29/12/2013
dès les premiers temps de l'Église, les saints Pères se sont élevés contre les ministres sacrés qui emploient aux affaires temporelles le temps destiné aux autels
... Dès les premiers temps, certes, mais seulement aux premiers temps si j'en crois ce que me dit l'Histoire de la glorieuse [sic] et [im]pitoyable Eglise catholique .
Les autres Eglises ne valent pas mieux, qu'elles ne se haussent ni du col, ni de la mitre .
http://graecorthodoxa.hypotheses.org/2150
« A Joseph-Nicolas Deschamps de Chaumont 1
A Ferney au pays de Gex
16 décembre 1758.
Monseigneur, c'est un officier de la chambre du roi très chrétien, c'est un de vos diocésains, le possesseur de la comté de Tournay et de la châtellenie de Ferney qui a l'honneur de vous écrire .
Le curé d'un petit village nommé Mouin 2, voisin de ma terre, a suscité un procès à mes vassaux de Ferney, et, ayant souvent quitté sa cure pour aller solliciter à Dijon, il a accablé aisément des cultivateurs uniquement occupés du travail qui soutient leur vie. Il leur a fait pour quinze cents livres de frais pendant qu'ils labouraient leurs champs, et a eu la cruauté de compter parmi ses frais de justice les voyages qu'il a faits pour les ruiner. Vous savez mieux que moi, monseigneur, combien, dès les premiers temps de l'Église, les saints Pères se sont élevés contre les ministres sacrés qui emploient aux affaires temporelles le temps destiné aux autels. Mais si on leur avait dit « Un prêtre est venu avec des sergents rançonner de pauvres familles, les forcer de vendre le seul pré qui nourrit leurs bestiaux, et ôter le lait à leurs enfants » qu'auraient dit les Jérôme, les Irénée, les Augustin ? Voilà, monseigneur, ce que le curé de Mouin est venu faire à la porte de mon château, sans daigner même me venir parler. Je lui ai envoyé dire que j'offrais de payer la plus grande partie de ce qu'il exige de mes communes, et il a répondu que cela ne le satisfaisait pas.
Vous gémissez sans doute que des exemples si odieux soient donnés par des pasteurs catholiques, tandis qu'il n'y a pas un seul exemple qu'un pasteur protestant ait été en procès avec ses paroissiens 3. Il est humiliant pour nous, il le faut avouer, de voir dans des villages du territoire de Genève des pasteurs hérétiques qui sont au rang des plus savants hommes de l'Europe, qui possèdent les langues orientales, qui prêchent dans la leur avec éloquence, et qui, loin de poursuivre leurs paroissiens pour un arpent de seigle ou de vigne, sont leurs consolateurs et leurs pères. C'est une des raisons qui ont dépeuplé le canton que j'habite. Deux de mes jardiniers ont quitté, l'année précédente la vraie religion pour embrasser la protestante. Le village de Rosières avait trente-deux maisons, et n'en a plus qu'une; les villages de Magny et de Boisy ne sont plus que des déserts. Ferney est réduit à cinq familles, ayant droit de commune, et ce sont ces cinq pauvres familles qu'un curé veut forcer d'abandonner leurs demeures pour aller chercher sur le territoire de la florissante Genève le pain qu'on leur dispute dans les chaumières de leurs pères. Je conjure votre zèle paternel, votre humanité, votre religion, non pas d'engager le curé de Moëns à se relâcher des droits que la chicane lui a donnés, cela est impossible; mais à ne pas user d'un droit si peu chrétien dans toute sa rigueur, à donner les délais que donnerait le procureur le plus insatiable, à se contenter de ma promesse, que j'exécuterai aussitôt que mes malheureux vassaux auront rempli une formalité de justice préalable et nécessaire.
J'ajoute à cette prière celle de me donner la permission de bâtir une chapelle dans mon château de Ferney . J'ai le malheur de voir en entrant dans cette terre que mon propre curé était en procès avec son seigneur et l'est par conséquent avec moi . Mais je ne sais point plaider . Je ne sais que secourir les pauvres et faire travailler utilement des malheureux qui étaient prêts à chercher ailleurs de quoi vivre .
J'ai l'honneur d'être avec respect
monseigneur
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi Très Chrétien »
1 Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph-Nicolas_Deschamps_de_Chaumont
Le manuscrit fut remis il y a plusieurs années au musée d'Annecy par un donateur anonyme à condition de ne pas être imprimé . Dans les manuscrits et éditions anciennes, le destinataire est seulement « évêque d'Annecy », que des éditions modernes identifient comme Biord ; mais celui-ci ne fut nommé à son poste que le 17 mai 1764 . Le vicaire général Jean-Pierre Biord, assume seulement les tâches administratives, pour soulager l'évêque souffrant . .Autre remarque, si le siège était à Annecy, l'évêché se trouvait en fait à Genève .
Pour une partie de la correspondance de V* avec Biord, voir à partir de page 19 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57191285/texteBrut
2 V* écrit phonétiquement le nom de Moëns . Le prêtre est Philippe Ancian qui n'est guère autrement connu .
3 En insérant une partie de cette lettre dans son Commentaire historique, où il la date à tort de 1759, V* ajoute une note : « Ce qui fait que jamais les curés protestants n'ont de procès avec leurs ouailles, c'est que ces curés sont payés par l'État, qui leur donne des gages: ils ne disputent point la dixième ou la huitième gerbe à des malheureux. C'est le parti que l'impératrice Catherine a pris dans son empire immense. La vexation des dîmes y est inconnue. »- Cette note est de 1776 (Beuchot, qui date la lettre du 15 décembre 1759) .
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