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20/04/2019

Ceux qu’il attaque, et ceux qu’il loue , doivent être également mécontents . Le public doit l’être bien davantage, car il veut être amusé, et il est ennuyé ; c’est ce qui ne se pardonne jamais

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« A Etienne-Noël Damilaville

16è mars 1764 1

En réponse, mon cher frère, à votre lettre du 9è mars, je ne suis point surpris que la plate et ennuyeuse satire 2 pour laquelle on avait obtenu , à la honte du siècle, une permission tacite ait attiré à son auteur l’indignation et le mépris. Madame Denis, qui a voulu la lire, n’a jamais pu l’achever. Il n’y a certainement que les intéressés qui puissent avoir le courage de lire un tel ouvrage jusqu’au bout, et ceux-là n’en diront pas de bien. S’il y avait quelque chose de plaisant, ce serait qu'on met M. Diderot au nombre des sots. Il faut bien se donner de garde de répondre en forme à une telle impertinence ; mais je pense qu’on ne ferait pas mal de désigner cet infâme ouvrage dans l’Encyclopédie, à l’article satire, et d’inspirer au public et à la postérité l’horreur et le mépris qu’on doit à ces malheureux qui prétendent être en droit d’insulter les plus honnêtes gens, parce que Despréaux s’est moqué, en passant, de quelques poètes 3. Il faut avouer que le premier qui donna cet affreux exemple a été le poète Rousseau, homme, à mon sens, d’un très médiocre génie. Il mit ses chardons piquants dans des satires où Boileau jetait des fleurs. Les mots de bélître, de maroufle, de louve, etc., sont prodigués par Rousseau ; mais du moins il y a quelques bons vers au milieu de ces horreurs révoltantes et la prétendue Dunciade n’a pas ce mérite. Ceux qu’il attaque, et ceux qu’il loue 4, doivent être également mécontents . Le public doit l’être bien davantage, car il veut être amusé, et il est ennuyé ; c’est ce qui ne se pardonne jamais.

Je crois, mon cher frère, qu’il n’est pas encore temps de songer à la publication de la Tolérance ; mais il est toujours temps d’en demander une vingtaine d’exemplaires à M. de Sartines. Vous les donneriez à vos amis, qui les prêteraient à leurs amis ; cela composerait une centaine de suffrages qui feraient grand bien à la bonne cause ; car, entre nous, les notes qui sont au bas des pages sont aussi favorables à cette bonne cause que le texte l’est à la tolérance.

Je vous admire toujours de donner tant de soins aux belles-lettres, à la philosophie, au bien public, au milieu de vos occupations arithmétiques et des détails prodigieux dont vous devez être accablé.

Puisque votre belle âme prend un intérêt si sensible à tout ce qui concerne l’honneur des lettres et les devoirs de la société, il faut vous apprendre que Jean-Jacques, ayant voulu imiter Platon , après avoir imité Diogène, vient de donner incognito un détestable opuscule sur les dangers de la poésie et du théâtre 5. Il m’apostrophe dans cet ouvrage, moi et frère Thieriot, sous des noms grecs 6; il dit que je n’ai jamais pu attirer auprès de moi que Thieriot, et que je n’ai réussi qu’à en faire un ingrat. Si la chose était vraie, je serais très fâché : j’ai toujours voulu croire que Thieriot n’était que paresseux. Je vous embrasse bien tendrement, mon cher frère. Ecr. l’inf.

N.B. – Je vous [suis] très obligé de l'avis que vous me donnez sur Guy Duchesne . Voici ma réponse 7. »

1 Copie par Wagnière ; l'édition de Kehl incomplète du dernier paragraphe et des mots ,à la honte du siècle [à la 3è ligne].

2 La Dunciade .

3 C'est la thèse soutenue par Palissot dans la préface de La Dunciade . Mais il faut reconnaître que les écrivains qu'il attaque n'ont pas ménagé leurs adversaires .

4 Parmi lesquels V* lui-même, que Palissot ménage beaucoup .

5 Cet ouvrage décrit à propos de la lettre du 8 mars 1764 à Cramer n'est pas anonyme : le nom de l'auteur figure sur la page de titre ; voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/04/05/il-est-bien-juste-que-sa-vie-et-ses-ouvrages-soient-des-contradictions-perp.html

et : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k10400824

6 Rousseau s'en prend à V*, longuement, sous le masque d'Homère . Mais ce qu'il dit d'Homère lui-même se mêle si étroitement à ce qu'il laisse entendre de V* que peu de lecteurs durent comprendre ses allusions , telle celle-ci : « Comment se peut-il que vous n’ayez attiré près de vous que le seul Cléophile ? encore n’en fîtes-vous qu’un ingrat. »

7 Cette réponse n'a pas à proprement parler survécu ; mais il est certain que l'affaire dont il s'agit est celle qui a donné lieu à la lettre ou déclaration du 15 mars 1764 à Pierre Guy : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/04/15/j...

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