Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

10/06/2013

la religion , l'honneur, les bienséances les plus communes, et le savoir-vivre, ne permettent d'écrire de pareilles choses ni à des personnes qu'on connait, ni à des personnes qu'on ne connait pas

 ... Aussi ne dirai-je rien de malséant , rien qui puisse ressembler aux éructations de politiciens, d'intégristes, de fanatiques de tous ordres, d'extrêmistes de droite comme de gauche . Rien ?

Rien ! Nada !

 

nada_de_politica_2008-09-11.jpg


 

 

 

« A LÉGIER 1

[11 février 1758]

M. de Voltaire gentilhomme ordinaire du roi et ancien chambellan du roi de Prusse n'a jamais demeuré à Ripaille en Savoie ; il a une terre sur la route de Genève entre le territoire de Genève et celui de France . Il ne connait pas plus l'ode dont on lui parle que la maison de Ripaille . Il est actuellement malade ; sa famille qui a ouvert le paquet envoyé par M. l'abbé Légier lui renvoie ce paquet qui sûrement ne peut-être pour M. de Voltaire, puisqu'on y parle de choses dont il n'a aucune connaissance . Il y a des vers dans ce paquet qui sont sans doute pour quelque autre . Au reste la famille et les amis de M. de Voltaire avertissent M. Légier que la religion , l'honneur, les bienséances les plus communes, et le savoir-vivre, ne permettent d'écrire de pareilles choses ni à des personnes qu'on connait, ni à des personnes qu'on ne connait pas . »

1 V* le décrit au comte de Tressan comme étant « un séminariste de Toul ... qui se renomme de vous » dans une lettre du 11 février 1758 et en reparlera au même le 3 mars .

 

09/06/2013

vous goûterez l'auream mediocritatem

 

 

 

 

« A Claude-Etienne Darget

A Lausanne 10 février [1758]

Je vois avec douleur, mon cher et ancien ami, que dans le meilleur des mondes possibles de Leibnitz vous paraissez n'avoir pas le meilleur lot ; et que lorsque tout est bien votre vessie est toujours un peu mal . Vous ne semblez guère plus content de votre fortune que de votre vessie . Durum , sed levius fit patientia 1. J'ai toujours été fort surpris que les personnes qui vous aiment et qui connaissent vos talents ne vous aient pas utilement employé comme ils le pouvaient . Il se fait actuellement des fortunes immenses dans des entreprises auxquelles vous aviez travaillé autrefois . Il me semble qu'il y avait de la justice à ne vous pas exclure . Le moindre intérêt dans ces affaires est une chose très considérable ; si vous avez perdu toute espérance de ce côté vous goûterez l'auream mediocritatem 2 d'Horace . Mais il faut songer à votre santé qui est le véritable bien . J'éprouve qu'on peut très bien prendre patience dans un état de langueur et de faiblesse ; mais on la perd dans les souffrances continuelles . Vous êtes à portée des soulagements : que seriez-vous devenu en Prusse loin des secours ? Vous me paraissez bien informé de ce pays-là . Je crois celui qui en est le maître encore plus malheureux cent fois que vous . Sa santé est très dérangée ; il n'a ni plaisirs ni amis ; et il est embarrassé dans un labyrinthe dont on ne peut sortir qu'à travers des flots de sang . Quelque chose qui arrive il est à plaindre . Il est difficile que la France et l'Autriche lui pardonnent et qu'à la longue il ne succombe pas .

J'ai oublié le nom du premier écuyer du prince de Prusse qui me venait voir quelquefois ; ne vous en ressouvenez-vous point ? Il me semble qu'il était originaire de Saxe . Le général Kiow 3 l'était aussi mais je ne le crois point arquebusé comme on l'a dit . Je ne crois point non plus au carcan de l'abbé de Prades . Comment et en quoi aurait-il trahi le roi de Prusse ? Il n’était certainement auprès du roi en campagne que pour lui faire la lecture . Du moins le roi me l'a mandé ainsi quatre jours avant la bataille de Rosbach 4. Il ne lui faisait point part de ses desseins militaires, qu'il ne confie pas même à ses officiers généraux , il ne le chargeait pas de négociations . L'abbé de Prades n'avait pas plus de crédit à Breslau que vous et moi ; il n'y connait personne . Je maintiens qu'il n'a pu trahir le roi de Prusse . Il aura écrit quelque lettre indiscrète et ce qui n'est point un crime ailleurs en est un dans ce pays-là, vu les circonstances présentes . Voilà ce que je pense : je crois l'abbé de Prades aussi mauvais chrétien que La Mettrie, mais ce n'est point un traitre . Je peux me tromper, j'attendrai que le temps me désabuse .

Le prince Henri m'a fait l'honneur de m'écrire de Dresde où il est adoré . La princesse Amélie est allée à Breslau ce qui m'étonne beaucoup . Mme la margrave de Bareith a une santé pire que la vôtre . Elle est enchantée des victoires de son frère mais elle craint les revers et elle est lasse de tant de dévastations . Comptez qu'on doit se trouver très heureux dans une douce retraite . Ce M. Coste dont vous me parlez n'est-il pas parent du traducteur 5 de Locke ?

Le papier me manque . Vale et me ama .

V. »

1 Cela est dur mais la patience l'adoucit . Horace, Odes I, xxiv, 19.

2 Médiocrité dorée . Horace Odes , II, x, 5.

4 La bataille est du 5 novembre 1757 et l'on n'a pas la lettre de Frédéric correspondant à la date indiquée par V* ; dans une lettre du 9 novembre il lui rappelle Potsdam où il « lisai[t] Sadic [Zadig] à l'abbé ».

5 Pierre Coste .

 

Ce n'est plus la peine de travailler pour une entreprise qui va cesser d'être utile et qui est traversée de tous côtés

 

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ArgentaI

conseiller d'honneur du parlement de Paris

A Lausanne 9 février [1758]

Avez-vous, lisez-vous l'Encyclopédie mon cher ange ? Savez-vous les tracasseries, les tribulations qu'elle essuie ? J'ai retiré mes enjeux, et j'ai mandé à M. Diderot de me renvoyer les articles et les papiers concernant cet ouvrage, et j'ai pris la liberté de stipuler qu'il enverrait chez vous les papiers cachetés . Vous me le permettrez sans doute . Ce n'est plus la peine de travailler pour une entreprise qui va cesser d'être utile et qui est traversée de tous côtés . Si Diderot qui est entouré de sacs comme Perrin Dandin 1 et qui est accablé du fardeau oubliait mes paperasses, j'ose vous supplier de vouloir bien envoyer cher lui rue Taranne 2 quand vous serez à la comédie . Nous allons nous autres Suisses jouer Fanime et La Femme qui a raison . Je pense qu'il faut différer longtemps pour le tripot de Paris et laisser dégorger Iphigénie en Crimée 3. Par ma foi vous autres Parisiens vous n'avez pas le sens commun . Luc n'en a pas davantage d'avoir commencé cette horrible guerre qui lui a donné à la vérité de la gloire mais qui le rend très malheureux, lui et onze ou douze cent mille hommes ses semblables , s'il y a quelque chose de semblable à Luc . Je ne vois que folie et bêtise . Interim vale

. Heureux qui digère tranquillement . Comment va la santé de Mme d'Argental ?

V. »

1Personnage des Plaideurs de Racine, Ac. I, sc . 4.

2 Le logement de Diderot était tout proche de la rue Saint-Germain des Prés où était située la Comédie Française et qui est devenue la rue de L'Ancienne Comédie .

3 Iphigénie en Tauride : voir lettre du 5 janvier à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/03/13/i...

Beuchot dit que V* nomme la pièce ainsi à cause de la rudesse de sa versification ; on doit noter surtout que la Crimée est l'ancienne Tauride .