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08/10/2017

Il est difficile de guérir de loin, quand on estropie de près

... C'est pourtant ce qu'on fait chaque fois qu'on tente de résoudre des conflits diplomatiquement et qu'on envoie dans le même temps les Casques bleus .

 

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On n'est pas loin de la réalité .

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

28 novembre [1762]1

Je vous remercie, mon cher frère, de l’ouvrage odieux que je vous avais demandé 2, et dont j’ai reçu le premier volume. Je ne l’avais parcouru autrefois qu’avec mépris, je ne le lis aujourd’hui qu’avec horreur. Ce scélérat hypocrite 3 appelle, dans sa préface, la tolérance système monstrueux. Je ne connais de monstrueux que le livre de ce misérable, et sa conduite digne de son livre. Notre frère Thieriot l’a vu autrefois maquereau chez Laugeois ; je l’ai vu depuis secrétaire d’un athée, et il a fini par être l’avocat bavard de la superstition. On m’a dit que son détestable livre avait du crédit en Sorbonne ; c’est de quoi je ne suis pas surpris. Je me flatte au moins que ceux de mes frères qui travaillent à éclairer le genre humain, dans l’Encyclopédie, nous donneront des antidotes contre tous les poisons assoupissants que tant de charlatans ne cessent de nous présenter. J’achèverai ma vie dans la douce espérance qu’un jour un de nos dignes frères écrasera l’hydre : c’est le plus grand service qu’il puisse rendre au genre humain ; tous les êtres pensants le béniront.

Continuez, mon cher frère, à égayer la tristesse de votre emploi, et à vous soutenir par la solidité de la philosophie.

Felix qui potuit rerum cognoscere causas !4

Quoique je ne m’intéresse guère aux choses de ce monde, je serais pourtant curieux de savoir ce qu’est devenu le procès criminel du sieur Bigot 5. On disait que le peuple aurait la consolation de voir pendre un intendant ; mais je n’en crois rien. Je demande aussi des nouvelles de l'Irlandais Lalli 6 qui s'avisa, il y a environ dix-huit mois, de faire pendre le fils du premier conseiller de Pondicheri, mon ancien camarade de collège, parce que ce jeune homme ne s’était pas rangé assez tôt devant son éléphant, ou devant son palanquin .

Il me paraît que frère Thieriot a renoncé à la philosophie active. Il a raison de faire grand cas du dîner et du dormir : ce sont deux fort bonnes choses ; mais il faut trouver à son réveil quelques quarts-d’heure pour ses amis.

J’envoie à Esculape-Tronchin le mémoire à consulter ; mais songez que j’ai chez moi un parent de vingt et un ans 7 auquel Esculape fit ouvrir la cuisse il y a deux ans, et qui suppure depuis ce temps-là sans pouvoir se remuer. Il est difficile de guérir de loin, quand on estropie de près. Tronchin est assurément un grand médecin, mais la médecine est souvent bien dangereuse.

Voulez-vous bien faire parvenir ces deux saintes épîtres 8 à nos frères d’Alembert et Saurin ? J’embrasse en Platon, en Diagoras, notre grand frère Diderot. »



1 La copie Beaumarchais-Kehl , suivie des autres éditions, joint au début de cette lettre celle du 10 décembre 1762 : voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/05/correspondance-annee-1762-partie-31.html

2 La Vérité de la religion chrétienne prouvée par les faits, de l'abbé d'Houtteville ; voir lettre du 25 octobre 1762 à Damilaville ; http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/09/21/mais-enfin-la-grace-tire-parti-de-tout-5981785.html

4 Heureux qui a pu pénétrer les causes des choses ; Virgile, Georgiques, II, 490 .

5 François Bigot, intendant délégué du Canada, fut, quoique soupçonné de prévarication, nommé intendant en 1748 . En 1760 il fut rappelé , emprisonné en 1761, et condamné à mort en 1763 . sa peine fut commuée en bannissement . Voir Guy Frégault, François Bigot, 1948 .Et voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Bigot

et : http://www.biographi.ca/fr/bio/bigot_francois_1778_4F.html

6 Lally s'était constitué prisonnier le 5 novembre 1761 et commençait à ressentir l'animosité de Choiseul . Il finira décapité, et V* entreprendra sa réhabilitation . Il est curieux de voir que V* se fait ici son accusateur ; on comprend pourquoi l'édition de Kehl a jugé prudent de supprimer toute cette phrase qui manque aussi dans toutes les éditions . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Arthur_de_Lally-Tollendal

et : http://www.romans-patrimoine.com/Pages/Actualites/bibliotheque/lally_tollendal.htm

7 Voir lettre du 7 septembre 1760 à T. Tronchin :

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