17/12/2014
La musique change, c'est une affaire de goût et de mode ; mais le cœur humain ne change pas
... https://www.youtube.com/watch?v=Fk0V_GGa2XM&list=RDFk0V_GGa2XM#t=9
Shine on you ! crazy men !!
« Au comte Francesco ALGAROTTI.
Aux Délices, 10 décembre 1759
Quando mi capito la vostra gentile epistola, stava bene, e ne fui allegro tutto il giorno ; ma sono ricaduto, sto male, e sono pigro, attristato, malinconico, ho abbandonato un mese i miei armenti, e l'istoria, e la poesia, ed ancora voi stesso, Cigno di Padova, che cantate adesso sulle sponde del picciol Reno, parvique Bononia Reni 1.
Vi parlerô prima dell' opéra rappresentata nella corte di Parma,
Che quanto per udita io ve ne parlo ;
Signor, miraste, e feste altrui mirarla.2
Il vostro Saggio sopra l' Opéra1 in musica 3 fu il fondamento della riforma del regno de' castrati. Il legame delle feste e dell' azione, a noi Francesi si caro, sarà forse un giorno l' inviolabil legge dell' opera italiana 4.
Notre quatrième acte de l'opéra de Roland 5, par exemple, est en ce genre un modèle accompli. Rien n'est si agréable, si heureux que cette fête des bergers qui annoncent à Roland son malheur ; ce contraste naturel d'une joie naïve et d'une douleur affreuse est un morceau admirable en tout temps et en tout pays. La musique change, c'est une affaire de goût et de mode ; mais le cœur humain ne change pas. Au reste la musique de Lulli était alors la vôtre ; et pouvait-il, lui qui était un valente buggerone di Firenze 6, connaître une autre musique que l'italienne ? Je compte envoyer incessamment à M. Albergati la pièce que j'ai jouée sur mon petit théâtre de Tournay, et qu'il veut bien faire jouer sur le sien, en cas qu'il ne soit point effrayé d'avoir commerce avec une espèce d'hérétique, moitié Français, moitié Suisse. Je crois, messieurs, que, dans le fond du cœur, vous ne valez pas mieux que nous ; mais vous êtes heureusement contraints de faire votre salut.
M. Albergati m'a mandé qu'il avait vraiment une permission de faire venir des livres. 0 Dio ! o Dei immortales !7 Les jacobins avaient-ils quelque intendance sur la bibliothèque d'un sénateur romain ? Yes, good sir, I am free and far more free than all the citizens of Geneva. Libertas, que, sera, tamen respexit sed non inertem.8 C'est à elle seule qu'il faut dire : Tecum vivere amem tecum obeam libenter 9. Cependant j'écris l'histoire du plus despotique bouvier 10 qui ait jamais conduit des bêtes à cornes ; mais il les a changées en hommes. J'ai chez moi, au moment que je vous écris, un jeune Soltikof, neveu de celui qui a battu le roi de Prusse ; il a l'âme d'un Anglais, et l'esprit d'un Italien.
Le plus zélé et le plus modeste protecteur des lettres que nous ayons à présent en Europe est M. de Schouvalow, le favori de l'impératrice de Russie : ainsi les arts font le tour du monde. J'ai bien peur que bientôt ils ne périssent à Berlin . Le roi de Prusse me mandait le 17 novembre : je vous écrirai dans trois jours de Dresde … et au bout de trois jours il perd vingt mille hommes .
Du triomphe, à la chute il n'est souvent qu'un pas 11.
Niente dal vostro librajo ; ve l' ho detto, a un mancatore 12. Annibal et Brennus passèrent les Alpes moins difficilement que ne font les livres. Intérim, vive felix, and dare to come to us 13.
V. »
1 Silius Italicus, Les Guerres Puniques, VIII, 599 ; voir : http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/Silius_puniquesVIII/lecture/6.htm
2 « Qui, à ce qu'en dit la renommée / A été admirée de vous et que vous avez fait admirer aux autres . » Arioste, Orlando furioso, chant XL, 1, citation inexacte ; « che quanto per udita io ve ne parlo,
Signor, miraste, e feste altrui mirarlo », voir :http://www.atuttascuola.it/orlando/orl40.htm
3 Essai d'Algarotti publié pour la première fois en 1755 . Le chevalier de Chastellux publiera une traduction de cet Essai en 1773.
4 Traduction : Quand je reçus votre gentille lettre, j'étais bien portant, et je fus allègre tout le jour. Mais je suis retombé malade, et redevenu paresseux, triste, mélancolique; j'ai abandonné mes troupeaux, et l'histoire, et la poésie, et vous-même, cygne de Padoue, qui chantez maintenant sur les bords du petit Rhin, « du petit Rhin de Bologne ». Je vous parlerai d'abord de l'opéra représenté à la cour de Parme, quoique je n'en parle que d'après ce que j'en ai ouï dire : vous l'avez admiré et l'avez fait admirer. Votre Essai sur l'Opéra a amené la réforme du règne des castrats. Le lien des fêtes et de l'action, si cher à nous autres Français, sera un jour l'inviolable loi de l'opéra italien.[NB : on a traduit par tragédie le mot opera qui peut signifier aussi bien œuvre dramatique qu'opéra ; l’œuvre jouée à parme était La Sémiramis, tragédie en musique d'après Sémiramis de V* ; voir lettre du 24 septembre 1759 au marquis Cappacelli : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/10/11/m... ]
5 Paroles de Quinault, musique de Lulli; 1685. Voir : http://sitelully.free.fr/livretroland.htm
et écouter : https://www.youtube.com/watch?v=sovAsG6kHL8
6 Un fameux bougre de Florence ; les mots de « bougre » et homme de Florence » sont appliqués par La Fontaine à Lully dans son épître satyrique du Florentin ; voir : http://sitelully.free.fr/contemporains.htm
Algarotti a donné b... ; le mot est pris dans la copie Beaumarchais .
7 Latin et italien mélés : ô Dieu ! Ô Dieux immortels .
8 Oui, mon bon monsieur, je suis libre et bien plus libre que tous les citoyens de Genève . La liberté qui a enfin daigné me favoriser, moi qui pourtant n'était pas inactif . La dernière phrase est adaptée de Virgile, Bucoliques, I,27 avec addition de la conjonction sed et de la négation non, ce qui renverse le sens .
9 Avec toi j'aimerais vivre, avec toi je mourrais de bon cœur . Horace, Odes, III, ix, 24 : Tecum vivere amem, tecum obeam libens .
10 Pierre le Grand .
11 Ce vers tragique n'est pas identifié .
12 Rien de votre libraire ; je vous l'ai dit, c'est un homme sans parole .
13 En attendant vis heureux, et ose venir jusqu'à nous
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