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31/08/2024

J'ai recours à vous, monsieur, dans mes misères

...Paroles d'Emmanuel Macron-Caliméro à celui qui sera premier ministre , après d'être fait mettre le nez dans ses contradictions : https://www.lefigaro.fr/politique/le-president-ne-devrait...

Il y a ce qu'on dit, et ce qu'on fait ! ... comme d'hab' , président ou pas.

 

 

« A Guillaume-Claude de Laleu,

Secrétaire du roi, Notaire

rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie

à Paris

J'ai recours à vous, monsieur, dans mes misères . J'ai une ferme à rebâtir 1 qui me coûtera quinze mille livres . J'ai un besoin pressant de deux mille écus . Je prends la liberté de les tirer sur vous, à l’ordre de MM. La Vergne de Lyon 2. Je vous supplie instamment de vouloir bien faire honneur à mon billet de change . Je vous aurai beaucoup d'obligation.

J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire.

A Ferney 27è février 1769. »

1Le Châtelard .

2 Le billet en question est conservé : « 6000# / A huit jour[s] de vue , je vous prie , monsieur, de payer six mille livres à l'ordre de MM. Lavergne de Lyon, valeur entendue . Au château de Ferney le 27è février 1769./Voltaire ».

Il est adressé à Laleu, à la même adresse que la lettre, et endossé comme suit : »Payés à l'ordre, de MM. Delens et de, valeur en compte. Lyon 1er mars 1769. / Frères Lavergne et fils. » et encore « Pour acquit. Delens et Cie », et « Vu le 4 mars 1769. »

30/08/2024

Les gens qui sont dans la boue, à ce que vous dit d'Alembert, remuent quelquefois cette boue si fort qu'ils en barbouillent le visage des honnêtes gens .

... Il n'est qu'à figurer parmi les utilisateurs des réseaux dits "sociaux" pour être tôt ou tard victime de médisance, menaces, cyber-harcèlement . Les pourris recrutent d'autres pourris, leur lâcheté est sans limite, et leur impunité les encourage . A l'heure où l'on se gargarise des prouesses ( ou prétendues telles ) de l'IA, qui sortira un programme dénonçant les agresseurs et les éradiquant aussi vite qu'ils se montrent ?

Ecrasons l'infâme ! est plus que jamais d'actualité, mon cher Voltaire .

 

 

« A Marie-Louise Denis

27è février 1769

Dupuits, sa femme , et sa petite fille sont arrivés sains et gaillards . Ils sont dans leurs États de Maconnex en Sibérie, entourés partout comme moi de deux pieds de neige . Mais pour nous consoler il y en a dix-huit pieds dans les montagnes .

Notre capitaine m'a apporté, ma chère amie, beaucoup de gros paquets, mais rien ne m'a plu comme votre lettre . J'écris par cette poste à M. le maréchal de Richelieu malgré son silence . Je ne veux pas qu'il ait aucun prétexte pour ne vous point payer .

Je n'ai fait que jeter un coup d’œil sur les paperasses de Laleu ; je vois que la succession de Guise me doit dix années ; cela se monte à vingt-cinq mille livres dont il faut déduire le dixième . Il est certain que les revenus des terres ont été touchés ; que sont-ils devenus ? Je suis un des premiers créanciers . Dès que M.le duc de Richelieu vous aura payée , dès que vous aurez arraché de lui l'argent qu'il vous doit, il faudra absolument que mon procureur fasse des diligences, sans quoi tout le monde partagerait hors vous .

Les gens qui sont dans la boue, à ce que vous dit d'Alembert, remuent quelquefois cette boue si fort qu'ils en barbouillent le visage des honnêtes gens .

Je ne suis point étonné que l'homme au nez haut 1 soit l'intime ami d'un nez à pustules 2 . Il eut autrefois un ami de cette trempe qui fut pendu (autant qu'il m'en souvient ) . Il faut bien avoir des amis partout .

L'abbé Binet 3 a quelquefois des lubies ; il est sensible à l'excès, mais il revient . Sa petite sœur, Mlle Binet, est infiniment aimable, et moins vive que lui .

Je ne crois pas les affaires du notaire 4 en bon train . J'ai peur qu'il n'y ait beaucoup de discrédit . Il faut bien toujours qu'il y ait quelques banqueroutiers dans Paris . C'est le pays où les uns font leur fortune, et où les autres la perdent . C'est le centre du luxe et de la misère , de la meilleure compagnie et de la plus détestable .

Je suis bien sûr que vous n'êtes pas entraînée dans le tourbillon et que vous vivez avec des amis choisis . On ne peut aspirer à rien de mieux . Cette consolation me manque absolument, et j'en serai privé jusqu'à mon dernier jour . J'ai été réellement en prison pendant une année entière ; je ne suis sorti qu'une seule fois de ma chambre , ; et je n'en sortirai à la fonte des neiges que pour aller voir rebâtir le Châtelard . Les souffrances continuelles auxquelles je suis condamné ne me permettent pas même de mener une autre vie ; et Paris n'est pas plus fait pour moi que la campagne ne l'est pour une Parisienne . Vous êtes rentrée dans votre élément, ma chère amie . Je tâcherai de faire en sorte que cet élément vous nourrisse . Tout sera arrangé très bien pour tout le monde . Plus je vieillis, plus le séjour des neiges m'accable, mais je n'en ai point d'autre, et il faut que je reste au coin de mon feu .

Je crois qu'il faut que je m'arme de patience sur la petite affaire de feu La Touche 5, tout vient avec le temps . Votre ami Lefèvre 6, les anges et Lekain étant dirigés par vous viendront probablement à bout de ce que vous aurez entrepris .

Ces Mélanges 7dont vous me parlez sont ridicules . C'est une sottise énorme que Gabriel Cramer a faite sans m'en donner la moindre connaissance . Il se conduit aussi mal en amitié qu'en typographie . Savez-vous bien qu'il s'est mis au rang de ceux qui voulaient acheter Ferney ? Il voulait faire un marché à la genevoise ; il n'a pas eu honte de proposer à vous donner soixante mille francs comptant, à condition qu'il s'emparerait à ma mort de la maison et des meubles, et ces soixante mille francs, vous savez qu'il les a gagnés avec moi . Cependant les polissons de Paris disent que j'ai fait une grande fortune par mes ouvrages .

S'il y a quelque chose touchant l'abbé Binet et les affaires de notre notaire, vous me ferez grand plaisir de m'en instruire . C'en est un très sensible de se parler à cœur ouvert de ses affaires . Mais je suis bien plus touché de celui que j'ai à vous dire combien je vous aime, et à quel point votre amitié me touche . Je vous embrasse de toutes mes forces . »

1 Sans doute Richelieu ; il fait sans doute partie des « gens qui sont dans la boue » cité ci-avant .

2Ce pourrait être Mme Du Barry . Mais qui fut pendu ?

3Nous avon sici un nouveau code, différend de celui de 1753. L'abbé Binet est Choiseul, et sa « petite soeur » Mme de Gramont, ou peut-être Mme de Saint-Julien .

4 Louis XV.

5 Les Guèbres .

6Il s'agit probablement du censeur Marin, fututr ennemi de beaumarchais .

7Ces « mélanges » sont sant doute les Nouveaux Mélanges, qui paraissent depuis 1765 ; voir lettre de juillet-août 1765 à Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/11/23/tout-sera-dans-l-ordre.html

29/08/2024

Il ne s’agissait pas de faire une révolution dans les États,... mais d’en faire une dans l’esprit de ceux qui sont faits pour gouverner

... Et cette révolution c'est la tolérance , denrée diablement manquante ces temps-ci ailleurs que chez les sportifs paralympiques et olympiques . Voyons et admirons ces hommes et femmes qui vivent en champions, et pour cela se battent tous les jours en montrant qu'un handicap physique ou mental n'empêche pas de vivre "normalement", comme nous disons, nous, les valides.

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

26è février 1769

Mon divin ange, j’aurais voulu vous écrire plus tôt, mais les neiges m’ont englouti ; j’ai été extrêmement malade. Si le président Hénault est tombé en enfance, ma jeunesse se passe, et je tomberai bientôt dans le néant. Molé paraît me condamner à y entrer. Vous, qui êtes beaucoup plus jeune que moi 1, et dont l’âme tranquille et ferme gouverne un corps plus robuste, vous vous tirerez de là bien mieux que moi, et vous prendrez votre temps pour me rendre la vie. Je me mets entièrement entre vos mains.

Je crois qu’il est fort à désirer que la chose dont il est question 2 puisse avoir son plein effet. Tout ce qui peut tendre à établir la tolérance chez les hommes doit être protégé bien fortement par vous .

Ce n’est que sur les lettres réitérées de Toulouse que j’y envoie les Sirven ; ce n’est que parce qu’on me mande qu’une grande partie du parlement, qui n’était qu’un séminaire de pédants ignorants, est devenue une académie de philosophes. Il faut partout laisser pourrir la grand-chambre 3, mais partout les enquêtes se forment ! Marc-Michel Rey n’a pas nui à ce prodigieux changement. Il ne s’agissait pas de faire une révolution dans les États, comme du temps de Luther et de Calvin, mais d’en faire une dans l’esprit de ceux qui sont faits pour gouverner. Cet ouvrage est bien avancé d’un bout de l’Europe à l’autre, et l’Italie même, le centre de la superstition, secoue fortement la poussière dans laquelle elle a été ensevelie. Je bénis donc Dieu dans mes derniers jours, et je me recommande, dans ma misère, à mes anges gardiens, dans la grâce desquels je veux mourir.

V. »

1 D'Argental est né en 1700 .

2 Il s’agit ici de la représentation des Guèbres, tragédie.

28/08/2024

Les Turcs n’ont que ce qu’ils méritent en étant gouvernés par un si sot homme ; mais cet homme, tout sot qu’il est, fera couler des torrents de sang. Puisse-t-il y être noyé !

... C'est vrai au XXIè siècle comme ça l'a été du temps de Voltaire, Erdogan est aussi pourri que Moustapha III, et sachant qu'il a été démocratiquement élu n'est pas rassurant sur l'état d'esprit du peuple qui veulement donne le pouvoir à un dictateur avant de simplement l'égratigner au plan local : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/eclairage/e...

Petit espoir d'éloigner le sabre des nuques kurdes et tous autres opposants ?

Sale temps au Moyen Orient !

 

 

 

« Au comte Alexandre Romanovitch Vorontsov

Au château de Ferney ce 26è février 1769 1

Monsieur,

Votre lettre du 19è de décembre 2 m’a été rendue par M. le prince de Koslouski. Ce n’a pas été la moindre de mes consolations dans mes maladies, qui me rendent presque aveugle. Toutes les bontés dont votre inimitable impératrice m’honore, et ce qu’elle fait pour la véritable gloire, me font souhaiter de vivre. Heureux ceux qui verront longtemps son beau règne ! La voilà, comme Pierre le Grand, arrêtée quelque temps dans sa législation par des Turcs, qui sont les ennemis des lois comme des beaux-arts.

Il n’y avait rien de si admirable, à mon gré, que ce qu’elle faisait en Pologne. Après y avoir fait un roi, et un très bon roi, elle y établissait la tolérance, elle y rendait aux hommes leurs droits naturels ; et voilà de vilains Turcs, excités je ne sais par qui (apparemment par leur Alcoran et par MM. de l’Évangile), qui viennent déranger toutes mes espérances de voir la Pologne délivrée du tribunal du nonce du pape. Le nom d’Allah et de Jehovah soit béni ! mais les Turcs font là une méchante action.

Eh bien , monsieur, si vous aviez été ministre à Constantinople au lieu de l’être à la Haye, vous auriez donc été fourré aux Sept-Tours par des Capigi-Bachi ? Je voudrais bien savoir quel plaisir prennent les puissances chrétiennes à recevoir tous les jours des nasardes sur le nez de leurs ambassadeurs, dans le divan de Stamboul. Est-ce qu’on ne renverra jamais ces barbares au delà du Bosphore ? Je n’aime pas l’esclavage, il s’en faut beaucoup ; mais je ne serais pas fâché de voir des mains turques un peu enchaînées cultiver vos vastes plaines de Kazan et manœuvrer sur le lac Ladoga . Tous les souverains sont des images de la divinité 3, on le leur dit tant dans les dédicaces des livres et dans les sermons qu’on prêche devant eux, qu’il faut bien qu’il en soit quelque chose ; mais il me semble que Moustapha ressemble à Dieu comme le bœuf Apis ressemb[l]ait à Jupiter. Les Turcs n’ont que ce qu’ils méritent en étant gouvernés par un si sot homme ; mais cet homme, tout sot qu’il est, fera couler des torrents de sang. Puisse-t-il y être noyé ! Ou je me trompe, ou voilà un beau moment pour la gloire de votre empire. Vos troupes ont vaincu les Prussiens, qui ont vaincu les Autrichiens, qui ont vaincu les Turcs. Vous avez des généraux habiles, et l’imbécile Moustapha prend le premier imbécile de son sérail pour être son grand vizir. Ce grand vizir donne des corps à commander à ses pousses 4; si ces gens-là vous résistent, je serai bien étonné.

Je ne le suis pas moins que la plupart des princes chrétiens entendent si mal leurs intérêts. Ce serait un beau moment à saisir par l’empereur d’Allemagne ; et pourquoi les Vénitiens ne profiteraient-ils pas du succès de vos armes pour reprendre la Grèce 5, dont je les ai vus en possession dans ma jeunesse . Mais pour de telles entreprises il faut de l’argent, des flottes, de l’adresse, de la célérité, et tout cela manque quelquefois. Enfin j’espère que vous vous défendrez bien sans le secours de personne. Je vois, avec autant de plaisir que de surprise, que cette secousse ne trouble point l’âme de ce grand homme qu’on appelle Catherine. Elle daigne m’écrire des lettres charmantes, comme si elle n’avait pas autre chose à faire. Elle cultive les beaux-arts, dont les Ottomans n’ont pas seulement entendu parler, et elle fait marcher ses armées avec le même sang-froid qu’elle s’est fait inoculer. Si elle n’est pas pleinement victorieuse, la Providence aura grand tort. Je veux que vous soyez grand effendy dans Stamboul avant qu’il soit deux ans.

Agréez, monsieur, les sincères assurances du tendre respect que vous a voué pour sa vie,

monsieur,

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire. "

1 Original signé ( section de Leningrad de l'Institut d'Histoire de l'Académie des sciences de l'URSS, lettres de Voltaire) : copie du XIXè siècle qui a été suivie et dont l'exactitude est confirmée par Lyublinsky ; éd. Kehl.

3 Voir Dictionnaire philosophique, article Guerre page 318 note 1 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome19.djvu/328

4 Ce terme familier signifie selon Littré « agents subalternes employés à mettre à exécution des contraintes oar corps » . Sans doute V* pense-t-il au chiaou-bachi, qui, en fait, est une sorte de chef supérieur da la police . À la cour ottomane, comme dna sle reste des autres cours du temps, lees chefs militaires se voyaient confier en temps de paix diverses responsabilités administratives .

5 Les Vénitiens conquirent la Morée (Péloponnèse) en 1686 et 1687, et il la conservèrent par le traité de Carlowitz en 1699. Ils la perdirent dans la guerre de 1715.

Quand on n’a point de chevaux, on est trop heureux de se faire traîner par des mulets

... Macron cherche encore le mulet ou la mule ( ou l'âne.sse  bâté.e ) qui va se coltiner la constitution des ministères . Lui, franc comme la mule du pape, avance à reculons depuis un bon moment . A qui passer le mors ?

 

 

« A Alexandre Petrovitch Sumarokov

Au château de Ferney 26è février 1769 1

Monsieur,

Votre lettre 2 et vos ouvrages sont une grande preuve que le génie et le goût sont de tout pays. Ceux qui ont dit que la poésie et la musique étaient bornées aux climats tempérés se sont bien trompés. Si le climat avait tant de puissance, la Grèce porterait encore des Platon et des Anacréon, comme elle porte les mêmes fruits et les mêmes fleurs ; l’Italie aurait des Horace, des Virgile, des Arioste, et des Tasse ; mais il n’y a plus à Rome que des processions, et, dans la Grèce, que des coups de bâton. Il faut donc absolument des souverains qui aiment les arts, qui s’y connaissent, et qui les encouragent. Ils changent le climat ; ils font naître les roses au milieu des neiges.

C’est ce que fait votre incomparable souveraine. Je croirais que les lettres dont elle m’honore me viennent de Versailles, et que la vôtre est d’un de mes confrères de l’Académie française. M. le prince de Koslouski, qui m’a rendu ses lettres et la vôtre, s’exprime comme vous ; et c’est ce que j’ai admiré dans tous les seigneurs russes qui me sont venus voir dans ma retraite. Vous avez sur moi un prodigieux avantage ; je ne sais pas un mot de votre langue, et vous possédez parfaitement la mienne. Je vais répondre à toutes vos questions, dans lesquelles on voit assez votre sentiment sous l’apparence du doute. Je me vante à vous, monsieur, d’être de votre opinion en tout.

Oui, monsieur, je regarde Racine comme le meilleur de nos poètes tragiques, sans contredit : comme celui qui seul a parlé au cœur et à la raison, qui seul a été véritablement sublime sans aucune enflure, et qui a mis dans la diction un charme inconnu jusqu’à lui. Il est le seul encore qui ait traité l’amour tragiquement : car, avant lui Corneille n’avait fait bien parler cette passion que dans le Cid, et le Cid n’est pas de lui. L’amour est ridicule ou insipide dans presque toutes ses autres pièces.

Je pense encore comme vous sur Quinault : c’est un grand homme en son genre. Il n’aurait pas fait l’Art poétique, mais Boileau n’aurait pas fait Armide.

Je souscris entièrement à tout ce que vous dites de Molière et de la comédie larmoyante, qui, à la honte de la nation, a succédé au seul vrai genre comique, porté à sa perfection par l’inimitable Molière.

Depuis Regnard, qui était né avec un génie vraiment comique, et qui a seul approché Molière de près, nous n’avons eu que des espèces de monstres. Des auteurs qui étaient incapables de faire seulement une bonne plaisanterie ont voulu faire des comédies, uniquement pour gagner de l’argent. Ils n’avaient pas assez de force dans l’esprit pour faire des tragédies ; ils n’avaient pas assez de gaieté pour écrire des comédies ; ils ne savaient pas seulement faire parler un valet ; ils ont mis des aventures tragiques sous des noms bourgeois. On dit qu’il y a quelque intérêt dans ces pièces, et qu’elles attachent assez quand elles sont bien jouées : cela peut être ; je n’ai jamais pu les lire, mais on prétend que les comédiens font quelque illusion. Ces pièces bâtardes ne sont ni tragédies, ni comédies. Quand on n’a point de chevaux, on est trop heureux de se faire traîner par des mulets.

Il y a vingt ans que je n’ai vu Paris. On m’a mandé qu’on n’y jouait plus les pièces de Molière 3. La raison, à mon avis, c’est que tout le monde les sait par cœur ; presque tous les traits en sont devenus proverbes. D’ailleurs il y a des longueurs, les intrigues quelquefois sont faibles, et les dénouements sont rarement ingénieux. Il ne voulait que peindre la nature ; et il en a été sans doute le plus grand peintre.

Voilà, monsieur, ma profession de foi, que vous me demandez. Je suis fâché que vous me ressembliez par votre mauvaise santé ; heureusement vous êtes plus jeune, et vous ferez plus longtemps honneur à votre nation 4. Pour moi, je suis déjà mort pour la mienne.

J’ai l’honneur d’être avec l'estime infinie que je vous dois,

monsieur,

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire. »

1 Original de la main de Bigex, daté par Wagnière, les trois derniers mots et la signature autographe ; éd. « Lettre de M . de Voltaire à M. Soumarokoff » Journal étranger du 1er mai 1771, III, 452-455 ; Lyublinsky A. donne le fac similé de la première et de la quatrième page .

Voir : https://www.persee.fr/doc/cmr_0008-0160_1968_num_9_2_1743

2 Cette lettre non connue a été certainement apportée par le même courrier que la lettre de l'impératrice et que la lettre de Vorontsov du même jour .

3 Ceci est très inexact . Dans les seuls mois de janvier-février 1769, on trouve une représentation du Festin de Pierre, du Médecin malgré lui, de L’École des femmes, de Georges Dandin, des Précieuses ridicules et du Misanthrope ; deux du Tartuffe, des Femmes savantes et de L'Avare, et six du Bourgeois gentilhomme, soit en tout dix-huit représentations de dix pièces . La seule grande pièce à ne pas être représentée est Amphitryon . Durant ces mêmes mois on donna treize représentations de sept pièces de V*.

Voir : https://shs.cairn.info/jean-francois-regnard-1655-1709--9782200276072-page-303?lang=fr

4 Poète russe. Il a été le père de la tragédie en Russie, comme Corneille l’a été en France. (Kehl.)

Soumarokov, né en 1718, mort en 1777, est le premier auteur dramatique « régulier »russe. Voir à son sujet Jules Patouillet « Un épisode de l'histoire littéraire de la Russie : la lettre de Voltaire à Soumarokov », Revue de littérature comparée, 1927, VII, 438-458 . Sur la réception enthousiaste de la lettre de V*, voir Piotr Zaborov « Le Théâtre de Voltaire en Russie au XVIIIè siècle », Cahiers du monde russe et soviétique, 1968, IX, 152.

Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Soumarokov

et : https://data.bnf.fr/fr/14473031/aleksandr_petrovic_sumarokov/

27/08/2024

Je ne sais pas ce qui est arrivé à notre nation qui donnait autrefois de grands exemples en tout , mais nous sommes bien barbares en certains cas et bien pusillanimes dans d'autres

... C'est d'actualité, hélas .

Heureusement les Jeux paralympiques vont nous redonner un peu d'espoir aux qualités humaines .

 

 

« A Catherine II, impératrice de Russie

26è février 1769 à Ferney 1


Cette belle et noire pelisse

Est celle que perdit le pauvre Moustapha,2

Quand notre brave impératrice

De ses musulmans triompha ;

Et ce beau portrait que voilà,

C’est celui de la bienfaitrice

Du genre humain qu’elle éclaira.

Voilà ce que j’ai dit, madame, en voyant le cafetan dont votre majesté impériale m’a honoré, par les mains de M. le prince Kouslowsky, capigi bachi 3 de vos janissaires, et surtout cette boite tournée de vos belles et 4 augustes mains, et ornée de votre portrait.

Qui le voit et qui le touche

Ne peut borner ses sens à le considérer ;

Il ose y porter une bouche

Qu’il n’ouvre désormais que pour vous admirer.

Mais quand on a su que la boite était l’ouvrage de vos propres mains, ceux qui étaient dans ma chambre ont dit avec moi :

Ces mains, que le ciel a formées

Pour lancer les traits des Amours,

Ont préparé déjà ces flèches enflammées,

Ces tonnerres d’airain dont vos fières armées

Au monarque sarmate 5 assurent des secours ;

Et la Gloire a crié, de la tour byzantine,

Aux peuples enchantés que votre nom soumet :

Victoire à Catherine !

Opprobre 6 à Mahomet !

 Qu’est devenu le temps où l’empereur d’Allemagne aurait, dans les mêmes circonstances, envoyé des armées à Belgrade, et où les Vénitiens auraient couvert de vaisseaux les mers du Péloponnèse ? Eh bien ! madame, vous triompherez seule. Montrez-vous seulement à votre armée vers Kiovie, ou plus loin, et je vous réponds qu’il n’y a pas un de vos soldats qui ne soit un héros invincible. Que Moustapha se montre aux siens, il n’en fera que de gros cochons comme lui.

Quelle fierté imbécile dans cette tête coiffée d’un turban à aigrette ! Tous les rois de l’Europe ne devraient-ils pas venger le droit des gens, que la Porte ottomane viole tous les jours avec un orgueil si grossier 7 ?

Ce n’est pas assez de faire une guerre heureuse contre ces barbares, pour la terminer par une paix telle quelle ; ce n’est pas assez de les humilier, il faudrait les détruire 8. Un homme à idées neuves me disait il y a quelques jours qu'on pourrait aisément dans les vastes plaines où vos troupes vont marcher se servir avec succès des anciens chariots de guerre en les rectifiant . Il imaginait des chars à deux timons bordés à leur extrémité d'un large chanfrein qui couvrirait le poitrail des chevaux . Chaque char très léger serait conduit par deux fusiliers postés derrière le char sur une soupente 9. Ces chars précéderaient la cavalerie . Ce spectacle étonnerait les Turcs , et tout ce qui étonne subjugue . Ce qui ne vaudrait rien dans un pays entrecoupé ou montagneux pourrait être merveilleux en plaine, au moins pour une campagne . L’essai coûterait fort peu de chose . Il pourrait beaucoup servir sans nuire ; voilà ce que me disait mon songe-creux, et je le répète à l'héroïne de notre siècle . Elle en jugera d'un coup d’œil . Elle pourra en rire, mais elle pardonnera au zèle .

Pendant qu'Elle se prépare contre le Turc Elle forme un corps de lois 10. Je lis l'instruction préliminaire que Votre Majesté Impériale a la bonté de m'envoyer et je n'interromps ma lecture que pour achever ma lettre 11. Madame, Numa et Minos 12 auraient signé votre ouvrage, et n'auraient pas été peut-être capables de le faire . Cela est net, précis , équitable, ferme et humain . Soyez sûre que personne n'aura dans la postérité un plus grand nom que vous 13 , mais au nom de Dieu, battez les Turcs, malgré le nonce du pape en Pologne qui est si bien avec eux .

De tous les préjugés destructrice brillante,

Qui du vrai dans tout genre embrassez le parti,

Soyez à la fois triomphante

Et du saint Père et du muphti .

Ah ! Madame, quelle leçon Votre Majesté 14 donne à nos petits Français 15, à notre ridicule Sorbonne, à nos charlatans disputeurs 16 dans les écoles de médecine ! Vous vous êtes fait inoculer avec moins d'appareil qu'une religieuse prend un lavement 17 . Le prince impérial a suivi votre exemple . M. le comte Orlof va à la chasse dans la neige après s'être fait donner la petite vérole . Voilà comme Scipion en aurait usé si la petite vérole 18 venue d'Arabie avait existé de son temps .

Pour nous autres nous avons été sur le point de ne pouvoir être inoculés que par arrêt du Parlement . Je ne sais pas ce qui est arrivé à notre nation qui donnait autrefois de grands exemples en tout 19 , mais nous sommes bien barbares en certains cas et bien pusillanimes dans d'autres .

Madame, je suis un vieux malade de soixante et quinze ans . Je radote peut-être, mais je vous dis au moins ce que je pense, et cela est assez rare quand on parle à des personnes de votre espèce . La majesté impériale disparaît sur mon papier devant la personne . Mon enthousiasme l'emporte sur mon profond respect . Je révère la législatrice, la guerrière, la philosophe . Je prends la liberté de mettre dans ce paquet des niaiseries indignes d'elle 20. J'ai ramassé sur-le-champ ce que j'ai pu . S'il paraît quelque chose qui puisse l’amuser, comment pourrai-je l'envoyer ? Est-ce par la poste ? Mais je serai mort d'étisie 21 avant d'avoir reçu vos ordres . Battez les Turcs et je meurs content 22.

Vous n'avez que faire , madame, des formules ordinaires des lettres . Votre Majesté Impériale est de toutes façons trop au dessus du profond respect du vieil ermite .

V.

P.S. – Ce vieux habitant des Alpes qui a osé se présenter l'année passée à Votre Majesté Impériale avec son hommage au cou, était en porcelaine . On ne l'émaille point, parce que l'émail cause des reflets qui empêchent de discerner les figures . C'est un art assez agréable et que Votre Majesté peut aisément introduire dans les manufactures, avec tous les autres arts qu'elle fait naître . Mais le premier des arts est d'apprendre à vivre à Moustapha . »



1 Le problème du texte de cette lettre est complexe . À défaut de l’original, on dispose de plusieurs manuscrits et du texte de l'édition de Kehl . Grosso modo, on peut distinguer ceux qui donnent le texte réellement envoyé à Catherine et ceux qui représentent un texte élaboré en vue d'une publication . Un manuscrit tient une place à part . Il s'agit de la minute, entièrement autographe, qui servit à la fois à l’établissement de la lettre effectivement envoyée et à l’établissent, après suppression de la première moitié et d'un court paragraphe à la fin, puis diverses corrections, du texte destiné à la publication . Ce manuscrit n'est conservé que pour les quatre premières pages, mais celles-ci contiennent presque toute la lettre , à la seule exception du paragraphe de formule et du post-scriptum . Ceux-ci figurent dans un manuscrit conservé à Moscou, qui a défaut de l'original disparu, représente le texte que reçut Catherine .

Un troisième manuscrit , limité à un fragment, est pourtant important : copié d'après la minute, il comporte en effet des corrections de la main de Voltaire , toujours en vue de la publication . Ces trois manuscrits seront désignés respectivement par les sigles MS1, MS2 et MS3 .

D'autres copies contemporaines, moins soignées, existent encore et seront exceptionnellement citées plus loin ; l'édition originale est celle de Kehl qui donne la lettre en deux fois, conformément à deux de ces copies , correspondant à la première moitié de la lettre, que Voltaire avait biffée en vue de la publication, et à la seconde moitié, conservée par lui et retouchée en vue de la publication ; la première de ces deux « Lettres » étant datée de janvier-février 1769 .

Le texte proposé au lecteur est celui de la minuteMS1 dans sa version initiale, c'est-à-dire avant que Voltaire ne le retouche en vue de sa publication . On remarquera qu'il est, comme on l'attend, pratiquement identique au texte de ce manuscrit de Moscou qu'on donnera pour la fin de la lettre, qu'il est seul à contenir .

2 La Correspondance littéraire (1877-1882), VI, 200-, ( https://books.openedition.org/pupo/1003?lang=fr

) donne à la date du 15 mars 1769 tous les renseignements souhaitables sur cette pelisse et sur les autres présents somptueux par lesquels Catherine reconnaissait le précieux concours de V* pour présenter sous les meilleures couleurs possibles sa politique expansionniste : voir page 200- : https://commons.wikimedia.org/w/index.php?title=File:Correspondance_litt%C3%A9raire,_philosophique_et_critique,_tome_6.djvu&page=212

3 Le capigi bachi est un chambellan du sultan .

4 Les mots belles et sont ajoutés au dessus de la ligne dans MS1 . Ils ne figurent pas dans MS2.

5 Au roi de Pologne. (Georges Avenel.)

6 Opprobre est le texte primitif de MS1 et le texte de MS2 . V* a corrigé ce mot sur la minute en Nazarde, et ce texte a passé dans les autres copies et dans l'édition de Kehl, suivie, ici comme dans tous les cas par les éditions suivantes .

7 Ayant arraché du résident russe l’aveu que, malgré des promesses réitérées, l’impératrice n’avait pas encore donné à ses troupes l’ordre d’évacuer la Pologne, le sultan l’avait fait enfermer aux Sept-Tours et avait déclaré qu’il allait entrer en campagne avec cinq cent mille hommes. (G.Avenel.)

L'hostilité de V* à l'égard de la Turquie ne s'explique que par son adulation pour Catherine . Inquiet de la politique agressive de Catherine envers la Pologne, notre alliée, Choiseul a poussé la Turquie à déclarer la guerre à la Russie, le 6 octobre 1768 . Mais la Porte n'était pas prête à la guerre . Au printemps de 1769, trois armées russes attaquent la Crimée, les principautés moldo-slovaques et Kabardié, soulevant ainsi des révoltes en Grèce, en Syrie et en Égypte . Khotin , en Bessarabie, tomba en septembre 1769 . En mai 1770, les Russes détruisirent la flotte turque au large de Chechmé, en juin les principautés furent conquises par la victoire de Kartal, et en novembre le passage du Danube et du Dniester fut ouvert par la prise d'Ismail et de Kilia sur le premier , d'Akkerman et de Bender sur le second . En 1771 les Russes franchirent le Danube et la conquête de la Crimée fut achevée . Des conférences de paix furent alors tenues sans succès et les Turcs se montrèrent temporairement capables de résister repoussant les Russes à Varna en Silistrie . Le 24 décembre 1773 Moustapha III mourut laissant un pays épuisé et désorganisé . En juillet1774 la principale armée turque ses trouva coupée de Constantinople . Les négociations furent reprises et un traité fut signé à Koutchouk Kainardjii le 21 juillet 1774 . Selon ce traité les Tartares étaient libérés de la suzeraineté ottomane pour tomber en fait sous la domination russe, les armées russes occupant toutes les places fortes du pays compris entre la Pologne et la mer Caspienne . La Russie prenait fermement pied sur la mer Noire trouvant ainsi un accès vers le Bosphore et les Dardanelles . Rapidement la Crimée devint un territoire russe . Du même coup les Russes avaient les mains libres sur le flanc occidental et s'assuraient la plus grande part dans le partage de la Pologne . Le tout se passa aux applaudissements de V* qui, à la différence des hommes d’État français, et notamment Choiseul, donna ainsi un remarquable exemple d’aveuglement historique . La future guerre de Crimée pour ne pas aller plus loi, était en effet en germe dans les événements en question .

8 V* n'osa pas maintenir ce texte . MS3 et l'édition de Kehl portent les reléguer pour jamais en Asie au lieu de les détruire .

9 Voltaire avait envoyé à l’impératrice, dans cette même lettre, un mémoire d’un officier français qui proposait de renouveler dans la guerre des Turcs l’usage des chars de guerre, absolument abandonné par les anciens depuis l’époque de la guerre Médique. (Kehl.)

On reconnaît ici les chars de combat proposés par V* sans succès pendant la guerre de Sept Ans . Mais qu'est-ce que cette soupente ( écrit à tort et sans explication suppante dans Besterman ) ? Les soupentes d'un carrosse sont de fortes lanières de cuir qui au temps où les ressorts n’étaient pas employés assuraient une sorte de suspension au véhicule . Il ne doit pas s'agir de cela ici . Il faut sans doute prendre le terme dans le sens de « petit réduit suspendu en l'air » comme on en faisait dans certaines cuisines ou dans les écuries .

10 Une correction ultérieure de V* sur MS1 donne le texte suivant : Quoi pendant que Votre Majesté impériale se prépare à battre le Grand Turc elle forme un corps de lois chrétiennes . MS2 a le même texte que la version initiale de MS1, mais porte les Turcs pour le Turc .

11 Le membre de phrase depuis et je n’interromps a été biffé après coup par V* sur MS1 . Ici encore la correction est faite en vue de la publication .

12 Sur Ms1 V* a biffé les mots Madame, Numa et Minos remplacés par Licurgue et Solon .

13 Sur MS3, V* a remplacé le début de cette phrase depuis Soyez sûre par Les législateurs ont le première place dans le temple de la gloire, les conquérants ne viennent qu’après . Ce texte reparaît dans le manuscrit B.N.N. 24331 , et les éditions de Kehl ,qui disposaient à la fois des deux versions, rétablissent le passage supprimé à la suite de celui qui le remplaçait .

14 Kehl et les autres éditions ajoutent ici Impériale .

15 Les éditions diminuent la portée de la phrase en corrigeant à nos petits-maîtres français .

16 Ici encore les éditions atténuent : à nos sages maîtres de Sorbonne, à nos Esculapes .

17 En fait l'inoculation de Catherine a été traitée comme une affaire d’État ; voir le Supplément aux nouvelles de divers endroits à la date du 21 janvier 1760 .

18 Correction ultérieure de V* sur MS1 : la petite évrole remplacé par cette maladie .

19 MS2 en tout genre .

20 Ces niaiseries incluent certainement Les Colimaçons du R. P. Lescarbot, Les Singualarités de la nature et L'A.B.C.

21Etisie s'employait encore ua XIXè siècle au sens de « Phtisie, maladie de langueur » , apparenté à étique, qui survit .

22 Ici finit le texte de MS1.

 

 

26/08/2024

je ne souhaiterais point du tout que M*** eût le contrôle général : il fricasserait tout en deux ans ; tout l’argent irait en gratifications, pensions, bienfaits, magnificences. Un contrôleur général doit avoir la main et le cœur un peu serré

... Est-ce cela qui fait tant hésiter le président pour choisir et désigner le nouveau chef du gouvernement ? J'en doute , mais allez savoir ce qui se passe dans la tête d'un président face à des branquignols qui restent dressés sur leurs ergots avec les pieds dans le fumier de leurs idées dépassées et égoïstes .

 

 

« A Jean-Chrysostome Larcher, comte de La Touraille

A Ferney le 24 février [1769]1

Je n’ai jamais prétendu, monsieur, qu’on dût jamais s’offenser d’être comparé à Jean-Baptiste Colbert.2 J’ai écrit seulement qu’un ministre de la Guerre et de la Paix n’avait pas plus de rapport à un contrôleur général qu’avec un archevêque de Paris. Je vous avoue même que je ne souhaiterais point du tout que M. le duc de Choiseul eût le contrôle général : il fricasserait tout en deux ans ; tout l’argent irait en gratifications, pensions, bienfaits, magnificences. Un contrôleur général doit avoir la main et le cœur un peu serrés. M. le duc de Choiseul a des vices tout contraires à cette vertu nécessaire. Il ne se corrigerait jamais de son humeur généreuse et bienfaisante. Quand milord Bolingbroke fut fait secrétaire d’État, les filles de Londres, qui faisaient alors la bonne compagnie, se disaient l’une à l’autre : « Betty, Bolingbroke est ministre ! Huit mille guinées de rente ; tout pour nous. 3»

À propos de générosité, je prends la liberté de demander à Mgr le prince de Condé le congé d’un soldat de sa légion 4. J’ai fait un peu les honneurs de ma chaumière à cette légion romaine. J’en rappellerais le souvenir à M. le comte de Maillé s’il était à Paris. J’explique toutes mes raisons à Son Altesse Sérénissime ; mais ces raisons seront bien moins fortes qu’un mot de votre bouche, et je vous supplie d’avoir la bonté de dire ce mot à un prince qui ne se fait pas prier quand il s’agit de faire des heureux.

Agréez, monsieur, les respectueux sentiments du vieux malade de Ferney. »

1 Copie Beaumarchais-Kehl ; éd. Kehl ; Beuchot place cette lettre en 1768 comme celle du 19 janvier ; et Louis Moland la place le 24 avril 1769 .

2 M. de Voltaire avait désapprouvé que, dans des vers adressés à M. le duc de Choiseul, M. le comte du La Touraille eut comparé ce ministre à Colbert. (Kehl). Voyez la lettre du 29 janvier 1769 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/08/07/le-plaisir-l-emporte-sur-la-peine-6509757.html

3 Anecdote enregistrée dans les Notebooks, I, 61. Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Bolingbroke,_sa_vie_et_son_temps/01

4 Cette lettre n'est pas connue .