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16/12/2019

on ose dire aujourd’hui bien des choses auxquelles on n’aurait osé penser il y a trente années

... L'inverse est vrai aussi !

 

 

« A Charles Bordes

27è octobre 1764 aux Délices 1

près de Genève

Puisque vous nous avez promis, monsieur, de nous confier votre comédie, vous tiendrez votre promesse. N’allez pas manquer de parole par excès de modestie. Il me paraît impossible qu’avec l’esprit que vous avez, vous n’ayez pas fait une très bonne pièce . J’ai vu de vous des choses charmantes dans plus d’un genre. Nous vous promettrons le secret, et nous remplirons, madame Denis et moi, toutes les conditions que vous nous imposerez.

Je vous assure sur mon honneur que le Dictionnaire philosophique est de plusieurs mains. L’article Apocalypse est de M. Abauzit, de Genève, vieillard de quatre-vingts ans, qui a un grand mérite et une science immense.

L’article Messie est du premier pasteur de Lausanne . Ce morceau me paraît savant et bien fait. Il était destiné pour l’Encyclopédie ; peut-être même l’y trouverons-nous imprimé.

Vous voyez qu’on ose dire aujourd’hui bien des choses auxquelles on n’aurait osé penser il y a trente années. Le marquis d’Argens vient d’imprimer à Berlin le discours de l’empereur Julien contre les Galiléens 2, discours à la vérité un peu faible, mais beaucoup plus faiblement réfuté par saint Cyrille. Des amis du genre humain font aujourd’hui des efforts de tous côtés pour inspirer aux hommes la tolérance, tandis qu’à Toulouse on roue un homme pour plaire à Dieu, qu’on brûle des juifs en Portugal, et qu’on persécute en France des philosophes 3.

Adieu, monsieur ; n’aurais-je jamais le plaisir de vous revoir ? Je vous avertis que, si vous ne venez point à Ferney, je me traînerai à Lyon avec toute ma famille. Je vous embrasse en philosophe, sans cérémonie et de bon cœur.

V.

Je ne peux écrire de ma main ; ma santé et mes yeux sont dans un état pitoyable. »

1 L'édition de Kehl donne un texte abrégé amalgamé avec celui de la lettre du 6 octobre 1764 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/11/25/c-etait-un-apprenti-pretre-qui-a-renonce-au-metier-et-qui-parait-assez-phil.html

2 Sur l'ouvrage de Julien, voir la lettre du 15 octobre 1764 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/12/01/il-n-y-en-ait-pas-un-qui-s-empresse-a-porter-au-moins-un-peu-d-eau-quand-il.html

La défense du christianisme de saint Cyrille d'Alexandrie s'appelle Contra Julianum ; voir : https://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_1988_num_66_1_6933_t1_0126_0000_3

3 Si la justice a en France la main très lourde malgré un certain nombre de réformes ou adoucissements dans la pratique, on ne peut pas dire qu'elle ait réellement persécuté les philosophes ; ceux-ci forment même un parti puissant et influent ; aucun autre pays d'Europe, à l'exception de l'Angleterre, n'est dans la pratique plus tolérant par rapport à la circulation des idées . Ce qui est vrai, c'est que la publication du Dictionnaire philosophique et sa diffusion dans certains milieux (jeunes officiers par exemple ) provoquent une vive réaction dont l'affaire La Barre sera la principale manifestation ( https://fr.vikidia.org/wiki/Affaire_du_chevalier_de_La_Ba... ).

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