20/10/2010
Un fripon armé des armes de la calomnie et de la vraisemblance peut faire beaucoup de mal
http://www.deezer.com/listen-299883
Note rédigée le 20 août 2011 pour parution le 20 octobre 2010
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
Aux Délices 20è octobre 1764
Mon divin ange, je vous ai écrit un petit mot par M. le duc de Praslin ; j'ai écrit à Mme d'Argental, qui vous communiquera ma lettre 1. Le petit ex-jésuite 2 est toujours plein de zèle et d'ardeur, et quand il reverra ses Roués, il attendra quelque moment d'enthousiasme pour faire réussir votre conspiration ; vous connaissez l'opiniâtreté de sa docilité .
Pour moi, vieux ex-parisien, et vieux excommunié, je suis toujours occupé de ce malheureux Portatif qu'on s'obstine à m'imputer . Un petit abbé d'Estrées, dont je vous ai, je crois, parlé dans mon billet, qui a travaillé autrefois avec Fréron, qui s'est fait généalogiste 3 et faussaire, à qui ce dernier métier a obtenu un petit prieuré dans le voisinage de Ferney, et qui a tous les vices d'un fréronien et d'un prieur, ce petit monstre, dis-je , est celui qui a eu la charité de se rendre mon dénonciateur .
Il faut que vous sachiez que ce polisson vint l'année passée prendre possession de son prieuré dans une grange, en se disant de la maison d'Estrées, promettant sa protection à tout le monde, et se faisant donner des fêtes par tous les gentilshommes du pays . Je n'eus pas l'honneur de lui aller faire ma cour, il m'écrivit que j'étais son vassal pour un pré qui relevait de lui, que mes gens étaient allés chasser une fouine auprès de sa grange épiscopale, qu'il voulait bien me donner à moi personnellement permission de chasser sur ses terres, mais qu'il procéderait par voie d'excommunication contre mes gens qui tueraient des fouines sur les siennes .
Comme je suis fort négligent, je ne lui fis point de réponse ; il jura qu'il s'en vengerait devant Dieu, et devant les hommes, et il clabaude aujourd'hui contre moi chez M. l'évêque d'Orléans 4, et chez monsieur le procureur général 5. Un fripon armé des armes de la calomnie et de la vraisemblance peut faire beaucoup de mal .
On m'impute le Portatif, parce qu'en effet il y a quelques articles que j’ai destinés autrefois à l'Encyclopédie, comme Amour, Amour-Propre, Amour socratique, Amitié etc . Mais il est démontré que le reste n'en est pas . J'ai heureusement obtenu qu'on remît entre mes mains l'article Messie, écrit tout entier de la main de l'auteur 6. Je ne vois pas ce qu'on peut répondre à une preuve aussi évidente . Tout le reste est pris de plusieurs auteurs connus de tous les savants .
En un mot, je n'ai nulle part à cette édition, je n'ai envoyé le livre à personne, je n'ai d'autres imprimeurs que les Cramer, qui certainement n'ont point imprimé cet ouvrage . Le roi est trop juste et trop bon pour me condamner sur des calomnies aussi frivoles qui renaissent tous les jours , et pour vouloir accabler sur une accusation aussi vague et aussi fausse un vieillard chargé d'infirmités .
Je finis, mon cher ange, parce que cette idée m'attriste ; et je ne veux songer qu'à vos bontés qui me rendent ma gaieté .
N.B.- Non, je ne finis pas . Le roi a chargé quelqu'un d'examiner le livre, et de lui en rendre compte, c'est ou le président Hénault ou M. d'Aguessau : je soupçonne que l'illustre abbé d'Estrées a diné avec le président chez le procureur général , dont il fait sans doute la généalogie . Cet abbé d'Estrées a mandé à son fermier qu'il me perdrait, il toujours sa fouine sur le cœur . Dieu le bénisse !
J'ai actuellement les yeux dans un pitoyable état, cela peut passer, mais les méchants ne passeront point .
Malgré mes yeux j'ajoute que Montpéroux, résident à Genève, aurait mieux fait de me payer l'argent que je lui ai prêté que d'écrire ce qu'il a écrit à M. le duc de Praslin 7.
Sub umbra alarum tuarum . »
1 Le comte étant à Fontainebleau, à la cour, V* écrivit à la comtesse une lettre de reniement du Dictionnaire philosophique qu'elle doit communiquer à son mari pour que, profitant de l'occasion, celui-ci obtienne des protections en haut-lieu : « M. d'Argental est à Fontainebleau , la vérité a là un bon appui . Je compte sur les bontés de M. le duc de Praslin ... »
3 D'où ce passage dans la lettre du 22 :
page 92 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80037z/f97.image.r=...
« Le petit abbé d'Estrées … emploie toutes les ressources de son métier de généalogiste pour prouver que le diable engendra Voltaire et que Voltaire a engendré le Dictionnaire philosophique . »
4 Louis Sextius de Jarente de La Bruyère .
http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Sextius_Jarente_de_La_...
5 Le 19 décembre à d'Alembert : page 121 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80037z/f126.image.r...
« (l'abbé) était à la campagne, en qualité de généalogiste et de polisson, chez M. de La Roche-Aymon, dont la terre touche à celle du procureur général »
6 Polier de Bottens, voir lettres du 19 octobre à d'Alembert et à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/16/a...
et : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/18/j...
7 Voir le texte cité dans une note de la lettre du 24 septembre à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/09/24/c...
A cette lettre du résident qui lui signalait l'indignation soulevée par le Dictionnaire, et sa condamnation à Genève;le duc répondait : « Il serait à désirer que le Conseil de Genève usât plus souvent de la sévérité avec laquelle il a traité le Dictionnaire philosophique . »
20:25 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.