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12/11/2021

Quand on peut, avec des paroles, tirer une famille d’honnêtes gens de la plus horrible calamité, on doit dire ces paroles . Je vous le demande en grâce.

... L'actualité du côté de la Pologne et de l'Ukraine, avec la maltraitance des réfugiés doit inciter les dirigeants des autres pays à crier contre ces injustices, sans tarder . Il est temps que Loukachenko, ce sale individu soutenu par le petit Poutine , se fasse corriger par l'Europe . Bernard Guetta ne doit pas rester le seul lanceur d'alerte : https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/migrant...

 

 

 

« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu

19 août [1766] comme disent les Velches,

car ailleurs on dit auguste. 1

Je demande pardon à mon héros de ne lui point écrire de ma main, et je lui demande encore pardon de ne lui pas écrire gaiement ; mais je suis malade et triste. Sa missionnaire a l’air d’un oiseau 2 ; elle s’en retourne à tire-d’aile à Paris. Vous avez bien raison de dire qu’elle a une imagination brillante, et faite pour vous. Elle dit que vous n’avez que trente à quarante ans, tout au plus . Elle me confirme dans l’idée où j’ai toujours été que vous n’êtes pas un homme comme un autre. Je vous admire sans pouvoir vous suivre. Vous savez que la terre est couverte de chênes et de roseaux : vous êtes le chêne, et je suis un vieux roseau tout courbé par les orages. J’avoue même que la tempête qui a fait périr ce jeune fou de chevalier de La Barre m’a fait plier la tête. Il faut bien que ce malheureux jeune homme n’ait pas été aussi coupable qu’on l’a dit, puisque non-seulement huit avocats ont pris sa défense, mais que, de vingt-cinq juges, il y en a eu dix qui n’ont jamais voulu opiner à la mort.

J’ai une nièce dont les terres sont aux portes d’Abbeville ; j’ai entre les mains l’interrogatoire ; et je peux vous assurer que, dans toute cette affaire, il y a tout au plus de quoi enfermer pour trois mois à Saint-Lazare des étourdis dont le plus âgé avait vingt et un ans, et le plus jeune quinze ans et demi.

Il semble que l’affaire des Calas n’ait inspiré que de la cruauté. Je ne m’accoutume point à ce mélange de frivolité et de barbarie , des singes devenus des tigres affligent ma sensibilité, et révoltent mon esprit. Il est triste que les nations étrangères ne nous connaissent, depuis quelques années, que par les choses les plus avilissantes et les plus odieuses.

Je ne suis pas étonné d’ailleurs que la calomnie se joigne à la cruauté. Le hasard, ce maître du monde, m’avait adressé une malheureuse famille qui se trouve précisément dans la même situation que les Calas, et pour laquelle les mêmes avocats vont présenter la même requête. Le roi de Prusse m’ayant envoyé cent écus 3 d’aumône pour cette famille malheureuse, et lui ayant offert un asile dans ses États, je lui ai répondu avec la cajolerie qu’il faut mettre dans les lettres qu’on écrit à des rois victorieux. C’était dans le temps que M. le prince de Brunswick 4 faisait à mes petits pénates le même honneur que vous avez daigné leur faire. Voilà l’occasion du bruit qui a couru que je voulais aller finir ma carrière dans les États du roi de Prusse : chose dont je suis très éloigné, presque tout mon bien étant placé dans le Palatinat et dans la Souabe. Je sais que tous les lieux sont égaux, et qu’il est fort indifférent de mourir sur les bords de l’Elbe ou du Rhin. Je quitterais même sans regret la retraite où vous avez daigné me voir, et que j’ai très embellie. Il la faudra même quitter, si la calomnie m’y force ; mais je n’en ai eu jusqu’à présent nulle envie.

Il faut que je vous dise une chose bien singulière. On a affecté de mettre dans l’arrêt qui condamne le chevalier de La Barre, qu’il faisait des génuflexions devant le Dictionnaire philosophique ; il n’avait jamais eu ce livre. Le procès-verbal porte qu’un de ses camarades et lui s’étaient mis à genoux devant le Portier des Chartreux 5, et l’Ode à Priape de Piron ; ils récitaient les Litanies du Con 6 ; ils faisaient des folies de jeunes pages ; et il n’y avait personne de la bande qui fût capable de lire un livre de philosophie. Tout le mal est venu d’une abbesse dont un vieux scélérat a été jaloux, et le roi n’a jamais su la cause véritable de cette horrible catastrophe. La voix du public indigné s’est tellement élevée contre ce jugement atroce que les juges n’ont pas osé poursuivre le procès après l’exécution du chevalier de La Barre, qui est mort avec un courage et un sang-froid étonnant, et qui serait devenu un excellent officier.

Des avocats m’ont mandé qu’on avait fait jouer dans cette affaire des ressorts abominables. J’y suis intéressé par ce Dictionnaire philosophique qu’on m’a très faussement imputé. J’en suis si peu l’auteur que l’article Messie, qui est tout entier dans le Dictionnaire encyclopédique, est d’un ministre protestant, homme de condition, et très homme de bien ; et j’ai entre les mains son manuscrit, écrit de sa propre main.

Il y a plusieurs autres articles dont les auteurs sont connus ; et, en un mot, on ne pourra jamais me convaincre d’être l’auteur de cet ouvrage. On m’impute beaucoup de livres, et depuis longtemps je n’en fais aucun. Je remplis mes devoirs ; j’ai, Dieu merci, les attestations de mes curés et des états de ma petite province. On peut me persécuter, mais ce ne sera certainement pas avec justice. Si d’ailleurs j’avais besoin d’un asile, il n’y a aucun souverain, depuis l’impératrice de Russie jusqu’au landgrave de Hesse, qui ne m’en ait offert. Je ne serais pas persécuté en Italie ; pourquoi le serais-je dans ma patrie ? Je ne vois pas quelle pourrait être la raison d’une persécution nouvelle, à moins que ce ne fût pour plaire à Fréron.

J’ai encore une chose à vous dire, mon héros, dans ma confession générale : c’est que je n’ai jamais été gai que par emprunt. Quiconque fait des tragédies et écrit des histoires est naturellement sérieux, quelque Français qu’il puisse être. Vous avez adouci et égayé mes mœurs, quand j’ai été assez heureux pour vous faire ma cour. J’étais chenille, j’ai pris quelquefois des ailes de papillon ; mais je suis redevenu chenille.

Vivez heureux, et vivez longtemps : voilà mon refrain, la nation a besoin de vous. Le prince de Brunswick se désespérait de ne vous avoir pas vu ; il convenait avec moi que vous êtes le seul qui ayez soutenu la gloire de la France. Votre gaieté doit être inaltérable ; elle est accompagnée des suffrages du public, et je ne connais guère de carrière plus belle que la vôtre. Agréez mes vœux ardents et mon très-respectueux hommage, qui ne finira qu’avec ma vie.

V.

Oserais-je vous conjurer de donner ce mémoire 7 à M. de Saint-Florentin, et de daigner l’appuyer de votre puissante protection et de toutes vos forces ? Quand on peut, avec des paroles, tirer une famille d’honnêtes gens de la plus horrible calamité, on doit dire ces paroles . Je vous le demande en grâce. »

1 Initiale, date et post-scriptum autographes .

2 Mme de Saint-Julien, dont Voltaire parle dans sa lettre du 20 août 1766 à Damilaville : « Je suis tantôt aux eaux, tantôt à Ferney, mon cher frère. Je vous ai écrit par Mme de Saint-Julien, sœur de M. le marquis de La Tour du Pin, commandant en Bourgogne, et parente de M. le duc de Choiseul. Elle est venue avec monsieur son frère, et a bien voulu passer quelques jours dans ma retraite. »

Anne-Madeleine-Louise-Charlotte-Auguste de La Tour du Pin, épousa le 18 décembre 1748 François-David Bollioud de Saint-julien, baron d'Argental .

3 L'édition de Kehl et suivantes mettent « cinq cents livres » ; voir lettre du 11 août 1766 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/11/06/on-voit-les-choses-de-loin-sous-des-points-de-vue-si-differents-qu-il-est-b.html

6 Pantagruel, livre III, chap. 26 , de Rabelais .

7 Pour les d’Espinas ou d’Espinasse ; voir note de V* à la lettre du octobre 1766 à Richelieu : « Affaires des religionnaires, Vivarais ; Intendance de Languedoc . Jean-Pierre Espinas, d’une honnête famille de Château-Neuf, paroisse de Saint-Félix, près de Vernons en Vivarais, ayant été vingt-trois ans aux galères pour avoir donné à souper et à coucher dans sa maison à un ministre de la religion prétendue réformée, et ayant obtenu sa délivrance par brevet du 23 de janvier 1763, se trouvant chargé d’une femme mourante et de trois enfants réduits à la mendicité, remontre très humblement à Sa Majesté que son bien ayant été confisqué pendant vingt-six ans, à condition que la troisième partie en serait distraite pour l’entretien de ses enfants, jamais lesdits enfants n’ont joui de cette grâce. Il conjure Sa Majesté de daigner lui accorder la possession de son patrimoine, pour soulager sa vieillesse et sa famille. » (Note de Voltaire.)

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