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25/12/2010

que leurs traits ne se méprennent point, et ne détruisent pas la religion que je respecte infiniment, et que je pratique

C'est Noël, et en guise de cadeau je vous donne cette lettre de Volti à Mme du Deffand qui avait la chance/malchance d'avoir du temps à perdre et qui parfois, pour se désennuyer demandait "du Voltaire" ; elle aurait pu tomber plus mal en guise de distraction .

http://www.deezer.com/listen-1150471 

nounours noel animé.gif

http://www.deezer.com/listen-7578479 : "I believe" dit le King, tout comme -(là j'extrapole un peu, un tout petit peu !-) )- Volti .

Etonnante citation-titre aux yeux de certains , évidente pour ceux qui connaissent notre malicieux et prudent -(de temps en temps)- Volti .

http://www.deezer.com/listen-540427

 

 Quant à moi, -paraphrasant Volti,- je déclare à Mlle Wagnière :

"Ce n'est pas assurément, Mam'zelle, une lettre de bonne année que je vous écris, car tous les jours m'ont paru fort égaux, et il n'y en a point où je ne vous sois très tendrement attaché."

Et je n'ajoute ni ne retranche rien à cette déclaration .

 Fidèlement : http://www.deezer.com/listen-2544872

 

« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise du Deffand

 

26è décembre 1768

 

Ce n'est pas assurément, Madame, une lettre de bonne année que je vous écris, car tous les jours m'ont paru fort égaux, et il n'y en a point où je ne vous sois très tendrement attaché.

 

Je vous écris pour vous dire que votre petite mère ou grand-mère i(je ne sais comment vous l'appelez) a écrit à son protégé Dupuits une lettre où elle met sans y songer, tout l'esprit et les grâces que vous lui connaissez. Elle prétend qu'elle est disgraciée à ma cour, parce que je ne lui ai envoyé que Le Marseillais et le Lion de Saint Didier, et qu'elle n'a point eu Les Trois Empereurs de l'abbé Caille ii. Mais je n'ai pas osé lui envoyer ces trois têtes couronnées, à cause des notes qui sont un peu insolentes, et de plus il m'a paru que vous aimiez mieux Le Marseillais et le Lion ; c'est pourquoi elle n'a eu que ces deux animaux . Il y a pourtant un vers dans Les Trois Empereurs qui est le meilleur que l'abbé Caille fera de sa vie . C'est quand Trajan dit aux chats fourrés de la Sorbonne :

Dieu n'est ni si méchant, ni si sot que vous le dites iii.

 

Quand un homme comme Trajan prononce une telle maxime, elle doit faire un très grand effet sur les cœurs honnêtes.

 

Votre petite mère ou grand-mère a un cœur généreux et compatissant . Elle daigne proposer la paix entre La Bletterie et moi. Je demande pour premier article qu'il me permette de vivre encore deux ans, attendu que je n'en ai que 75, et que pendant ces deux années il me serait loisible de faire une épigramme contre lui tous les six mois iv. Pour lui il mourra quand il voudra.

 

Saviez-vous qu'il a outragé le président Hénault autant que moi ? Tout ceci est la guerre des vieillards. Voici comme cet apostat janséniste s'exprime, page 235, tome II : En revanche, fixer l'époque des plus petits faits avec exactitude, c'est le sublime de plusieurs prétendus historiens modernes ; cela leur tient lieu de génie et de talents historiques v.

 

Je vous demande , Madame, si on peut désigner plus clairement votre ami ? Ne devrait-il pas l'excepter de cette censure aussi générale qu'injuste ? ne devrait-il pas faire comme moi qui n'ai perdu aucune occasion de rendre justice à M. Hénault, et qui l'ai cité trois fois vi dans le Siècle de Louis XIV avec les plus grands éloges ? Par quelle rage ce traducteur pincé du nerveux Tacite outrage-t-il le président Hénault, Marmontel, un avocat Linguet et moi, dans des notes sur Tibère ? Qu'avons-nous à démêler avec Tibère ? Quelle pitié ! et pourquoi votre petite mère n'avoue-t-elle pas tout net que l'abbé de La Bletterie est un mal avisé ?

 

Et vous, Madame, il faut que je vous gronde. Pourquoi haïssez-vous les philosophes quand vous pensez comme eux ? Vous devriez être leur reine, et vous vous faites leur ennemie . Il y en a un dont vous avez été mécontente vii, mais faut-il que le corps en souffre ? est-ce à vous de décrier vos sujets ?

 

Permettez-moi de vous faire cette remontrance en qualité de votre avocat général . Tout notre parlement sera à vos genoux quand vous voudrez, mais ne le foulez pas aux pieds quand il s'y jette de bonne grâce .

 

Votre petite mère et vous, vous me demandez L'A.B.C. Je vous proteste à toutes deux, et à l'archevêque de Paris, et au syndic de la Sorbonne, que L'A.B.C. est un ouvrage anglais, composé par un M. Huet très connu traduit il y a six ans, imprimé en 1762 viii, que c'est un rostbif anglais, très difficile à digérer par beaucoup de petits estomacs de Paris. Et sérieusement, je serais au désespoir qu'on me soupçonnât d'avoir été le traducteur de ce livre hardi dans mon jeune âge, car en 1762 je n'avais que 69 ans. Vous n'aurez jamais cette infamie qu'à condition que vous rendrez partout justice à mon innocence, qui sera furieusement attaquée par les méchants jusqu'à mon dernier jour.

 

Au reste il y a depuis longtemps un déluge de pareils livres. La Théologie portative ix pleine d'excellentes plaisanteries et d'assez mauvaises ; L'Imposture sacerdotale x traduite de Gordon ; La Riforma d'Italia xi, ouvrage trop déclamatoire qui n'est pas encore traduit mais qui sonne le tocsin contre tous les moines ; Les Droits des hommes et les Usurpations des papes xii, Le Christianisme dévoilé xiii par feu Damilaville ; Le Militaire philosophe xiv de Saint Hyacinthe ; livres tout de raisonnements, et capables d'ennuyer une tête qui ne voudrait que s'amuser. Enfin, il y a cent mains invisibles qui lancent des flèches contre la superstition. Je souhaite passionnément que leurs traits ne se méprennent point, et ne détruisent pas la religion que je respecte infiniment, et que je pratique.

 

Un de mes articles de foi, Madame, est de croire que vous avez un esprit supérieur . Ma charité consiste à vous aimer quand même vous ne m'aimeriez plus, mais malheureusement je n'ai pas l'espérance de vous revoir. »

 

 

i La duchesse de Choiseul .

 

iii Vers 101 .

 

iv Le 20 avril, d'Alembert signala à V* que La Bletterie « dans une des notes du second volume » de son Tibère, ou les six premiers livres des Annales de Tacite, traduits par ... Jean-Philippe-René de La Bletterie, 1768, « s'exprime avec beaucoup de mépris sur les écrivains autrefois célèbres qui veulent mourir la plume à la main et qui font dire au public: « Le pauvre a oublié de se faire enterrer »... Ses amis savent et publient que c'est à vous qu'il adresse cette belle diatribe ... »   Voir pages 97-98 : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cr...#                                                   V* avait déjà envoyé une épigramme dans sa réponse à d'Alembert le 27 avril.                                                                               Pages 341-343 : http://books.google.be/books?id=zzQHAAAAQAAJ&printsec...

 

v Citation exacte mot pour mot, sauf que le texte porte « avec la plus grande exactitude ».

 

vi Deux fois dans le chapitre sur la campagne et la mort de Turenne et quatre fois dans le Catalogue.

 

vii D'Alembert, notamment en 1760 où elle l'accuse d'avoir été son délateur auprès de V*.

 

viii Lieux et dates de publication sont fictifs, l'ouvrage L'A.B.C., dialogue curieux traduit de l'anglais de M. Huet est bien de V*. http://www.voltaire-integral.com/Html/27/16_A-B-C.html

 

xi De Carlo Antonio Pilati di Tassulo ; http://it.wikipedia.org/wiki/Carlantonio_Pilati

 

xiii Sans doute effectivement de Damilaville, attribué aussi au baron d'Holbach . http://www.voltaire-integral.com/Html/31/07_Devoile.html

http://visualiseur.bnf.fr/CadresFenetre?O=NUMM-88619&...

xiv Publié par Naigeon, entre autres, à partir d'un manuscrit : Les Difficultés sur la Religion proposées au père Malebranche. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k86225z/f1.image.pag...

 

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