24/01/2014
Ce sont eux qui sont les dupes car ils ne savent pas jouir
... Yes !!!
« A Charles de Brosses, baron de Montfalcon
5 janvier [1759], aux Délices
(j'aimerais mieux dater de Tournay)
Lynx envers nos pareils et taupes envers nous !1
Il vous sied vraiment bien monsieur, de me dire en courant que je cours, de me dire vivement que je suis vif, et d'ajouter méchamment, vous qui écrivez si bien, que je ne lis pas ce que vous écrivez 2. Je lis vos lettres avec le plus grand plaisir . Je lirai votre Sallustre à mon grand profit, si vous daignez me l'envoyer , et je le ferai même imprimer à Genève avec une préface où je vous louerai depuis les pieds jusqu'à la tête , si vous voulez être imprimé et si votre modestie ne me lie la main et la langue . Je lis et je relis votre contrat, et plus je le relis plus je vois que vous m'avez dicté la loi en vainqueur, mais j'en suis fort aise j'aime à embellir les lieux que j'habite, et je fais à la fois votre bien et mon plaisir . J'ai déjà ordonné qu'on jetât à bas la moitié du château et qu'on changeât l'autre . Les fossés seront grands et réguliers . Nous auront des ponts tournants, et vos arbres de Dodone 3 seront mieux employés à ces embellissements qu'à chauffer la ville de Genève .
Il vaudrait mieux en abattre pour 50 ou 60 louis pour des réparations excellentes que d'en couper pour cent quarante louis comme vous l'avez fait . Je me tiens meilleur père de famille que vous car je ne détruis que pour édifier ; et vous avez, ne vous déplaise, dévasté la moitié de votre forêt pour avoir de l'argent comptant . Vous avez négligé votre terre et moi je la cultive avant d'en être le maître, et vous serez un jour tout étonné d'avoir un château très beau, très peigné et des campagnes fertiles, labourées et semées à la nouvelle mode , et de belles prairies qui sont aujourd'hui couvertes de taupes et que vous verrez arrosées de petits ruisseaux .
Remerciez Dieu de m'avoir fait Suisse, Genevois et Bourguignon, de Parisien que j'étais . Nos Genevois disent que je suis une dupe . Ce sont eux qui sont les dupes car ils ne savent pas jouir et moi je jouis de tout le bien que je fais à votre maison ; comptez que je ne fais cas ici que de votre amitié .
Je vous prie de vouloir bien, monsieur, me dire positivement si mon contrat ne me donne pas le droit de nommer des officiers . Vous m'assurâtes en signant l'acte, que ce droit était incontestable et sous-entendu dans l'acte même . Mais j’aime mieux vous entendre que de sous entendre .
Je vous recommande enixe et fortiter 4 ce maroufle de curé chicaneur qui passe sa vie à plaider et à ruiner de pauvres diables . L'évêque et prince de Genève 5 (qui heureusement n'est rien de tout cela) m'a envoyé une lettre dans laquelle il lave la tête au curé . Mais vous devriez écraser cette tête dure . Il serait plaisant qu'un président et un intendant réunis ne puissent venir à bout de secourir de pauvres diables qu'un prêtre persécute . Il sont été très mal défendus . Ils n'avaient qu'à dire simplement qu'ils étaient possesseurs de bonne foi et qu'ils s'en rapportaient à la cour . Ils n'auraient point été condamnés à 1500 livres de frais pour un objet de trente livres par an . Ne pourraient -ils pas aussi , en qualité de pauvres de Ferney (pauvres de nom, pauvres d'effet et de d'esprit), présenter requête in forma pauperis ?6 1500 livres de frais ! payer le vin que le curé a bu à Dijon et à Mâcon ! cela est abominable . Au nom de Dieu ! miséricorde ! summum jus, summa injuria .7
Les peuples seront-ils encore longtemps ruinés pour aller se faire bafouer, abhorrer et égorger en Germanie , et pour enrichir Marquet et compagnie ,
Et Pâris, et fratres, et qui rapuere sub illia .8
Mille tendres respects .
V.
J'ai encore une grâce à vous demander, c'est de dire à M. de Fleury, votre ami, qu'il n'y a point d'intendant si aimable que lui dans le monde .
Autre grâce : permission de chasse dans le royaume des lièvres pour mon parent Daumart, mousquetaire du roi ; pourrait-il être lieutenant des chasses ? Le gibier serait gardé et les magnifiques seigneurs horlogers 9 ne le mangeraient pas . »
1Fable La Besace de La Fontaine .http://fr.wikisource.org/wiki/La_Besace
2Le 4 janvier 1759 De Brosses écrit , de Dijon, à Charles-Catherine Loppin, baron de Gemeaux : « J'ai passé quinze jours d'arrache-pied avec lui [Voltaire]qui m'ont absolument mis sur les dents . C'est une chose qu'on ne peut pas imaginer, et encore moins décrire, que les écarts d son imagination vagabonde et de sa conversation disparate . Il faut que les fées m'aient absolument protégé pour que j'aie pu finir une affaire avec un homme si voltigeant, qui n'a ni ordre, ni suite, ni arrêt dans ses pensées . J'aimerais autant faire des armes contre une puce . Ce n'est pas seulement un esprit qu'il a , ce sont tous les esprits ensemble qui reviennent dans son crâne et y tiennent le sabbat . »
4 De toutes mes forces.
5 L'évêque de Belley était prince-évêque in partibus infidelium de Genève ; voir lettre du 16 décembre 1758 à Deschamps de Chaumont évêque d'Annecy : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/12/28/des-les-premiers-temps-de-l-eglise-les-saints-peres-se-sont-5257676.html
6Voir lettre du 29 décembre 1758 à Le Bault : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/01/18/un-cure-de-moens-notre-voisin-le-plus-grand-le-plus-dur-le-p-5275076.html
7 Voir lettre du 1er janvier 1759 à Fabry : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/01/21/summum-jus-summa-injuria-comble-du-droit-comble-de-l-injusti-5277653.html
8Et Pâris, et ses frères, et ceux qui ont volé sous leurs ordres ; V* joue sur le nom de Pâris = héros antique ou Paris-Duverney, banquier .
9Les Genevois .
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