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10/08/2015

vous saurez que V. se moque de tout cela, qu'il rit tant qu'il peut et que s'il digérait il rirait bien davantage

... Ce qui me rappelle que mes bien-aimés parents, pour "rire à gorge déployée" ( on se croirait chez l'ORL ! ) disaient "se tord-boyauder" (là , on est chez le gastro-entérologue ! ), ce qui est bien dans le raisonnement voltairien .

Mis en ligne le 15/11/2020 pour le 10/8/2015

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

[10 août 1760] 1

Je cherche ma dernière lettre à mon cher Palissot pour vous l'envoyer . Palissot est un brave homme ; il imprime français, aurais, ferais par un â et les encyclopédistes n'en ont pas tant fait 2. Ce drôle-là ne manque pas d'esprit et a même quelque talent . Mais c'est un calomniateur que mon cher Palissot, un misérable, et j'ai eu l'honneur de l'en avertir assez gaiement . Autant que je peux m'en souvenir ma dernière lettre à ce cher Palissot était toute chrétienne .

Je doute fort que M. de Malesherbes me rende d'importants services 3. Un folliculaire 4 qui fait la feuille intitulée L'Avant-Coureur, nommé Jonval 5 , demeurant quai de Conti, m'a mandé qu'on lui avait donné L'Oracle des philosophes 6 à annoncer . Vous savez ce que c'est que cet oracle . Pour moi j'en ignore l'auteur . Mon divin ange vous me ferez plaisir de me faire connaître ce bon homme . Je lui dois au moins un remerciement . Ce Jonval l'annonçait donc, et en même temps le dénonçait aux honnêtes gens comme un plat libelle . Il prétend que son censeur qu'il ne nomme pas lui a rayé son annonce et lui a dit, si vous tombez sur V. on vous en saura gré, mais si vous voulez défendre V. on ne vous le permettra pas . Or mon cher ange vous saurez que V. se moque de tout cela, qu'il rit tant qu'il peut et que s'il digérait il rirait bien davantage . Ô anges V. baise le bout de vos ailes avec plus de dévotion que jamais .

N.B.-- Nous voici à dimanche 10 auguste, ou barbarement août . Le bruit se répand sur le Haut-Rhin, de là à Bâle, de Bâle à Shafouze, de Shafouze à Berne, de Berne aux Délices que le maréchal Daun a défait l'armée de Luc sans ressource 7 . Demain nous en saurons davantage . Il serait doux d'écraser dans le même mois Luc, Fréron et Pompignan . La poste partira avant que je puisse vous dire des nouvelles ; mais au bout de vingt-quatre heures vous en saurez plus que moi par les courriers que recevra M. le duc de Choiseul, supposé que cette nouvelle soit plus vraie que celle des 22 jésuites pendus .

11 au matin . La nouvelle n'est pas vraie . Ce n'est qu'un confirmation de la nouvelle de la levée du siège de Dresde avec quelque perte .

Voici trois pancartes pour M . de Chauvelin que je fourre dans le paquet . La poste part . »

1 Date mentionnée par d'Argental avec la notation « Re[pondu] » . Tout le post-scriptum suite à la copie de Beaumarchais, manque dans l'édition de Kehl et suivantes .

2 Allusion à la réforme orthographique préconisée par V* (après Berlin à la fin du XVIIè siècle), et qui consistait à substituer -ai- à -oi- dans les désinences d'imparfait et de conditionnel et dans quelques autres mots (connaître, raie, français, anglais, japonais, etc.) pour lesquels la prononciation courante était è . Voir la lettre à Berger du 5 avril 1736 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/02/01/8d35e392882d0ebe4a27cc4805560aba.html

3 Malesherbes avait certainement informé d'Argental de ses efforts pour réduire Fréron au silence ; la correspondance entre Fréron, Malesherbes et Coqueley ( reproduite par Besterman pour la période allant du 18 juillet au 21 août 1760) montre quelles furent les difficultés rencontrées par Fréron pour se défendre dans son propre journal, du fait d'un censeur pointilleux et hostile .Il n'y a sans doute pas d'aspect plus difficile à pardonner dans l'attitude et le caractère de V* que cet acharnement à réduire au silence, grâce au bras séculier, des personnages contre lesquels il s'acharne obstinément, nommément et semble-t-il sans aucune considération des lois qu'il invoque lui-même contre eux .

4 V* venait de créer ce néologisme dans Candide, chap . XXII :

5 Jonval (dont l'identité n'est pas autrement connue) était l'un des rédacteurs d'un hebdomadaire fondé en 1759 sous le nom de La Feuille nécessaire, contenant divers détails sur les sciences, les lettres et les arts, qui devint en 1760 l'Avant-coureur, Feuille hebdomadaire, où sont annoncés les objets particuliers des sciences et des arts,etc. Cette feuille qui a survécu jusqu'en 1774, se signale , à cette époque d’irréligion agressive, par sa modération et son orthodoxie .

6 Sur L'Oracle des philosophes que V* avait en main dès le début de juin, voir lettre du 4 juin 1760 à Palissot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/06/04/il-y-a-des-articles-pitoyables-sans-doute-et-les-miens-pourr-5634190.html

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