Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/01/2014

Nous serons plus heureux vous et moi dans notre sphère que des ministres exilés, peut-être même que des ministres en place

...Non pas "peu-être", mais surement ! N'est-ce pas Mam'zelle Wagnière ?

 

ludo1023 bugg toxic.png

 Copyright Bugg Toxic -my youngest son.

 

« A Nicolas-Claude THIERIOT.

Chez madame la comtesse de Montmorency

rue Vivienne

à Paris

24 décembre [1758] aux Délices

Vous vous trompez mon ancien ami, j'ai quatre pattes au lieu de deux . Un pied à Lausanne dans une très belle maison pour l'hiver, un pied aux Délices près de Genève où la bonne compagnie vient me voir, voilà pour les pieds de devant . Ceux de derrière sont à Ferney et dans la comté de Tournay que j'ai achetée par bail emphytéotique du président de Brosses .

M. Crommelin se trompe beaucoup davantage sur tous les points . La terre de Ferney est aussi bonne qu'elle a été négligée . J'y bâtis un assez beau château . J'ai chez moi la pierre et le bois, le marbre me vient par le lac de Genève . Je me suis fait dans le plus joli pays de la terre trois domaines qui se touchent . J'ai arrondi tout d'un coup la terre de Ferney par des acquisitions utiles . Le tout monte à la valeur de plus de dix mille livres de rente , et m'en épargne plus de vingt puisque ces trois terres défrayent presque une maison où j'ai plus de trente personnes et plus de douze chevaux à nourrir .

Nave ferar magna an parva, ferar unus et idem.1

Je vivrais très bien comme vous, mon ancien ami, avec cent écus par mois , mais Mme Denis, l'héroïne de l'amitié, et la victime de Francfort, mérite des palais, des cuisiniers, des équipages, grande chère et beau feu . Vous fites très sagement d'appuyer votre philosophie de deux cents écus de rente de plus .

Tractari mollior œtas , Imbecilla volet 2, et il vous faut Mundus victus, non déficiente crumena.3 Nous serons plus heureux vous et moi dans notre sphère que des ministres exilés, peut-être même que des ministres en place . Jouissez de votre doux loisir . Moi je jouirai de mes très douces occupations, de mes charrues à semoir, de mes taureaux, de mes vaches.

Hanc vitam in terris Saturnus agebat.4

Quel fracas pour le livre de M. Helvétius! Voilà bien du bruit pour une omelette5! quelle pitié! Quel mal peut faire un livre lu par quelques philosophes? J'aurais pu me plaindre de ce livre, et je sais à qui je dois certaine affectation de me mettre à côté de certaines gens 6. Mais je ne me plains que de la manière dont l'auteur traite l'amitié 7, la plus consolante de toutes les vertus. Envoyez-moi, je vous prie, cette abominable justification de la Saint-Bartliélemy 8; j'ai acheté un ours, je mettrai ce livre dans sa cage. Quoi! on persécute M. Helvétius, et on souffre des monstres !

Je ne connais point Jeanne, je ne sais ce que c'est; mais je me prépare à mettre en ordre les matériaux qu'on m'envoie de Russie, pour bâtir le monument de Pierre le Créateur, et j'aime encore mieux bâtir mon château. Je vous remercie tendrement des cartes de ce malheureux univers 9.

Tuus

V. »

1 Que l'esquif qui me porte soit grand ou petit, je ne serai toujours qu'un seul et même passager .Horace, Épîtres, II, 200 .

2 V* a transformé mollius en mollior ; un âge affaibli exigera un traitement plus doux. Horace , Satires, II, 85-86

3 Une vie de luxe avec une bourse pleine . Horace, Épîtres, I, iv, ii.

4 Voila le genre de vie que Saturne menait sur terre [l'âge d'or] . Virgile, Géorgiques, II, 538 .

6 Allusion à De l'Esprit, livre II, chap. xii, où Helvétius écrit « pour former les esprits des Corneille, des Racine, des Crébillons et des Voltaire. » ; voir page 272 : http://books.google.fr/books?id=DlRFAAAAYAAJ&pg=PA261&lpg=PA261&dq=De+l%27Esprit,+livre+II,+chap.+xii+helvetius&source=bl&ots=Ezskek_M0Q&sig=lwfDHcJg5TU4Ah--FGQnRPwQWPY&hl=fr&sa=X&ei=_sfOUpvHMqPF0QXN1IDgBg&ved=0CEEQ6AEwAw#v=onepage&q=voltaire&f=false

8 Jean Novi de Caveirac [qui figure parmi les voués à l'enfer, sur le tableau dit Triomphe de Voltaire, au château de Ferney-Voltaire] : Apologie de Louis XIV et de son conseil, sur la révocation de l’Édit de Nantes […] avec une dissertation sur la journée de la St Barthélémy , 1758 . V* a noté sur son exemplaire « ouvrage abominable […] par un abbé de Caveirac . Presque tous les faits sont déguisés, les raisonnements faux, le style déclamatoire, et les principes affreux . »

 

Les commentaires sont fermés.