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11/01/2011

les vieilles têtes rongées de la teigne de la barbarie mourront bientôt

 

 

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

 

13è janvier 1769

 

Je vous renvoie, mon cher philosophe, votre chien danois i. Il est beau, bien fait, hardi, vigoureux, et vaut mieux que tous les petits chiens de manchon qui lèchent et qui jappent à Paris.

Votre discours est excellent, vous êtes presque le seul qui n'alliez jamais ni en deçà ni en delà de votre pensée. Je vous avertis que j'en ai tiré copie.

Le Mercure devient bon ii. Il y a des extraits de livres fort bien faits ; pourquoi ne pas y insérer ce discours dont le public a besoin iii? La Bletterie a juré à son protecteur et à sa protectrice iv qu'il ne m'avait point eu en vue et qu'il me permettait de ne pas me faire enterrer . Il dit aussi qu'il n'a point songé à Marmontel quand il a parlé de Bélisaire, ni au président Hénault quand il a dit que la précision des dates est le sublime des historiens sans talents v. J'ai tourné le tout en plaisanterie.

A propos du président Hénault, le marquis de Bélestat m'a écrit enfin qu'il était très fâché que j'eusse douté un moment que le portrait de Sha Abas et du président fussent de lui vi; qu'ils sont très ressemblants, que tout le monde est de son avis, et qu'il n'en démordra point vii. J'ai envoyé sa lettre à notre ami Martin . On a fait trois éditions de ce petit ouvrage en province, car la province pense depuis quelques années ; il s'est fait un prodigieux changement par exemple dans le parlement de Toulouse ; la moitié est devenue philosophe et les vieilles têtes rongées de la teigne de la barbarie mourront bientôt viii.

Oui, sans doute , je regrette Damilaville ix. Il avait l'enthousiasme de Saint Paul et n'en avait ni l'extravagance ni la fourberie . C'était un homme nécessaire . Oui, oui, l'A.B.C. est d'un membre du parlement d'Angleterre nommé Huet x, parent de l'évêque d'Avranches et connu par de pareils ouvrages . Le traducteur est un avocat nommé La Bastide ; ils sont trois de ce nom là . Il est difficile qu'ils soient égorgés tous les trois par les assassins du chevalier de La Barre.

Vous n'avez point de bons livres à Paris , Le Militaire philosophe xi, Les Doutes xii, L'Imposture sacerdotale xiii, Le polissonnisme dévoilé xiv; il parait tous les huit jours un livre dans ce goût en Hollande . La Riforma d'Italia xv, qui n'est pourtant qu'une déclamation, a fait un prodigieux effet en Italie. Nous aurons bientôt de nouveaux cieux et une nouvelle terre ; j'entends pour les honnêtes gens : car pour la canaille le plus sot ciel et la plus sotte terre est ce qu'il lui faut.

Je prends le ciel et la terre à témoins que je vous aime de tout mon cœur.

Par Dieu, vous êtes bien injuste de me reprocher des ménagements pour gens puissants xvi que je n'ai connus jadis que pour gens aimables, à qui j'ai les dernières obligations, et qui même m'ont défendu contre les monstres. En quoi puis-je me plaindre d'eux ? Est-ce parce qu'ils m 'écrivent pour me jurer que La Bletterie jure qu'il n'a pas pensé à moi ? Faudrait-il que je me brûlasse toujours les pattes pour tirer les marrons du feu ? Ce sont les assassins xvii que je ne ménage pas ; voyez comme ils sont fêtés, tome Ier et tome IV du Siècle. »

 

i Discours prononcé à l'Académie en l'honneur du roi de Danemark.

 

ii Lacombe a pris la direction du Mercure en juillet 1768, succédant à La Place ; V* lui écrira : « Enfin nous avons un bon Mercure » et souscrira à nouveau.

Page 143 : http://books.google.be/books?id=sJvdVcXBdSoC&pg=PA143...

 

iii Le Mercure de janvier n'en donnera qu'un bref résumé.

 

iv Duc et duchesse de Choiseul ; le duc a écrit à V* le 16 novembre 1768 : « L'abbé de La Bletterie n'a jamais dit que vous aviez oublié de vous faire enterrer ...; il ne vous a point eu en vue du tout dans les notes de son ouvrage ; il me l'a juré, et pour peu qu'on le connaisse, l'on est obligé de le croire. » Cf. lettre à Mme du Deffand du 26 décembre : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/12/25/q...

 

v Ce que vient de lui écrire Mme du Deffand le 5 janvier, ajoutant : « Personne ne lui en a fait l'application [à Hénault] », car , dit-elle, « La Bletterie parle des historiens, et le président n'a prétendu faire qu'une chronologie. »

 

vi A savoir les critiques contre Louis XV et le président Hénault contenues dans l'Examen de la nouvelle histoire de Henri IV ( que V* attribuera à La Beaumelle) ; cf. lettre à Hénault du 13 septembre, lettre à d'Argental du 18 septembre: http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/09/18/d...

, Mme Denis du 26 octobre : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/26/m...

, Mme du Deffand du 21 décembre 1768 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/12/20/j...

 

vii Bélestat écrit à V* le 20 décembre 1768 pour assumer la paternité de l'ouvrage : « Je le lus il y a quelque temps à l'Académie, et je ne vois pas ce qui pourrait m'engager à le désavouer ... je ne souffrirais pas que qui que ce soit abusât de mon nom... ». Il se justifie ainsi : « La page 24 que vous avez fait copier est une critique vague de l'éducation raisonnée de la plupart des princes, et n'est applicable à aucun d'eux en particulier ... Quant au président Hénault, j'en ai dit ce qu'en pensent tous ceux qui sont versés dans notre histoire... »

 

viii L'abbé Audra lui a écrit le 20 novembre de Toulouse : « Vous ne sauriez croire combien augmente dans cette ville le zèle des gens de bien et leur amour et leur respect pour le patriarche de la tolérance et de la vertu ... Quant au parlement et à l'ordre des avocats, presque tous ceux qui sont au-dessous de l'âge de trente cinq ans sont pleins de zèle et de lumière, et il ne manque pas de gens instruits parmi les personnes de condition. »

 

ix Décédé en décembre.

 

x L'A.B.C. est attribué à V* ; le nom de Huet vient peut-être de celui de William Hewet qui lui demandait de patronner son Essai sur la religion et lui annonçait sa visite le 3 décembre 1758 ; cf. lettres à Mme du Deffand du 21 et 26 décembre 1768 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/12/25/q...

 

xi Édité principalement par Naigeon, d'après le manuscrit des Difficultés sur la religion, proposées au père Malebranche.

 

xii Doutes sur la religion, suivis de l'analyse du traité théologico-politique de Spinoza, par le comte de Boulainvilliers, qui peut être en réalité de Guéroult de Pival, 1767.

 

xiii Du baron d'Holbach, 1767.

 

xiv = Le Christianisme dévoilé du baron d'Holbach.

 

xv De Pilati di Tassulo.

 

xvi Le 2 janvier d'Alembert a écrit : « Vous voyez ... ce qui en arrive quand on les flatte ; ils trouvent mauvais qu'on se moque des plats auteurs qu'ils protègent ; on s'expose à de tels reproches quand on caresse ceux qui les font. » Page 218 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80039n/f223.image.p...

 

xvii Tant ceux qui condamnent à mort que ceux qui exécutent par fanatisme.

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