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11/11/2010

Il ne convient ni à ma qualité d'étranger, ni à ma situation, ni à mon goût, d'entrer dans ces querelles

Pour un 11 novembre, remontons le temps : L'Etranger , de Damia :

http://www.youtube.com/watch?v=XBCFmWmB9YE

Selon Camus :

http://www.youtube.com/watch?v=fF7X_fHExP0

Baldé :

http://www.youtube.com/watch?v=qBdZmO6gTnY&feature=fvst

 

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

 

13 novembre 1765

 

Le petit ex-jésuite i, mes anges, est toujours très docile, mais il se défie de ses forces ; il ne voit pas jour à donner une passion bien tendre et bien vive à un triumvir ; il dit que cela est aussi difficile que de faire parler un lieutenant criminel en madrigaux.

 

Permettez-moi de ne point me rendre encore sur l'article des filles de Genève ii. Non seulement la loi du couvent n'est pas que les filles seront cloitrées dans la ville, mais la loi est toute contraire. Les choses sont rarement comme elles paraissent de loin. Le cardinal de Fleury iii regardait les derniers troubles de Genève comme une sédition des halles. M. de Lautrec iv arriva plein de cette idée, il fut bien étonné quand il apprit que le pouvoir souverain réside dans l'assemblée des citoyens ; que le Petit conseil avait excédé son pouvoir, et que le peuple avait marqué une modération inouïe jusqu'au milieu même d'un combat où il y avait eu du sang répandu.

 

Rousseau n'est plus en Suisse, il est à Potsdam v, ainsi on ne peut plus soupçonner les citoyens de Genève d'être conduits par lui. Les mécontentements réciproques entre les citoyens et le Conseil subsistent toujours. Il ne convient ni à ma qualité d'étranger, ni à ma situation, ni à mon goût, d'entrer dans ces querelles. Je dois comme bon voisin les exhorter tous à la paix quand ils viennent chez moi, c'est à quoi je me borne.

 

On vient malheureusement de m'adresser une fort mauvaise ode, suivie d'une histoire des troubles de Genève jusqu'au temps présent vi. Cette histoire vaut bien mieux que l'ode, et plus elle est bien faite, plus je parais compromis par un parti qui veut s'attacher à moi. Cet ouvrage doit d'autant plus alarmer le Petit conseil, que nous sommes précisément dans le temps des élections. J'ai sur le champ écrit la lettre ci-jointe à l'un des Tronchin qui est conseiller d'État vii. Je veux qu'au moins cette lettre me lave de tout soupçon d'esprit de parti, je veux apparaitre impartial comme je suis.

 

Je vous supplie, mes divins anges, de bien garder ma lettre, et de vouloir bien même la montrer à M. le duc de Praslin en cas de besoin, afin que je ne perde pas tout le fruit de ma sagesse.

 

Si je tiens la balance égale entre les citoyens et le Conseil de Genève, il n'en est pas ainsi des querelles de votre parlement et de votre clergé. Je me déclare net pour le parlement ; mais sans conséquence pour l'avenir, car je trouve fort mauvais qu'il fatigue le roi et le ministère pour des affaires de bibus viii, et je veux qu'il réserve toutes ses forces contre les usurpations ecclésiastiques, surtout contre les romainesix. Il m'a fallu en ressassant l'histoire relire la Constitution x; je ne crois pas qu'on ait jamais forgé une pièce plus impertinente et plus absurde. Il faut être bien prêtre, bien welche, pour faire de cette arlequinade jésuitique et romaine, une loi de l'Église et de l'État. Ô Welches ! vous n'avez pas le sens d'une oie.

 

M.l'abbé le coadjuteur m'a envoyé son portrait xi. Je lui ai envoyé quelques rogatons qui me sont tombés sous la main ; je me flatte qu'on entendre parler de lui dans l'affaire des deux puissances et que ce Bellérophon écrasera la chimère du pouvoir sacerdotal qui n'est qu'un blasphème contre la raison, et même contre l'évangile.

 

J'ai chez moi un jésuite xii et un capucin xiii, mais par tous les dieux immortels ils ne sont pas les maîtres.

 

Respect et tendresse.

 

V.

 

N.B.- Ou que M. de Pralin garde sa place, ou qu'il la donne à M. de Chauvelin. Voilà mon dernier mot. "

 

ii Les filles qu'on empêche d'aller en Russie ; cf. lettre du 14 octobre .

L'impératrice «daignait faire venir quelques femmes de genève pour montrer à lire et à coudre à de jeunes filles de Pétersbourg, que le Conseil de Genève a été  assez fou et assez tyrannique pour empêcher des citoyennes libres d'aller où il leur plaît et assez insolent pour faire sortir de la ville un seigneur envoyé par cette souveraine . » (Bülow).

iii Voir et son action dans ces évènements : Cf. lien de la note iv suivante.

 iv Il fut ambassadeur extraordinaire à Genève du 18 octobre 1737 au 21 juin 1738. Sa médiation aboutit à une promulgation d'un édit ,qui mis fin à un conflit de cinq ans, le 8 mai 1738.

v En réalité à Strasbourg, d'où il partit vers Paris puis l'Angleterre.

vi Jean-Antoine Comparet : La Vérité, Ode à M. de Voltaire, suivie d'une dissertation historique et critique sur le gouvernement de Genève et ses révolutions, 1765. C'est un ouvrage « en faveur des représentants » dédiée à V* ; le Conseil de Genève le condamna au feu après avoir pris soin de faire consulter V*.

vii Jacob Tronchin . V* y propose « d'offrir un repas où (les deux partis) pourraient s'entendre. » et « que  deux de vos magistrats des plus conciliants me fissent l'honneur de venir dîner à Ferney, et qu'ils trouvassent bon que deux des plus sages citoyens s'y rencontrassent . On pourrait ... inviter un avocat en qui les deux partis auraient confiance. »

Les élections évoquées sont celles du procureur général et du lieutenant de police.

viii Choses de peu de valeur, de peu d'importance.

ix Le 24 novembre : « On a, ce me semble, trop fatigué le roi et le ministère par des expressions pleines d'aigreur. On a hasardé de perdre jusqu'aux libertés de l'Eglise anglicane dont tous les parlements ont toujours été si justement et si invariablement les défenseurs. Cela fait de la peine à un pauvre historien qui aime sa patrie... »

x La Constitution Unigenitus.

xii Le père Adam.

xiii Bastian, capucin de Chambéry, « persécuté » et pour qui V* demande la protection de Fabry, le 7 octobre : il « était venu demander ... un asile aux domestiques (ceux de V*)... Il se plaignait d'avoir été fouetté trois fois par semaine, pendant seize mois, avec une discipline de fer. » Le provincial a averti qu'il pourrait le faire saisir ; « ...s'il était repris, il serait enfermé nu dans un cachot, et chargé de chaînes. »

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