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12/07/2014

Mais s'il y a de l’intérêt, tout est sauvé

... Disent tous les petits épargnants en apprenant que le taux d'intérêt de leurs livrets de Caisse d'épargne tombe à ce taux jamais vu de 1% !

Motif génial de cette baisse stupide et méchante ?

Inciter le menu peuple à acheter, consommer, dilapider ses éconocroques pour relancer la sainte Croissance .

Qui est le génial énarque à la petite semaine qui a fait les calculs, dites-le moi vite que je baise ses pieds enveloppés de Burlington pour le remercier d'avoir trouvé le moyen légal de taper encore et toujours sur les plus modestes citoyens !

Je pense soudain que pour ça il a fallu toute une équipe de branquignols qui ont les moyens de faire des placements autrement plus juteux . Bonnes vacances messieurs et mesdames [NDLR : admirez ce respect de la parité ], je connais l'adresse d'une colonie de vacances qui saurait vous purger , vous en avez bien besoin .

Sachez que mon intérêt pour vous est donné à titre gracieux (bien que je fasse la grimace en vous évoquant).

 

taux nul.jpg

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

conseiller d'honneur du

parlement,

rue de la Sourdière

à Paris

28 mai [1759]1

Je vous envoie mon cher ange mon dernier printemps, mon ouvrage du mois de mai . Il est adressé à M. de Courteilles 2 . Ce n'est point à moi d’en juger, c'est à vous . Mais comment prévoir le succès ou la chute d'une pièce qui n'est ni tragédie ni comédie, ni en rimes ordinaires et qui n'a aucun objet de comparaison ? Ne sera-t-il pas amusant de la faire donner par Lekain ou M. de Lauragais comme l'ouvrage d'un jeune inconnu ? J'ai changé la mesure afin que ce maudit public ne me reconnût pas à ce qu'on appelle mon style . N'allez pas vous attendre [à]3 de belles tirades, à de ces grands vers ronflants, à des sentences, à des attrape-parterre, à de l'esprit, et rien enfin de ce qui est en possession de plaire . Style médiocre, marche simple, voilà ce que vous trouverez . Mais s'il y a de l’intérêt, tout est sauvé . Divin ange je n'ai pas un moment, j'ai quitté la Russie pour vous . Je retourne à Petersbourg !4 Et je baise en partant les ailes des anges .

V. »

1 Date complétée par d'Argental sur le manuscrit .

2 Dominique-Jacques Barberie, marquis de Courteilles, ambassadeur de France auprès du Corps helvétique en 1738-1749, devenu l'un des intendants des finances, apparenté à Fyot de La Marche par son épouse Magdeleine .Voir : http://gw.geneanet.org/pierfit?lang=fr;p=dominique+jacques;n=barberie

et : http://fr.wikipedia.org/wiki/Ambassade_de_France_en_Suisse

et ; http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F28551.php

3 V* a d'abord écrit entendre et a oublié d'ajouter à .

4 V* retourne à son histoire de Pierre le Grand de Russie .

 

11/07/2014

Quand on a fait une faute, il y a de l'honneur à la réparer

... Cela vaut pour moi, sans aucun doute, vulgum pecus, et cela vaut pour tout dirigeant qui ne saurait s'y soustraire au prétexte de son rang .

Qui d'Israël et du Hamas saura jamais réparer les horreurs perpétrées en ce moment ? Peu importe le nombre de morts dans chaque camp, un seul est déjà de trop; je ressens une seule et irrésistible envie, celle de baffer tous hommes en armes, celle d'assommer tous ceux qui les commandent . Ils n'ont pas encore compris qu'ils s'entretuent pour une terre qu'ils transforment de plus en plus en cimetière .

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 Conflit

« A Claude-François Jore 1

L'état où vous êtes touche mon cœur, quoique j'aie eu beaucoup à me plaindre de vous . Vous pouvez tirer sur moi une lettre de change de deux cent cinquante livres argent de France . Je vous aiderai tant que vous serez à plaindre . Mais vous devez à Dieu, au public et à moi la réparation du factum calomnieux 2 et indécent que l'abbé Desfontaines vous fit signer .

Quand on a fait une faute, il y a de l'honneur à la réparer . Vous devez m'écrire avec les sentiments que vous me devez ; que vous ne vous pardonnerez jamais l'écrit calomnieux auquel l'abbé Desfontaines vous a obligé de mettre votre nom ; que je vous ai comblé de bienfaits, et que vous conserverez toujours pour moi le respect, le repentir et la reconnaissance dont vous ne pouvez vous dispenser ; je ne paierai la lettre de change qu'en recevant votre lettre signée de vous . Si vous avez en effet un véritable repentir de votre faute, j'y aurai toujours égard .

Voltaire

gentilhomme ordinaire

du roi, comte de Tournay

A Tournay par Genève, 26 mai 1759

 

J'exige de vous la lettre la plus forte et la plus convenable ; il faut que vous vous tiriez du nombre des ingrats, dont j'ai été le bienfaiteur, et que vous vous en fassiez gloire en me le disant d'une manière qui puisse me convenir . »

1 On a trouvé une copie par Jore de ce billet sur les pages blanches d'un Voltairiana ( http://books.google.fr/books?id=aAIUAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false ).

Jore avait écrit à V* le 15 mai 1759 . Il se plaignait de la situation dans laquelle il se trouvait réduit depuis trois ans à Amsterdam, à cause des injustes procédés du « sieur Le Lièvre, apothicaire du roi » pour le compte duquel un voyage effectué en Pologne avait rapporté 10000 livres converties en marchandises . Ce bénéfice qui devait être partagé de moitié avait été gardé par Le Lièvre pour « deux années de pension et frais faits dans une maladie » de Jore, résidant chez lui . Jore s'était alors installé en Hollande sous le nom de d'Alibourg et avait exploité à son compte le secret du baume de vie de son ancien maître, en en retirant juste de quoi vivre . Il espérait de V* un secours qui lui « fasse supporter avec patience" » l' « affreuse vieillesse » qu'il craignait, se trouvant dans sa « soixantième année » . Jore répondra à V* le 5 juin que l'offre de deux cent cinquante livres est faite « à des conditions trop basses pour y consentir ».

Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Claude-Fran%C3%A7ois_Jore

 

10/07/2014

... marchant de travers, Créant des charges, des offices, Billets d'État, écus factices ; Empruntant à tout l'univers; Replâtrant par des injustices Nos sottises et nos revers.

... J'ai bien peur que notre gouvernement, -ministres , députés et sénateurs-,   ait tendance à suivre ce programme peu réjouissant .

Je mets à part mister Hollande François qui n'en est pas à une ânerie près, et a trouvé bon, sans doute trompé par l'appellation et en manque d'affection, de passer par le Chemin des Dames . Faute de dames, il a honoré la mémoire des poilus face, -si je puis dire-, aux mollets épilés des coureurs . Il fait bien rire mon défunt grand-père qui a été blessé vilainement dans ce chemin si peu fréquentable de 1914à 1918 .

Ah ! au fait, Fanfoué, avec tes nouvelles besicles tu ressembles diablement à Chichi le retraité , et on ne peut pas dire que tu ait un look enviable, ou je dirais même que tu me rappelles "cherche blonde à forte poitrine !!" ,... enfin, tu es maître  de ta vie privée !

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« A Philippe-Antoine de Claris, marquis de FLORIAN.

Aux Délices, 26 mai [1759]

Je suis aussi fâché que vous pour le moins, mon cher grand écuyer d'Assyrie, qu'on n'ait pas osé adopter mes chars 1, crainte du ridicule. Le ridicule pourtant n'est pas si à craindre que les Prussiens ; et je suis toujours convaincu, quoique je ne sois pas du métier, que ce serait la seule manière de les vaincre en pleine campagne.
L'armée d'exécution, comme ils l'appellent, est exécutée; tout cela est dispersé. Messieurs des Cercles 2 mettent les armes bas quand on leur dit que messieurs de Prusse sont à une lieue.
On dit que les Anglais viennent de nous prendre douze gros vaisseaux marchands. Leur ministère a fait imprimer un ouvrage très-artificieux, très-bien écrit, pour justifier leur conduite envers les avides Hollandais. Le mémoire est fort beau, et sur la seule lecture je les condamnerais. Ces pirates-là sont aussi méchants sur mer que les Prussiens sur terre. Nous nous ruinons pour leur résister, et nous portons tout notre argent en Germanie. Jamais elle n'a été si dévastée, si sanglante et si riche.
J'avoue avec vous, mon cher Assyrien, que Dieu a envoyé M. de Silhouette à notre secours. S'il y a quelque bon remède, il le trouvera : car il n'est pas comme la plupart de ses prédécesseurs, gens estimables, mais sans génie, qui traçaient leur sillon comme ils pouvaient avec la vieille charrue. J'augure beaucoup d'un traducteur de Pope, qui a vu l'Angleterre et la Hollande.


Il n'est pas de ces vieux novices
Marchant dans des sentiers ouverts,
Et même y marchant de travers,
Créant des charges, des offices,
Billets d'État, écus factices ;
Empruntant à tout l'univers;
Replâtrant par des injustices
Nos sottises et nos revers
.
Il ramène les temps propices
Et des Sullys et des Colberts,
Et rembourse de mauvais vers
Pour le prix de ses grands services.3

 

Je ne sais pourquoi vous me mandez que tant de poètes le persécutent avec des éloges en vers. Mes chers confrères n'entrent pour rien dans les obligations que l'État peut lui avoir; ils ne prendront point d'actions sur les fermes. En avez-vous pris? Il me semble que mes nièces en ont quelques-unes. L'opération est un peu à l'anglaise ; eh ! tant mieux ! il faut faire du public une compagnie qui prête au public : c'est la grande méthode de Londres. »

 

 

 

 

 




 

 

 

 

2 Les Cercles de Franconie : voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Cercle_de_Franconie

 

3 Dans la copie manuscrite, le texte de ces deux vers est différent :

Et, pour prix de ses services,

Il rembourse de méchants vers .

 

09/07/2014

J'attends chaque jour, monsieur, l'argent qui me vient par des voitures publiques, attendu que le change de Genève est trop fort

... S'il est toujours vrai que le change n'est pas donné à Genève en particulier et en Suisse en général, il n'est pas recommandé d'envoyer de l'argent par des voitures publiques telles que celles du métro qui convoient une faune videuse de goussets assez performante, j'en ai quelques témoignages proches .

Les bandits de grands chemins sont remplacés par des voleurs à la tire, et des propriétaires véreux , on n'y a incontestablement pas gagné au change là non plus .

 Et s'il en est une qui change pas , c'est cette chère, très chère Rachida Dati qui, vexée de se voir dans la mare au Canard, au rang des profiteurs qui ont pioché dans la caisse de l'UMP, attaque bec et ongles François Fillon et Copé et tient bien à leur faire avouer leurs propres détournements . Ah ! quel magnifique parti que celui qui nourrit en son sein de telles vipères !

 http://www.europe1.fr/Politique/Dati-denonce-les-voyous-et-delateurs-de-l-UMP-2176857/#

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« A Louis-Gaspard Fabry

J'attends chaque jour, monsieur, l'argent qui me vient par des voitures publiques, attendu que le change de Genève est trop fort . Dès que j'aurai quelque chose, je suis à vos ordres , je vous supplie d'entrer un peu dans mes petites peines . J'ai été obligé de renvoyer les ouvriers de Tournay . Dès que je serai à Ferney j'aurai l'honneur de vous demander une heure de votre temps . J'ai celui d'être

monsieur

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire.

Aux Délices , 26 mai [1759] »

 

08/07/2014

Quand on a affaire à des Parisiennes devenues Suissesses, cela ne finit point

... Et en ce temps où l'impôt sur la fortune n'est (heureusement) pas prêt de disparaitre ce ne sont pas seulement les Parisiennes qui changent de nationalité , je pense qu'elles sont particulièrement coriaces en affaire ; la qualité, si on peut dire qualité, de Suissesse étant ipso facto synonyme de banquière en puissance avec tout ce que cela implique . Standard and Poor's leur accorde la cotation 5S, 3A étant trop faible .

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 http://blorg.canalblog.com/archives/2011/12/06/22900945.h...

 

« Voltaire et Marie-Louise Denis

à

François de Bussy

Aux Délices, près de Genève

25 mai [1759]1

Quand on a affaire à des Parisiennes devenues Suissesses, cela ne finit point ; pardon, mon cher monsieur, pour les deux marmottes du mont Jura . Nous n'avons pas voulu écrire à M. l'intendant de Bourgogne sans vous soumettre la lettre . Vous êtes notre premier mobile . Plaisante négociation ! Si vous trouvez la lettre digne d'un intendant Mme Denis vous supplie très instamment de vouloir bien l'envoyée contresignée . Votre beau contre-seing opère des miracles . Si la lettre n'a pas votre approbation, jetez-la au feu . Nous nous recommandons à vos bontés du fond de nos antres .

Le Suisse V, et la Suissesse D. »

1 Manuscrit olographe avec mentions : « de M. de Voltaire à M. de Bussy » et « R[épon]du le 1er juin » .

 

07/07/2014

Il faut se remuer, se trémousser, agir, parler, et l'emporter... j'ai amélioré la terre ; mais je brûlerai tout si on me vole le moindre de mes droits.

...

 

 

 

« A Charles de BROSSES, baron de Montfalcon
23 mai [1759], aux Délices.
Nouvelles importunités, monsieur. On me persuade que vous pouvez finir cette désagréable affaire du centième denier, qui en entraînerait d'autres. La terre de Tournay est dans un cas si singulier, et a de si étranges privilèges, qu'il ne faut sans doute en perdre aucun. MM. de Faventine et Douet 1 sont les deux fermiers généraux chargés du domaine. Les connaissez-vous, ces Douet et Faventine? Non, vous connaissez Salluste et Horace. Mais il vous est aisé d'avoir accès auprès de ces puissances ; il ne s'agit que d'un délai, d'une surséance de leurs édits. Vous êtes dans Paris, président chez les Bourguignons, beau-frère d'un ex-contrôleur général, si je ne me trompe 2. Il faut se remuer, se trémousser, agir, parler, et l'emporter. J'ai embelli Tournay, j'ai amélioré la terre ; mais je brûlerai tout si on me vole le moindre de mes droits. Je suis Suisse, je n'entends point raison quand on me vexe. J'ai de quoi vivre sans Tournay. Et j'aime mieux y laisser croître des ronces que d'y être persécuté. Heureusement, monsieur, ma cause est la vôtre. Qui empêcherait un jour un intendant qui ne serait pas votre ami de dire, ou à vous ou aux vôtres : La terre a perdu ses droits ; la propriété a passé en des mains étrangères, et si bien passé que le centième denier a été payé ! Vous pouvez très-aisément, monsieur, prévenir ces difficultés en exigeant par vos amis qu'on attende seulement quelques mois la décision de cette affaire. Je vous répète que, par trois lettres de M. le garde des sceaux Chauvelin, au nom du roi, l'exemption du centième denier est comprise dans l'exemption de toutes les charges et impositions quelconques. Je n'ai transigé avec vous qu'à cette condition préalable que je jouirais de toutes les franchises. Vous le savez, vous me les avez garanties par écrit. Je lui garantis les lods et les franchises de l'ancien dénombrement 3. Voilà vos expressions. J'ai votre parole d'honneur que vous soutiendrez vos droits et les miens ; votre intérêt vous y engage. Vous n'avez certainement pas voulu me tromper, et vous ne vous êtes pas trompé vous-même, en stipulant vos privilèges.
Tous les motifs vous déterminent à les maintenir. En un mot, je compte que vous en viendrez à bout. M. de Chauvelin peut aisément engager MM. de Faventine et Douet à se taire.
J'ajouterai, moi qui ne me tais point, que si vous pouviez voir aujourd'hui le château de Tournay, vous verriez que j'en ai fait une terre qu'un jour vous vendrez le double de ce que vous l'auriez vendue. J'ose dire que vous ne devez pas être mécontent de mon aversion mortelle pour tout ce qui est délabrement. Je vous ai mieux servi que vous ne l'espériez, rendez-moi le bon office que j'espère.
Mille respects très-tendres.

 

V.
Je compte sur vos bontés auprès de monsieur l'intendant. »

1  On trouve aussi ce nom sous la forme Drouet .

L'éditeur de la Correspondance inédite note : « Voltaire se trompait . M. de Moras, contrôleur général de 1756à 1757, puis ministre de la marine n'était point le beau-frère de M. de Brosses, mais cousin germain de sa femme . » Exact , François-Marie Peirenc de Moras , mari de Jeanne-Catherine Moreau de Séchelles, n'était pas contrôleur général, il était intendant des finances . Son père Abraham Peirenc, seigneur de Moras, avait épousé Anne-Marie-Joséphine de Fargès, tante de Mme de Brosses .

Ce passage ne figure pas dans les documents qui nous sont parvenus ; selon la lettre à Bussy du 3 juin 1759, il s'agissait d'une clause secrète  . Ces mots ne se trouvent ni dans l'acte du 11 décembre 1758, ni dans la
lettre du 17, qui lui sert de complément. Au reste, la question n'était pas là. Le point était de savoir si, pour un bail à vie, Voltaire devait ou non un demi-droit de mutation, comme pour un achat d'usufruit, ce qui n'avait rien de commun avec l'exemption d'impôt foncier et les autres franchises de la terre de Tournay.
(Note du premier éditeur.)

 

06/07/2014

je manque peut-être à l'étiquette; mais ce que je sais, et ce que je trouve fort mauvais, c'est qu'on s'égorge après avoir plaisanté

...http://jmdinh.net/sujet/international/mediterranee-international

 

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« A Louise-Dorothée von Meiningen, duchesse de SAXE-GOTHA
22 mai 1759, aux Délices.
Madame, voici les extraits des principaux passages de l'oraison funèbre d'un cordonnier, par Sa Majesté le roi de Prusse 1. Le livret est assez considérable, et de la taille des oraisons funèbres du grand Condé et du maréchal de Turenne. Il est étonnant que le roi de Prusse ait pu s'amuser à un tel ouvrage, l'hiver dernier, tandis qu'il préparait à Breslau les opérations de la campagne qu'il exécute aujourd'hui. Il en a fait bien d'autres; mais comme il a livré son Cordonnier à l'impression, on peut en donner des extraits à une princesse discrète sans trahir des secrets d'État, et sans manquer à ce qu'on doit à la majesté du trône. On dit que le prince Henri pourrait ajouter quelques talons aux souliers que le roi de Prusse a célébrés, attendu qu'il a vu ceux de l'armée de l'empire, laquelle est nommée, je pense, l'armée d'exécution 2. Je ne sais pas trop bien les termes, madame, et je manque peut-être à l'étiquette; mais ce que je sais, et ce que je trouve fort mauvais, c'est qu'on s'égorge après avoir plaisanté. Le canon gronde, le sang coule autour des États de Votre Altesse sérénissime. Elle daigne souhaiter que je vienne lui faire ma cour; quel chemin prendre? On ne peut passer que par- dessus des morts.
Enfin, madame, Votre Altesse sérénissime a donc pris le parti de l'inoculation !3 Vous êtes sage en tout. Les autres cours ne le sont guère, de se ruiner et de faire tant de malheureux. Je ne pardonne qu'à César et à Alexandre d'avoir fait la guerre : il s'agissait de la moitié de la terre ; mais ici (pour se servir d'un proverbe noble) le jeu ne vaut pas la chandelle. La grande maîtresse des cœurs n'est-elle pas de mon avis?
Le vieux Suisse se met aux pieds de Votre Altesse sérénissime et de votre auguste famille. »

1 On verra aisément dans quelle intention ces extraits ont été faits, et de quelle manière piquante ils montrent la contradiction des écrits de Frédéric avec sa conduite en ce moment même. — Le titre n'est pas moins étrange que l'ouvrage : Panégyrique du sieur Jacques-Matthieu Reinhardt, maître cordonnier, prononcé le 13e mois de l'an 2899, dans la ville de l'Imagination, par Pierre Mortier, diacre de la cathédrale. (A. F.)

« Extraits de plusieurs morceaux de l'éloge funèbre du cordonnier Reinhardt par sa majesté le roi de Prusse2.
Une chaussure mal faite révolte par sa forme désagréable ; elle presse le pied et lui donne, en le gênant, des duretés qui causent des douleurs à chaque pas que l'on fait; elle n'empêche pas l'eau d'y pénétrer et d'y occasionner à force de refroidissement des humeurs goutteuses, maladie cruelle qui par de longs tourments conduit au tombeau. Matthieu Reinhardt excellait à éviter tous ces défauts. Ses ouvrages avaient atteint le degré de perfection dont ils sont capables. Il avait surpassé tous ses compagnons et tous ses émules par son talent; et quiconque s'élève d'une manière aussi triomphante sur ses compétiteurs est sûrement un grand homme ; celui qui gouverne sagement, avec ordre et avec application, son atelier et sa maison, gouvernerait de même une ville, une province, et, pour ne rien dissimuler, un royaume. Oui, messieurs, ce bon citoyen que nous pleurons avait des qualités qui n'auraient point déparé le trône ; tandis qu'un nombre de ceux qui l'occupent sans talent et sans application ne seraient que de mauvais cordonniers, si l'aveugle fortune qui dispose des naissances ne les avait faits ce qu'ils sont par charité et pour que ces hommes ineptes ne mourussent pas de faim et de misère.
Demi-dieux sur la terre, puissances que la Providence a établies pour gouverner de vastes provinces avec humanité et sagesse, rougissez de honte qu'un pauvre cordonnier vous confonde et vous apprenne vos devoirs; que l'exemple de sa vie laborieuse vous enseigne ce qu'exigent de vous ces peuples que vous devez rendre heureux. Vous n'êtes point élevés par le ciel pour vous assoupir sur le trône aux concerts de vos flatteurs; vous y êtes placés pour travailler pour le bien de ces milliers de mortels qui vous sont soumis, et qui sont vos égaux. Vous ne fûtes point élevés si haut pour passer des semaines, des mois, des années, dans les forêts, à poursuivre sans cesse ces animaux sauvages qui vous fuient, à vous glorifier de la méprisable adresse de les attraper, divertissement innocent par soi-même si sa fureur ne vous le rendait pas un métier; tandis que les chemins dans vos provinces tombent en ruine, que les villes sont infectées de ces objets dégoûtants de la pitié et de la commisération publique, que le commerce languit dans vos États, que l'industrie est sans encouragement, et la police générale même mal observée.
Quel exemple de modération pour vous, grands de la terre, et quelle leçon vous fait un pauvre, mais pieux artisan! Un homme, peut-être l'objet de votre orgueilleux mépris, et dont vous croyez que le nom salirait votre mémoire, s'il y était gravé, vous enseigne que l'on peut vivre en bonne harmonie avec ses plus proches voisins. Sa jurisprudence, si différente de la vôtre, vous montre qu'il y a des voies pour éviter les querelles, pour éluder les disputes et pour conserver la paix et le repos ; qu'il y a une certaine magnanimité d'âme, bien supérieure aux emportements de la vengeance, qui porte la miséricorde jusqu'à pardonner les injures et les outrages, au lieu que chez vous, les moindres démêlés s'enveniment, de petites querelles produisent des guerres sanglantes. Votre vanité, plus cruelle que la barbarie des tyrans, sacrifie des milliers de citoyens à la fausse gloire, et pour un mot que l'ambition et la haine interprètent, des provinces entières sont saccagées et ruinées; vos fureurs livrent la terre à la rapacité des bêtes féroces déchaînées pour l'envahir. Tous les fléaux, toutes les calamités, désolent le monde à leur suite, et tant de malheurs déplorables ne proviennent que de vos inimitiés funestes. Que Matthieu Reinhardt était sage, et que l'on devrait graver en lettres d'or sur les palais des rois ces belles et mémorables paroles : « C'est beaucoup gagner que de savoir céder à propos. »
Jamais foi ne fut plus fervente que la sienne. De tous nos saints livres, ceux qu'il lisait avec le plus d'application et de plaisir, c'étaient les prophètes de l'Ancien Testament et l'Apocalypse de saint Jean; parce, disait-il, qu'il n'y comprenait rien du tout. Il souhaitait que toute la religion ne fût que mystère, pour mieux raisonner sur ce qu'il avait lu. Rien n'était incroyable pour lui. Avec quel zèle nous l'avons vu assister dans ces saints lieux à toutes les cérémonies religieuses, avec l'humilité d'un chrétien, avec l'attention d'un disciple, avec la componction d'un régénéré!
Sachez et retenez bien que l'on peut se distinguer dans toutes les conditions; que ce ne fut pas parmi les riches que l'Homme-Dieu choisit ceux qu'il daigna associer à ses saints travaux, mais parmi la lie du peuple hébreu. Et vous, sa famille éplorée, séchez vos larmes, et ne souillez point, par vos regrets outrés, la gloire de celui qui est assis à présent à la droite du Père, entre le Fils et le Saint-Esprit. » 

2 « C'est avec beaucoup de précision et selon l'étiquette de la chancellerie impériale que vous nommez monsieur, l'armée de l'empire armée d’exécution . » : réponse de la duchesse .

3 Dans sa lettre du 28 avril 1759 la duchesse disait : « Me voilà quitte grâce à Dieu de la crainte de la petite vérole, mes deux ainés ont passé heureusement par cette cruelle maladie et le cadet en est quitte au moyen de l'inoculation . Vous voyez que nous sommes gens à la mode et au dessus du préjugé . »