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26/12/2012

je ne lirai point ce qu'il écrira . Ce n'est pas par mépris pour lui, je suis très éloigné de ce sentiment, c'est uniquement par amour pour la paix

 ... Me dis-je en voyant chaque semaine la page écrite par BHL dans Le Point .

Moi aussi, comme Voltaire, je préfère garder la paix de l'âme plutôt que de m'énerver au décryptage de phrase tordues au service d'idées qui ne me conviennent pas .

 

lire ou ne pas lire.jpg


 

 

 

« A Théodore Tronchin 1

Il me paraît assez étrange monsieur que le seul catholique romain qui ait jamais été le panégyriste de la liberté de Genève et de son gouvernement se trouve un adversaire dans un Genevois . Ce qui doit me surprendre et m'affliger davantage c'est que ce Genevois soit M. le ministre Vernet . Il n'y a personne dans votre ville sur l'indulgence de qui j'aurais dû compter autant que sur la sienne . C'est lui qui le premier m'engagea à venir dans votre république ; c'est lui qui eût la bonté de faire imprimer en 1754 chez le sieur Philibert la première édition 2 qui parut dans ce pays de la même histoire qu'il veut aujourd'hui condamner . Cette histoire à la vérité était toute tronquée très défigurée et infiniment trop libre ; mais il ne l'honora pas moins de tous ses soins . C’est lui qui en corrigea les feuilles, c'est lui qui daigna l'honorer d'une préface remplie des plus grands éloges , c'est lui enfin qui me proposa de donner sous ses yeux ma véritable édition et de lui adresser mon manuscrit . Son zèle même alla jusqu'à prétendre que je lui avais fait cette ouverture neuf années auparavant. Ses bons offices en cela allaient plus loin que sa mémoire car je vous jure, monsieur, que je n'avais jamais osé penser prendre la liberté de le charger du fardeau de cette édition .

Ce fut encore lui , monsieur, qui m'apprit pendant que j'étais à Colmar que messieurs Cramer avaient dessein d'imprimer le même ouvrage et c'est ce qui disposa l'un des frères Cramer à venir me chercher à Colmar et à m'amener à Genève . Il n'y a offre de service que M. le ministre Vernet n'ait bien voulu me faire ; il n'y a sorte d'insinuation qu'il n'ait daigné employer pour m'enhardir à recevoir l'honneur qu'il m'a voulu faire d'être deux fois mon éditeur .

Vous jugerez aisément monsieur de la vérité de tous ces faits par quelques feuilles de ses lettres que le hasard m'a fait retrouver . Je souligne les endroits qui prouvent toutes ses anciennes bontés et je dois encore avoir à Lausanne une douzaine de lettres dans lesquelles sa bienveillance et son empressement s'expliquent en termes beaucoup plus forts .

Quand j'arrivai à Genève il fut le premier qui me rendit visite ; il me fit l'honneur de manger chez moi plusieurs fois . Je ne lui ai jamais donné le plus léger sujet de plainte ; en un mot je ne vois aucune raison qui puisse l'engager à troubler le repos de ma vieillesse et de la sienne .

Non seulement il écrit contre un ouvrage qu'il a imprimé, qu'il a voulu réimprimer et qu'il a honoré d'une préface . Non seulement il veut ôter ici le repos à un homme infirme qu'il a pressé de venir ici chercher le repos ; mais en ce qui concerne la malheureuse aventure de Servet il écrit contre ses propres sentiments universellement reconnus : il me prodigue des éloges dans une de ses lettres sur les services que j'ai rendus, dit-il, au genre humain en inspirant la tolérance ; et ce sont aujourd'hui les armes de l'intolérance qu'il prend contre moi .

J'avoue que je ne conçois pas ce qui peut l'engager à de telles démarches . Je vous proteste que je n'ai rien lu de ce qu'on a inséré dans le Mercure de Neuf Chatel et que je ne lirai point ce qu'il écrira . Ce n'est pas par mépris pour lui, je suis très éloigné de ce sentiment, c'est uniquement par amour pour la paix .

S'il s'agissait de mettre au jour ses procédés , vous voyez quel serait mon avantage . S'il s'agissait de discuter les faits avancés dans l'Histoire universelle, je n'en aurais pas moins : mais mon respectueux attachement pour la république et ma reconnaissance pour les bontés véritables dont on m'honore ici m'imposent un silence que M. Vernet aurait dû peut-être garder . Je me flatte , mon cher monsieur, que vous approuverez mes sentiments . Vous gouvernez mon âme et mon corps . Il leur faut à tous deux du régime et ce régime est la tranquillité . Elle est absolument nécessaire au triste état où je suis .

Je vous prie de ne ne point égarer la liasse des lettres que j'ai l'honneur de vous envoyer . Vous savez avec quelle tendresse je vous suis attaché .

Voltaire

23 septembre [1757] »

1 Lettre en deux fragments datés du 19 et du 23 septembre 1757.

2 Il faut entendre par là « première édition autorisée » ; voir correspondance Vernet-Voltaire année 1754 : http://www.monsieurdevoltaire.com/20-categorie-12499855.html

 

J'ai été chercher bien loin une retraite

 ... Loin des yeux, loin du coeur ...

 

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« A Marie-Elisabeth de Dompierre de Fontaine d' Hornoy 1

Aux Délices 23 septembre [1757]

Vous voilà donc campagnarde ma chère nièce ; si j'avais imaginé que vous dussiez tant aimer Ornoi , j'aurais moins aimé les Délices et Lausanne . Je vous avoue que j'aurais eu plus de plaisir à bâtir une aile chez vous qu'à embellir des maisons suisses . J'ai été chercher bien loin une retraite . Je l'aurais trouvée avec vous . Mais avec votre permission vous n’êtes pas encore assez philosophe pour renoncer comme moi à Paris .

Vous devez à présent être loin de toutes les nouvelles . Cependant la renommée qui va partout doit être venue vous dire à Ornoi avec quelle promptitude le maréchal de Richelieu a imposé la loi au fier duc de Cumberland . Il n'a plus d'ennemis dans Hanovre, dans la Hesse, dans la Thuringe . Vous ne vous souciez guère de savoir que les Français marchent à Luc 2 , pressé et battu d'ailleurs de tous côtés .

Luc m'écrivait l'autre jour qu'il ne lui restait plus qu'à vendre cher sa vie . Eussiez-vous imaginé il y a trois ans que je serais occupé à le consoler ? Cette révolution est un grand exemple et doit affermir dans la philosophie . Je m'affermis encore davantage dans mon amitié et dans mon estime pour vous . J'embrasse de tout mon cœur le mineur 3 et le grand écuyer 4 qui est devenu grand veneur . Conservez votre santé ce grand bien dont vous devez connaître le prix . Les deux Suisses oncle et nièce sont à vous . »

1 Veuve depuis le 30 avril 1756, elle épousera le 7 mai 1762 le marquis Philippe-Antoine de Claris de Florian .

2 Surnom donné par V* à Frédéric II de Prusse , on le suppose par la malice de l'anagramme .

3 Le fils de Mme de Fontaine ,Alexandre qui a sept ans .

4 « Le grand écuyer de Cyrus », surnom donné au marquis de Florian depuis que V* lui avait soumis ses plans de char guerrier .

 

25/12/2012

Voilà de ces révolutions bien capables de détromper des grandeurs humaines, si quelque chose pouvait désabuser les hommes

... Car tout grand homme prétendu tel, sur son trône n'est jamais assis que sur son cul , lequel n'a pas plus fière allure que le mien, et le vôtre .

 Dés -abuser les hommes, oui, j'ai quelques lueurs d'espoir, c'est Noël

 lueurs d espoir 1127.png

 

« A Mme Louise-Dorothée von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha

Aux Délices, 22 septembre [1757]

Madame, deux ou trois armées du meilleur des mondes possibles m'ont privé de la consolation de recevoir des lettres de Votre Altesse sérénissime; je n'en ai pas été moins touché de tous les événements qui ont pu regarder vos États. Je me suis intéressé à eux comme à ma patrie, et à votre personne, madame, comme à ma protectrice, à qui j'ai voué un attachement qui durera autant que ma vie.
On a dit, sur les bords du lac de Genève, que Votre Altesse sérénissime y enverrait un des princes ses enfants ; si cela était vrai, madame, que je serais heureux de pouvoir recevoir vos ordres, soit pour Lausanne, soit pour Genève, et de montrer au fils tous les sentiments respectueux qui m'attachent à la mère ! J'adresse cette lettre à M. le maréchal de Richelieu, dans l'espérance qu'il la fera rendre avec sûreté à Votre Altesse sérénissime, je me flatte même qu'elle pourra parvenir dans un temps où toutes les difficultés seront aplanies, et où vos États jouiront de la tranquillité que votre sagesse et celle de monseigneur le duc leur aura procurée.
J'eus l'honneur de recevoir, il y a peu de temps, une lettre du roi de Prusse, dans laquelle il me dit qu'il ne lui reste plus qu'à vendre cher sa vie. Mais sa vie est trop précieuse, trop marquée par de beaux événements, pour qu'il songe à la finir et il est trop philosophe pour ne savoir pas supporter des revers. Qui eût dit, madame, qu'un jour je prendrais la liberté de le consoler? Voilà de ces révolutions bien capables de détromper des grandeurs humaines, si quelque chose pouvait désabuser les hommes.
Puissent ces grands mouvements ne point porter dans vos États les calamités qui les suivent . Puisse votre santé n'être pas plus altérée que votre courage . Que Votre Altesse sérénissime daigne recevoir, avec sa bonté ordinaire, mon profond respect pour sa personne et pour toute son auguste famille, aux pieds de qui je me mets. 

V.»