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18/05/2022

soit qu’on se dérobe à l’orage, soit qu’on le soutienne, la situation est également déplorable

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

25è janvier, partira le 26

Je reçus hier, mes divins anges, une lettre de M. de Chauvelin, qui est de votre avis sur les longueurs de la scène d’Obéide avec son père, au cinquième acte. J’étais bien de cet avis aussi, et au lieu de retrancher dix à douze vers, comme je l’avais promis à M. de Thibouville, j’en aurais retranché vingt-quatre. Nous répétâmes la pièce ; le cinquième acte nous fit un très-grand effet, au moyen de quelques corrections que vous verrez dans les deux copies que je vous envoie.

L’état où je suis ne me permet pas de songer davantage à cette pièce : la voilà entre vos mains ; il y a un terme où il faut enfin s’arrêter. Voyez si en effet les comédiens seront en état de vous en amuser pendant le carême ; pour moi, je suis assez malheureux dans ma Scythie pour que vous me pardonniez de m’occuper un peu moins de la Scythie, d’Obéide et d’Indatire.

Parmi les malheurs imprévus qui me sont survenus du côté de Genève et de celui du Virtemberg, ce n’en est pas un médiocre pour moi que l’aventure de la Doiret. On me mande qu’on pourra bien renvoyer toute l’affaire à la Tournelle de Dijon. Si la chose est ainsi, elle est funeste. On avait demandé à monsieur le vice-chancelier, par plusieurs mémoires, qu’il laissât au cours de la justice ordinaire le différend consistant dans le payement des habits achetés par la prétendue Doiret et dans l’estimation de l’équipage, et l’on se flattait que la malle, dans laquelle les commis avaient enfermé la contrebande de la Doiret, serait envoyée à monsieur le vice-chancelier selon l’usage . Il y en avait déjà plusieurs exemples. Monsieur le vice-chancelier avait lui-même ordonné au receveur de ce bureau de lui envoyer, en droiture, toutes les marchandises de cette espèce qu’il pourrait saisir. On espérait donc avec raison que ces effets lui parviendraient bientôt, qu’il les garderait, qu’il en ferait ce qu’il lui plairait, que des amis et de la protection étoufferaient tout éclat sur cette partie du procès, le reste n’étant qu’une bagatelle.

Mais si malheureusement le tribunal, à qui cette affaire a été renvoyée, juge qu’elle est entièrement de la compétence de la Tournelle de Dijon, qu’arrivera-t-il alors ? La malle de la Doiret sera portée à Dijon ; la personne accusée dans le procès-verbal par un quidam sera confrontée avec ce quidam ; on soupçonnera violemment cette personne d’avoir fourni elle-même des marchandises prohibées, trouvées dans son équipage. Son nom et la nature des effets exciteront une rumeur épouvantable, et, quel que soit l’événement de ce procès criminel, il ne peut être qu’affreux.

La personne en question, en réclamant la justice ordinaire contre la prétendue Doiret, n’intenterait qu’un procès imaginaire, et celui qu’on lui ferait craindre aujourd’hui n’est que trop réel. J’ai écrit un petit mot à M. de Chauvelin 1 pour le prier d’agir auprès de M. de La Reynière, qui peut aisément écarter le quidam trop connu. Je suis bien sûr que vous en aurez parlé à M. de Chauvelin.

Enfin, si cette affaire est jugée au Conseil de la façon qu’on nous le mande, si le tout est renvoyé à la Tournelle de Dijon, ne pourrait-on pas prévenir cet éclat horrible ? Le prétexte du renvoi à Dijon serait, ce me semble, le litige concernant la validité de la saisie. Ce ne serait donc réellement qu’un procès ordinaire entre la propriétaire de l’équipage saisi et le receveur saisissant. L’accessoire dangereux de ce procès serait la malle saisie, dans laquelle les juges trouveraient le corps du délit le plus grave et le plus punissable. Cet accessoire alors deviendrait l’objet principal, et vous en voyez toutes les conséquences. Pourrait-on prévenir un tel malheur en s’accommodant avec les fermiers généraux, en payant au receveur saisissant la somme dont on conviendrait sous le nom de la Doiret ?

Voilà, ce me semble, une manière de terminer cette cruelle affaire. Mais s’il arrive qu’on la traite comme un délit dont le procureur général doit informer, le remède alors paraît bien plus difficile. On ne peut éviter un ajournement personnel, qui se change en prise de corps lorsqu’on ne comparaît point ; et soit qu’on se dérobe à l’orage, soit qu’on le soutienne, la situation est également déplorable.

Je soumets toutes ces réflexions à votre cœur autant qu’à la supériorité de votre esprit. Vous voyez les choses de près, et je les vois dans un lointain qui les défigure ; je les vois à travers quarante lieues de neiges qui m’assiègent, accablé de maladies, entouré de malades, bloqué par des troupes, manquant des choses les plus nécessaires à la vie, chargé pendant toute l’année de l’entretien d’une maison immense, et n’ayant de tous côtés que des banqueroutes pour la faire subsister, ne pouvant dans le moment présent ni rester dans le pays de Gex ni le quitter. La philosophie, dit-on, peut faire supporter tant de disgrâces . Je le crois, mais je compte beaucoup plus sur votre amitié que sur ma philosophie.

J’envoie deux exemplaires 2 exactement corrigés, sous l’enveloppe de M. le duc de Praslin. »

1 La lettre cependant datée du 26 janvier 1767 : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/04/correspondance-annee-1767-partie-9.html

 

2 Des Scythes .

Dorénavant je ne mettrai mon argent qu'à acheter du bœuf, du blé et du bois , qui manquent entièrement

.... tout comme l'huile et les pâtes dans les rayons des supermarchés . Sur ce, j'y vais avant que l'inflation me laisse sans un .

 

 

« A Gabriel Cramer

[vers le 25 janvier 1767]

Vous me mettez au désespoir, mon cher Caro, vous ne m'envoyez rien, point de D'Alembert, point de D'Olivet, point de Scythes .

Sachez d'ailleurs que nous manquons de vivres et de toutes sortes de provisions autant que d'imprimés .

Mandez-moi si l'on est ainsi à Genève . Il est dur de n'avoir ni à manger, ni à lire . Joignez à cette horrible disette six pieds de neige, et dites si tout cela est fort plaisant .

Je vous prie de dire à M. Des Franches que ce M. De Vilding est un étrange original . Il ne m'a jamais parlé , il m'emprunte cinquante louis, et il ne m'écrit pas seulement une lettre de remerciements . Les Scythes n'avaient pas de tels procédés . Dorénavant je ne mettrai mon argent qu'à acheter du bœuf, du blé et du bois , qui manquent entièrement dans cet abominable climat, où le diable et votre frère m'ont conduit . »

 

 

 

« A Gabriel Cramer

[vers le 25 janvier 1767]

On envoie à monsieur Cramer le Graevius et le Dion . On le supplie de faire remettre à Dalloz le premier volume de Dion . On lui sera très obligé . »