22/03/2013
les domestiques jurèrent sur l’Évangile que le roi n'avait pris avec Agnès que des libertés honnêtes
... Tandis que d'autres jurèrent que le président n'a pris avec Liliane que des privautés malhonnêtes ; suivez mon regard ! Scandale à l'hospice ! Heureusement, Carla aime Nicolas Raymond et le chante sussurre , belle consolation d'être aimé pour ce que l'on pourrait être .
« A Jacob VERNES
A Lausanne 12 janvier [1758]
Votre ode est pleine de beautés mon cher confrère en Apollon et Sabellius, Eusébius et autres graves personnages . Je vous conseille de la mettre dans un volume de votre choix littéraire et de faire présenter ce volume au roi de Prusse . Je me chargerais avec un grand plaisir de lui envoyer votre ode et je m'en ferais honneur . Mais vous sentez bien que je ne puis en conscience lui adresser par la poste un ouvrage où vous dîtes tant de mal des pauvres Français, vos compatriotes et les miens , des Autrichiens dont la cour me comble de bontés, et des Russes qui m'envoient tant de médailles d'or . Mon paquet pourrait bien être pris par des housards et je me brouillerais tout d'un coup avec trois puissances sans être mieux avec Frédéric . Je n'ambitionne que de passer le reste de ma vie dans la paix et dans l'obscurité .
Jugez si un homme qui pense ainsi peut avoir la moindre part à l'article de l'Encyclopédie qui fait tant de bruit dans votre ville . C'est une calomnie bien maladroite de dire que j'aie conduit la plume de M. d'Alembert . Je donne un démenti formel à quiconque répand une telle imposture . M. d'Alembert n'est pas homme à se laisser conduire : il est public qu'il se chargea de cet article quand il vint dans ce pays . Il connait Genève beaucoup mieux que moi . Je n'y vais jamais . Mes maladies me forcent de rester chez moi . Il a beaucoup fréquenté tous vos ministres et je n'ai pas l'honneur d'en connaître un seul excepté M. Vernet que j'ai vu deux ou trois fois . En un mot je n'ai vu qu'avec le public l'article Genève . On y cite une lettre de moi imprimée dit-on dans le Mercure Galant 1, que je ne lis jamais, et le mot atroce dont je ne me suis jamais servi dans cette lettre . Ce n'est pas que je ne pense avec vous que la conduite de Calvin envers Servet fut d'une atrocité abominable . Je l'ai dit en qualité d'historien et tout homme qui ne sera pas un monstre doit le penser . Mais jamais je n'ai écrit la lettre à Thieriot telle qu'on l'a imprimée dans le Mercure . Jamais je n'ai lu un mot de tout ce qu'on a écrit dans d'autres mercures au sujet de cette lettre . Jamais je n'ai eu la moindre connaissance de l'article de M. d'Alembert qu'avec le public . Quiconque dit le contraire est un calomniateur . Voilà la pure vérité et une autre vérité c'est que je ne m’embarrasse point de toutes ces misères et que je veux vivre tranquille dans des retraites qui m'ont coûté fort cher mais que j'abandonnerai comme une grange dès qu'on m'y fera la moindre peine 2.
Je vous embrasse de tout mon cœur .
V .
Pourriez-vous m'envoyer le livre de M. Palissot par la messagerie ou bien le donner à M. Catala votre voisin qui me fera l'amitié de me le faire tenir ?
Le Journal encyclopédique parle fort mal de ces lettres 3. On dit qu'elles attaquent beaucoup de gens de mérite . On traite ce livre de libelle diffamatoire . Pourquoi M. Palissot veut-il se faire des ennemis ? Vous devriez bien l'empêcher de prendre un parti si dangereux .
J'ai un besoin pressant de savoir si c'est Froissard ou Monstrelet ou Alain Chartier qui dit avoir fait prêter serment aux domestiques de Charles VII en qualité d'historiographe pour savoir d'eux si Charles avait couché avec Agnès Sorel 4 dont il laissa trois enfants ; les domestiques jurèrent sur l’Évangile que le roi n'avait pris avec Agnès que des libertés honnêtes . Par quoi Alain, car je crois que cela est d'un Alain, certifie que jamais Agnès ne fit ce que vous savez avec Sa Majesté très chrétienne 5. La chose presse . C'est pour un article de l'Encyclopédie . M. Roustan 6 ne pourrait-il pas consulter ces trois historiens à la bibliothèque publique ? M. Abauzit ne pourrait-il pas consulter sa mémoire ? Je vous demande en grâce de me déterrer ce passage . Je vous aurai une extrême obligation . »
1 V* nomme ainsi par moquerie le Mercure de France ; d'Alembert cite dans son article Genève le texte de la lettre de Thieriot tel qu'il parut dans le Mercure ; voir lettre du 12 septembre 1757 à Constant de Rebecque : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/12/19/il-y-a-bien-du-temps-que-j-ai-fait-voeu-de-ne-lire-aucun-jou.html
2 V* tiendra parole en se portant acquéreur de Tournay et de Ferney , en territoire français, cette même année .
4 A propos d'Agnès Sorel, voir lettre du 9 octobre 1755 à la duchesse de Saxe-Gotha : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/04/05/ceux-qui-disaient-qu-il-s-etait-passe-entre-eux-quelque-chos.html
5 On trouve cette référence dans l'article Historiographe écrit pour l'Encyclopédie, mais cet article ne parut pas quoique d'Alembert en eut explicitement chargé V* . Il paraitra à la fin du second volume des Nouveaux mélanges , 1765.
6 Probablement le théologien Antoine-Jacques Roustan (1734-1808) : http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine-Jacques_Roustan
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