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14/03/2016

Je le répète, monsieur, si on avait fait cet outrage à la fille d'un procureur, l'auteur de l'insulte serait puni

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« A Ponce-Denis Ecouchard Le Brun

Aux Délices , 26 mars 1761

Je confie, monsieur, à votre probité, à votre zèle et à votre prudence qu'un gentilhomme d'auprès de Gex, nommé M. de Crassy, capitaine au régiment de Deux-ponts, nous a demandé Mlle Corneille en mariage pour un gentilhomme de ses parents .

Celui qui avait cette alliance en vue demandait une fille noble, bien élevée, et dont les mœurs convinssent à la simplicité d'un pays qui tient beaucoup à la Suisse . Le hasard a fait que la feuille de Fréron, dans laquelle Mlle Corneille est déshonorée, a été lue par ce gentilhomme . Il y a lu que le père de la demoiselle est une espèce de petit commis de la poste à deux sous, à cinquante livres par mois de gages, et que sa fille a quitté son couvent pour venir recevoir chez moi son éducation d'un bateleur de la foire . Cette insulte a fait beaucoup de bruit à Genève où les feuilles du nommé Fréron sont lues . On a les yeux sur notre maison . Le scandale a circulé dans toute la province . Le gentilhomme qui se proposait pour Mlle Corneille a été très refroidi, et il est vraisemblable que cet établissement n'aura pas lieu . Enfin Mlle Corneille a été instruite des lignes diffamatoires de Fréron . Jugez de son état et de son affliction . Elle a pris le parti d'envoyer un mémoire de dix ou douze lignes à M. le comte de Saint-Florentin, à M. Séguier, avocat général, et à monsieur le lieutenant de police . Nous lui avons conseillé cette démarche . Ce mémoire est aussi simple que court ; et pour peu qu'il y ait encore de justice et d'honneur chez les hommes, la plainte de Mlle Corneille doit faire une grande impression . Nous savons bien que M. Séguier ne se mêlera pas directement de cette affaire, mais étant informé qu’il est personnellement outré contre ce monstre de Fréron , nous avons cru qu'il était bon de lui adresser un mémoire . Nous pensons, Mme Denis et moi, que si vous voulez bien, monsieur, appuyer les justes plaintes d'une demoiselle qui porte le nom de Corneille , qui vous a déjà tant d'obligations, et qui se trouve publiquement déshonorée par un scélérat, enfin qui est sur le point de perdre un établissent avantageux, vous réussirez infailliblement en présentant à M. de Saint-Florentin et à M. de Sartine , déjà instruits de l'atrocité du nommé Fréron, l'impudence avec laquelle il diffame en six lignes une famille entière, le tort irréparable qu'il fait à une demoiselle d'un nom respectable ; vous engagerez aisément M. Séguier a protéger cette victime que Fréron immole à sa méchanceté . Je le répète, monsieur, si on avait fait cet outrage à la fille d'un procureur, l'auteur de l'insulte serait puni . Vous communiquerez sans doute ma lettre à M. du Tillet, qui doit ressentir plus vivement que personne l'affront et le tort faits à Mlle Corneille . Il me semble que vous pouvez parler fortement à M. de Saint-Florentin et à M. de Sartine . J'ose même présumer que Mgr le prince de Conti accordera sa protection à la vertu et à la noblesse insultées . Je ne sais par quelle méprise on a pu confondre la diffamation de cette demoiselle avec des critiques de vers . Il s'agit ici de l'honneur . Nous attendons tout de vous, et de l'auguste maison où vous êtes .

Votre très humble et très obéissant serviteur

V. »

 

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