23/01/2020
je ne m’épouvante de rien. Je trouve que plus on est vieux, plus on doit être hardi. Je suis du sentiment du vieux Renaud qui disait qu’il n’appartenait qu’aux gens de quatre-vingts ans de conspirer
... On a là une idée de ce que pense/penserait Vladimir Poutine, qui est pourtant bien loin d'être philosophe .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
27 novembre 1764
A l'un de mes anges , ou aux deux ensemble.
Les lettres se croisent, et le fil s’embrouille. La lettre du 21 Novembre 1 m’apprend ou qu’on n’avait pas encore reçu les lettres patentes de Mlles Doligny et Luzy, ou qu’elles ont été perdues avec un paquet adressé, autant qu’on peut s’en souvenir, à M. de Courteilles. Tous mes paquets ont été envoyés depuis un mois à cette adresse, excepté un ou deux à l’abbé Arnaud ou à Marin. Il serait triste qu’il y eût un paquet d’égaré. Dans ce doute, voici de nouvelles patentes.
Je vous avais mandé que M. de Richelieu m’avait donné toute liberté sur la distribution de ces bénéfices 2. Si M. de Richelieu change d’avis, je n’en changerai point ; je crois son goût pour mademoiselle d’Epinay passé, et j’imagine que sa fureur de vous contrecarrer sur les affaires du tripot, est aussi fort diminuée.
Je vous supplie, mes divins anges, d’assurer M. Marin de ma très vive reconnaissance. Je voudrais bien pouvoir la lui marquer, et vous me feriez grand plaisir de me dire comment je pourrais m’y prendre.
Il est très vrai que j’avais fait une balourdise énorme, en ajoutant, à la réponse faite à M. de Foncemagne en 1750, les noms du cardinal Albéroni 3 et du maréchal de Belle-Isle 4 ; je fis cette sottise en corrigeant l’épreuve à la hâte. On est bien heureux d’avoir des anges gardiens qui réparent si bien de pareilles fautes. Mais je jure encore, par les ailes de mes anges, que j’ai retrouvé parmi mes paperasses cette lettre de 1750, écrite de la main du clerc qui griffonnait alors mes pensées ; je ne trompe jamais mes anges.
On m’a mandé qu’un honnête homme, qui a approfondi la matière du testament, et qui ne laisse rien échapper, a porté une sentence d’arbitre entre M. de Foncemagne et moi 5. On la dit sage, polie, instructive, et très bien motivée .
Il paraît tous les mois sous mon nom, en Angleterre ou en Hollande, quelques livres édifiants. Ce n’est pas ma faute ; je ne dois m’en prendre qu’à ma réputation de bon chrétien, et mettre tout aux pieds du crucifix.
J’ai bien peur que maître Omer ne veuille me procurer la couronne du martyre. Ces Omer sont très capables de joindre au Portatif la tragédie sainte de Saül et David, que le scélérat de Besogne, libraire de Rouen, a imprimée sous mon nom ; Messieurs pourraient bien me décréter, et quoique je ne fasse cas que des décrets éternels de la Providence, cette aventure serait aussi embarrassante que désagréable. Je connais toute la mauvaise volonté des Omer ; je n’ai jamais été content d’aucun Fleury, pas même du cardinal, pas même du confesseur du roi, auteur de l’Histoire ecclésiastique 6; je ne conçois pas comment il a pu faire de si excellents discours, et une histoire si puérile.
Au reste, je ne me porte pas assez bien pour me fâcher, et mes yeux sont dans un trop triste état pour que je revoie les Roués. Je me sers d’une drogue qui me rendra ou qui m’ôtera la vue tout à fait ; je n’aime pas les partis mitoyens.
Mes chers anges, conservez-moi vos célestes bontés. Toute ma famille se prosterne à l’ombre de vos ailes.
On nous parle aussi d’une petite assignation de notre curé : la robe de tous côtés me persécute ; mais je ne m’épouvante de rien. Je trouve que plus on est vieux, plus on doit être hardi. Je suis du sentiment du vieux Renaud qui disait qu’il n’appartenait qu’aux gens de quatre-vingts ans de conspirer.7 »
1 Cette lettre est conservée .
2 Par la lettre du 2 novembre 1764 à d'Argental : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/08/correspondance-annee-1765-partie-35.html
3 Car le Testament politique du cardinal Alberoni, de Maubert de Gouvest, ne remonte qu'à 1753 : https://books.google.fr/books?id=yHMGAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
. V* pouvait donc difficilement le connaître en 1750, ce qui détruit tout l'édifice qu'il a péniblement élevé pour « vieillir » sa réponse .
4 Le testament du cardinal de Belle-Isle parut en 1761 : https://data.bnf.fr/fr/10739486/charles_fouquet_belle-isle/
; nouvel anachronisme souligné officieusement par d'Argental .
5 Cet « honnête homme » est V* lui-même, auteur véritable de l'Arbitrage entre M. de Voltaire et M. de Foncemagne , 1764 : https://books.google.fr/books?id=Y9EZuDm3SbsC&pg=PA712&lpg=PA712&dq=Arbitrage+entre+M.+de+Voltaire+et+M.+de+Foncemagne+,+1764+.&source=bl&ots=N-N9qNU1dx&sig=ACfU3U2VzrEo29kpF9moWjMq8iK3IgfQzA&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiZ0ev2u5jnAhV2AWMBHX90DsoQ6AEwAnoECAYQAQ#v=onepage&q=Arbitrage%20entre%20M.%20de%20Voltaire%20et%20M.%20de%20Foncemagne%20%2C%201764%20.&f=false
6 V* reviendra sur ce sujet dans une lettre ouverte à Damilaville à la date du 7 mai 1770 .
7 Dans la Conjuration des Espagnols contre la ville de Venise, de Saint-Réal : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62079192.texteImage
et voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A9sar_Vichard_de_Saint-R%C3%A9al
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