que nous lui avons faite l'un et l'autre de me laisser vivre à Genève l'a mis dans une colère affreuse et enfin l'a amené à me proposer de revenir à Ferney . Il m'a même avoué qu'il s’était fort ennuyé cet hiver, ce qui m'a fait un certain plaisir . Il m'a mandé de partir quand je pourrais . Je lui ai répondu que je comptais venir en poste avec un laquais et une femme de chambre, et que mon cocher viendrait à très petites journées avec ma berline et mes deux chevaux . Il m'a répondu que je n'aurais pas besoin de femme de chambre chez lui, qu'il en avait une très bonne, très adroite et très élégante à me donner ( c'est Mlle Niolet , la gueuse de M. Duret ), qu'à l'égard des laquais de Paris il avait une horreur affreuse pour eux, que je n'avais qu'à reprendre La Vigne, que ces gens me serviraient, qu'un cocher de Paris lui serait insupportable, que les chevaux de Paris ne voudraient pas traîner du foin, qu'il avait de bons charretiers qui menaient fort bien dans l'occasion dont je me servirais . Je lui ai répondu que je voudrais que mon sexe, mon âge, mes forces et mon état me permissent de faire le voyage à pied avec un petit paquet sur mon dos, mais que je ne pouvais me passer d'un laquais et d'une femme de chambre en route, que Maton ne me suivrait pas, que je mènerai Agathe, qu'il était bien difficile que venant de Paris je prisse un laquais ailleurs pour m'emmener, que pour mes chevaux et mon cocher ils m’étaient d'une nécessité indispensable, d'autant qu'il m'annonçait que je n'aurais aucune espèce de société, que comme je ne voulais point troubler sa solitude je voudrais quand je m'ennuierais aller chercher du monde, que La Vigne ne pouvait me convenir parce que j'avais besoin d'un homme qui frottât mon appartement, qui montât derrière le carrosse, qui pût m'en descendre et qui fit les commissions, que j’habillerais et que je paierais mes gens . J'attends sa réponse, mais je ne me départirai pas de mes trois domestiques ni de mon carrosse . Vous voyez à quel point on est attaché à ce fripon puisqu'on veut me donner sa femme de chambre .

Je n'ai point perdu le projet de Genève . Je vous supplie de me conserver toujours votre même bonne volonté . Vous êtes ma seule ressource en cas qu'on ne me paie pas ici, ou que je sois trop malheureuse si je vais à Ferney . On commence à saigner du nez . On me donne des créances qui ne valent rien . Enfin , monsieur, il me faut de la patience . Ne parlez point de tout ceci . Gardez-moi un secret inviolable mais conservez- moi de l'amitié et ne doutez pas des sentiments et de l'inviolable attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être votre amie pour la vie . »

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