04/08/2013
il n'y a à vos Délices ni bonne graine de navet, ni perce-pierre , ni seringa, ni chèvrefeuille, ni jasmin
... Et si je ne discute pas le bien-fondé de la demande de salade et de fleurs odorantes, je ferai remarquer que le navet ne fait pas mes délices, qu'il soit long, rond ou cinématographique , qu'on se le dise . Cette dernière forme étant de loin la plus indigeste, je demande aux programmeurs de télévision de ne pas infliger à autrui ce qu'ils ne voudraient pas subir eux-mêmes ; mais je crois que c'est beaucoup trop demander, hélas . Je suis heureusement d'un naturel conciliant, sachant appuyer sur le bouton "arrêt" à mon gré, mais la recherche d'un bon programme s'apparente quotidiennement au travail d'un orpailleur . Beaucoup de boue remuée, peu de pépites .
Ceci n'est pas un navet
« A Jean-Robert Tronchin
Aux Délices 17 avril [1758]
Ce petit billet, mon cher monsieur, ne sera je crois payé qu'au commencement de mai . Je vous l'envoie toujours à bon compte, ignorant combien de temps vous serez encore à Paris . On me flatte que vous pourriez bien passer par Genève à votre retour . Je me mets au rang de ceux qui le souhaitent 1 le plus vivement .
M. de Laleu vous donnera peut-être un petit compte pour moi . M. d'ArgentaI vous priera aussi de vous charger d'un paquet de papiers . Mais sachez qu'il n'y a à vos Délices ni bonne graine de navet, ni perce-pierre 2, ni seringa, ni chèvrefeuille, ni jasmin et je vous jure qu'un jour vous seriez bien aise de trouver tout cela dans des petits bosquets que je vous plante . C'est bien dommage que vous n'aimiez pas encore la campagne . Je vous embrasse de tout mon cœur et suis à jamais
votre très humble et très obéissant serviteur .
V. »
1 Sur le manuscrit V* a sans doute écrit souhaillent en oubliant exceptionnellement les barres des t .
2 Le perce-pierre (= passe-pierre, = casse-pierre) est une salade propre à être conservée dans du vinaigre . Voir : Wikipedia
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03/08/2013
il est dur pour un esprit bien fait de perdre son temps à apprendre des sottises . Il n'y a qu'une chose plus insupportable, c'est de les enseigner
... Et ce n'est la énième réforme des rythmes scolaires et des fanfreluches accolées aux matières de base qui vont dans le sens de cette réflexion voltairienne de bon aloi .
Quel ministre de l'éducation, quel enseignant est encore doué d'un "esprit bien fait" ? Il n'est est guère chez les enseignants, je n'en vois pas chez les ministres , ou alors suis-je de mauvaise foi ? M. Vincent Peillon ne me semble pas apte à me faire changer d'avis , et son contentement devant les taux de réussite au Bac cette année (taux qui me rappellent ceux des élections dans les pays totalitaires et les républiques bananières ) apporte une caution malsaine aux bidouilleurs enseignants qui veulent prouver par une cuisine ridicule des notes qu'ils sont de bons professeurs puisque les élèves ont leurs peaux d'âne .
En notre XXIème siècle, comme si celà ne suffisait pas, pour apprendre des sottises, il n'est pas même besoin de mentors fonctionnaires aux idées obtuses, le monde télévisuel suffit pour apporter le pire aux gogos-consommateurs que sont les enfants .
Si les sciences humaines sont entachées par des croyances religieuses ou sectaires, quel gachis, quelle honte . S'il est des enseignants qui s'en rendent coupables, qu'ils disparaissent vite et ceux qui les payent avec eux . Vite, car il n'est jamais bon de laisser pousser du chiendent trop longtemps, il devient presque indéracinable .
On a rétabli les cours de morale à l'école et je voudrais qu'on les fit d'abord aux enseignants en leur apprenant (je n'ose pas dire rappelant, ce serait trop beau qu'ils le sachent déjà ! ) cette réalité que Voltaire dénonce clairement : "... apprendre des sottises . Il n'y a qu'une chose plus insupportable, c'est de les enseigner ."
« A Jacob Vernes
chez monsieur son père
[vers avril 1758]
Les journaux encyclopédiques, mon cher théologo-philosophe, sont chez le relieur Smith . Dès qu'ils seront revenus, on vous les portera . N'auriez-vous point quelques rogatons sur les colonies anglaises ?
Nous avons aujourd'hui beaucoup de monde . J'espère que nous serons seuls lundi ou mardi . Je vous avertirai . Il est vrai qu'il est dur pour un esprit bien fait de perdre son temps à apprendre des sottises . Il n'y a qu'une chose plus insupportable, c'est de les enseigner . Je voudrais pourtant qu'il n'y eût que des philosophes qui se fissent prêtres . Eux seuls pourraient rendre respectable ce que les écoles ont rendu si ridicule et quelquefois si affreux . Interim vale .
V. »
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02/08/2013
il ne me reste pour tout potage qu’un derrière qui fait mon malheur
... Il est bien des derrières qui fâchent ou attristent , peu font le malheur de leurs malheureux possesseurs . La chirurgie esthétique ? fi ! Le fitness ? oublions ! le proctologue ? aïe ! aïe ! aïe !
Dans le domaine du temps qui passe, il y a aussi des derrières désolants, comme celui choisi par l'ami Geluck
« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'Epinay
[avril 1758]
Madame, j'ai été toute ma vie en butte à la calomnie . Vous m'accusez publiquement d'avoir mangé du lard, et je vous jure devant Dieu que … que... que vous vous êtes trompée un fois en votre vie . Je suis dans un état pitoyable sans l'avoir mérité et affaibli par trois semaines continuelles de perdition de ma chétive substance . Si vous honorez mes pénates de votre présence réelle , amenez avec vous quelque philosophe, ou quelque écuyer, car pour moi je n'ai ni jambes ni tête, il ne me reste pour tout potage qu’un 1 derrière qui fait mon malheur . J'oubliais mon cœur, il est à vous , madame puisqu'il bat encore un peu, et c'est avec le plus tendre respect .
V.
Permettez-moi de demande des nouvelles de l'inoculable 2 et de faire aussi mille compliments à M. de Gauffecourt ; nous l'attendons demain 3. »
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31/07/2013
C'est aux Français à avoir la foire
... Eux qui sont si habitués à la faire pourraient bien se retrouver foireux , hélas .
Je ne résiste pas à montrer cet exemple de plan qui laisse rêveur (si on croit au Père Noêl ! )
« A Pierre Pictet
[vers le 15 avril 1758]
C'est aux Français à avoir la foire . On les a chassés jusqu'à Vesel . On leur a pris deux vaisseaux de 80 pièces de canon . Luc 1 assiège Shvednits . Les Anglais vont tenter une nouvelle descente vers La Rochelle . Le gouvernement fait de nouveaux emprunts, et Paris fait des chansons .
Mme d'Epinay a quitté les Délices .
Je suis toujours un peu malingre, et très reconnaissant de vos bontés .
V. »
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30/07/2013
pourrait-on par votre faveur trouver à Lyon deux tonneaux de bon vin de Serrière ou autre bien potable
... Car en ces temps (qui sont brefs habituellement sous nos climats) de canicule, je sens venir une bonne petite soif .
A propos du Salvagnin, je laisse l'entière responsabilité de son jugement à Volti ; pour ma part je le préfère quand même aux Beaujolais pissés dru, sans toutefois le porter aux nues (fussent-elles alcoolisées ) .
C'est à boire , à boire, à boire , ... qu'il nous faut
« A Ami Camp
et compagnie
à Lyon
Aux Délices 12 avril [1758]
Je vois par vos lettres mon cher monsieur, que vous prévenez tous mes désirs . Je n'ai jamais que des remerciements à faire, soit que je vous écrive ou à M. Tronchin .
Si vous n'avez pas envoyé les cent bouteilles voulez-vous bien y ajouter six bouteilles de vin de Rota ou d'Alicante 1 bien vieux ? Cela conviendrai très fort à mon estomac fort délabré qui est dans un état où le vieux vin d'Alicante est un spécifique . Savez-vous ce que c'est que la nouvelle opération de finance ? Mais ce qui m'importe le plus, pourrait-on par votre faveur trouver à Lyon deux tonneaux de bon vin de Serrière 2 ou autre bien potable , car les huit tonneaux de 1756 ont tous mal réussi, et il me vient du monde ? J'ai recours à vos bontés sans quoi nous serions réduits au Salvagnin 3 et cela serait dur .
Mme Denis et moi nous sommes etc.
Votre très humble et très obéissant serviteur
V. »
1 Voir page 213 et 756 : http://books.google.fr/books?id=o1dDAAAAcAAJ&pg=PA756&lpg=PA756&dq=vin+de+rota&source=bl&ots=1Idz8z2779&sig=ABJ-5WTMhhwSozS5DDqWHeFeSrk&hl=fr&sa=X&ei=5EH4UZ69LOOl0wXexIAw&ved=0CEsQ6AEwBDgK#v=onepage&q=vin%20de%20rota&f=false
2 Sans doute du Macon Serrières : http://www.vin-vigne.com/vin/vin-macon-serrieres-rouge.html
plutôt que le vin de Serrières en Chautagne (Savoie) : http://www.producteursdesavoie.com/fiche-presentation_producteur-88-FR-S-BOSSON-PRODUCTEUR-PARTENAIRES.html
3 Le salvagnin , cépage dit « maintenant disparu » était une sorte de pinot noir . Bescherelle le définit comme un cépage du département de l'Ain qui y aurait été introduit par Voltaire . Actuellement on parle de Salvagnin pour désigner un vin rouge issu de Gamay, de Pinot ou de leur assemblage ; on parlait de Salvagnin dans le vignoble neuchatelois en 1775 . Des redevances en Salvagnin autant qu'en « bon vin blanc » sont livrées aux patriciens genevois par leurs grangiers en 1720 près d'Annemasse . Voir : http://www.academievin.com/pressrelease.aspx?cid=168&lid=2&eid=1&clid=1&ctid=6
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29/07/2013
la France est un bon corps qui s'est toujours guéri de toutes ses maladies et elle en a essuyé de plus violentes
... Et si Voltaire affichait un tel optimisme en pleine Guerre de Sept Ans, c'est qu'il connaissait bien l'Histoire . Dirait-il encore la même chose de nos jours ? Peut-être pas dans notre pays où la grande question reste celle du lieu de vacances pour pouvoir épater la galerie en rentrant, avec, en deuxième plan, l'âge de la retraite qui doit bien évidemment être le plus jeune possible .
Mais je peux me tromper en affichant un certain pessimisme . Les Froggies indisciplinés se noient avec une constance remarquable alors que nous avons par ailleurs des nageurs bien davantage remarquables .
Avec une bonne longueur d'avance
« A Jean -Robert Tronchin
Aux Délices , 7 avril [1758]
Mon cher ami, vous voyez tout avec de bons yeux et je ne veux voir que par les vôtres . Je suis avec vous pour mes affaires comme avec le docteur Tronchin pour ma santé . Quand vous trouverez les effets publics mauvais et que vous vendez les vôtres, je vous prierai de vendre aussi les miens . Nous les avons achetés dans un temps où tout prospérait mais rien n'est encore désespéré . On ne dit pas de bien de nos affaires il est vrai , ni sur terre ni sur mer . Cependant la France est un bon corps qui s'est toujours guéri de toutes ses maladies et elle en a essuyé de plus violentes . Je n'enverrai le mandat de 25 mille livres qu'à la fin du mois, et je vous prierai de ne rien dire des affaires qui sont entre vous et moi à la personne qui doit payer les 25 mille livres .
J'ai envoyé à M. Camp un petit billet de change de 600 livres de Cadix . C'est tout ce que j'ai reçu de MM. Gilly 1 depuis 4 mois . Si ces messieurs traitaient leurs affaires comme les miennes, ils feraient bientôt banqueroute . On dit qu'il y en a beaucoup en France depuis quelque temps . Voilà le fruit de la guerre . C'est un fléau dont tout le monde se ressent . je ne songe qu'à cultiver en paix vos jardins . Je souhaite que vous ayez quelque fleuriste, quelque amateur de potager pour ami à Paris qui vous donne toutes les graines possibles . Quand pourrai-je vous voir à nos petites Délices ? Je viens d'y planter des noyers pour vos arrière-neveux . Mme Denis et moi nous vous embrassons de tout notre cœur .
V. »
1 Voir lettre du 3 février 1758 à Jean-Robert Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/02/02/lettre-sur-un-ministre-public-ce-n-est-pas-une-chose-ordinai.html
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