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22/04/2022

Les Genevois nagent dans l'abondance, parce qu'outre les bestiaux de leur territoire, ils tirent toutes leurs denrées de Savoie ; et depuis Ripaille jusqu'à Annecy, tous les Savoyards s'empressent à fournir Genève 

... Ce qui est vrai du temps de Voltaire l'est encore aujourd'hui , et outre les victuailles, les Savoyards (et les Gessiens) fournissent leur travail ; sans eux rien ne fonctionnerait plus dans la parvulissime république genevoise .

 

 

« De Voltaire et Marie-Louise Denis

à

Antoine-Charles Esmangart de Bournonville 1

A Ferney, pays de Gex, 10 janvier 1767

Monsieur,

J'ai eu l'honneur d'écrire ce matin à Mgr le duc de Choiseul 2 , et de lui demander un passeport pour nous et nos gens, sur le chemin de Genève et de Suisse, et la lettre est partie par Genève avec la permission de M. de Virieu, commandant dans nos quartiers sous M. de Jaucourt, qui sont venus à Ferney avec d'autres officiers et qui ont été témoins de notre embarras .

Deux heures après l'envoi de ma lettre à Mgr le duc de Choiseul par Genève, nous avons appris que deux de nos fermiers, Suisses de nation, se sont enfuis sans payer . Nous faisons partir cette lettre par Gex sans savoir si le courrier à pied pourra traverser les montagnes couvertes de neige qui séparent le pays de Gex de la Franche-Comté et si la route de Besançon est praticable .

Nous ne savons pas quelles représentations pourront faire les autres domiciliés du pays de Gex, mais nous sommes certainement les plus à plaindre de tous, parce que nous avons cent cinquante personnes à nourrir par jour, tant au château de Ferney qu'à celui de Tournay, frontière de France sur le chemin de Genève .

La fuite et la banqueroute soudaine de nos fermiers, l'abus que font tous nos domestiques de campagne de la cherté des vivres, l'impossibilité d’en faire venir d'ailleurs de convenables à notre table, tout cela nous réduit à un état fort triste . Les Genevois nagent dans l'abondance, parce qu'outre les bestiaux de leur territoire, ils tirent toutes leurs denrées de Savoie ; et depuis Ripaille jusqu'à Annecy, tous les Savoyards s'empressent à fournir Genève ; de sorte qu'à la lettre il n'y a que nous qui soyons vexés . Nous sommes précisément comme dans une ville assiégée .

Environnés que nous sommes de montagnes, où la neige est haute de dix pieds dans les endroits les plus praticables, nous sommes absolument sans aucun secours . Notre seule ressource serait de traverser le lac de Genève pour aller nous pourvoir dans les villes de Savoie, mais il n'y a de bateaux que dans Genève et dans Lausanne . Nous pourrions tuer nos bœufs, mais il ne nous en resterait plus pour le labourage . On n'a jamais, du moins jusqu'à présent, tué de bœuf dans la petite ville de Gex qui n'est au fond qu'un grand et malheureux village où il n'y a jamais eu aucune boutique considérable de marchand .

Nous observons surtout que les paysans chez qui les soldats sont logés, leur fournissent du bois à nos dépens, en dévastant notre petite forêt pendant la nuit . Nous n'entrons pas dans de plus grands détails pour ne point vous fatiguer, mais nous flattons que la générosité de Mgr le duc de Choiseul aura égard à notre situation . Nous espérons surtout un passeport pour nos personnes, tant sur le chemin de Suisse que sur celui de Genève, et nous n'en abuserons pas .

Nous avons l'honneur d'être, avec tous le sentiments que nous vous devons, monsieur, vos très humbles et très dévoués serviteur et servante

Voltaire ; Denis . »

2 Cette lettre n'est pas connue, sans doute parce que le ministre Hennin a jugé préférable de ne pas la transmettre

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