11/08/2014
si les dépenses immenses d'une guerre juste, mais ruineuse, absorbent les revenus de l'État, ni M. de Silhouette, ni Pope, n'y pourront suffire
... The End : https://www.youtube.com/watch?v=ayo75QnDnss
Michel Sapin n'est pas un Silhouette, et Jim Morrison n'est pas Pope (pas pope du tout, même ! ), et de nos jours les mêmes causes -les guerres-, donnent les mêmes effets qu'au XVIIIè siècle, des ruines .
Cette guerre qui pourrait être juste, contre les djihadistes , pour tenter de sauver leurs victimes, est au fond aussi bâtarde que tous les autres conflits, on va en être réduit à fournir des armes, -US et autres-, à des Kurdes pour lutter contre ceux qui possèdent déjà cet arsenal sophistiqué fourni involontairement par les mêmes marchands . Je tiens le pari (triste pari) que ces "braves Kurdes", une fois éliminés les djihadistes, retourneront les armes contre le pouvoir irakien pour faire valoir leurs droits , avoir leur part (la plus grosse possible) du gâteau territorial . On n'est pas près de quitter le regard sur cette poudrière .
"En cas de guerre, voici ce qui vous resterait ! "
« A Pierre-Robert Le Cornier de CIDEVILLE.
Aux Délices, 29 juin [1759].
Eh bien ! mon cher ami, vous êtes donc revenu à vos moutons 1; mais vous les quittez tous les ans, et je n'abandonne jamais les miens, quoiqu'ils ne soient pas si gras que les vôtres.
Vous êtes enthousiasmé, avec raison, de notre ministre des finances, et de Mlle Dubois 2; on dit grand bien de l'un et de l'autre.
Je suis bien aise de voir un homme de lettres contrôleur général. Il a traduit un Warburton 3 qui vous démontre net que jamais les lois de Moïse n'ont laissé seulement soupçonner l'immortalité de l'âme. Il a traduit le Tout est bien 4, mais quand dirons-nous : Tout n'est pas mal ? Le génie de M. de Silhouette est anglais, calculateur, et courageux; mais, si on nous prend des Guadeloupe 5, si ces maudits Anglais ont plus de vaisseaux que nous, et meilleurs; si les frais de la visite qu'on veut leur rendre sont perdus : si les dépenses immenses d'une guerre juste, mais ruineuse, absorbent les revenus de l'État, ni M. de Silhouette, ni Pope, n'y pourront suffire.
J'ai pris le parti de mettre une partie de ma fortune en terres; le roi de Prusse ne les saccagera pas, et elles porteront toujours quelques grains. Les biens en papier dépendent de la fortune, ceux de la terre ne dépendent que de Dieu. Si vous gouvernez votre Launai, vous savez que cette occupation emporte un peu de temps ; mais avouez qu'on en perd à Paris bien davantage. Je conduis tout le détail de trois terres presque contiguës à mon ermitage des Délices ; j'ai l'insolence de bâtir un château dans le goût italien, nel gran gusto 6; cela n'empêchera pas, mon ancien ami, que vous n'ayez votre Pierre le Grand, et une tragédie d'un goût un peu nouveau.
Puisque Gresset a renoncé à embellir la scène, il faut bien que je la gâte. Je me damne, il est vrai ; cela est honteux à mon âge; mais j'aime passionnément à me damner. Vous connaissez sans doute l'épigramme de Piron sur ce fanatique orgueilleux de Gresset.7 Qu'elle est jolie ! qu'elle est bien faite ! que l'insolent ex-jésuite est bien puni! Et que dites-vous du révérend père Poignardini-Malagrida 8, qu'on prétend avoir été loyalement brûlé à Lisbonne? Malheureusement ces nouvelles viennent des jansénistes. Qu'on les brûle ou qu'on les canonise, peu m'importe, à moi patriarche, qui ne connais plus que mes troupeaux, et qui ne suis point de leurs ouailles.
Savez-vous que le roi m'a donné de belles lettres patentes, par lesquelles mes terres sont conservées dans leurs anciens privilèges ? Et ces privilèges sont de ne rien payer du tout, d'être parfaitement libre. Y a-t-il un état plus heureux ? Je me trouve entre la France et la Suisse, sans dépendre ni de l'une ni de l'autre. La grâce du roi est pour Mme Denis et pour moi. Tout cela serait bon si on digérait. Vous digérez, mon cher ami ; mon estomac est déplorable ; spiritus quidem promptus est, caro autem infirma 9. Mon cœur est toujours à vous.
V. »
1 Cette lettre répond à celle de juin 1759 où Cideville dit : « Je pars mardi pour ma province … J'écrirai de mon village à Mme Denis ... »
2. Mlle Dubois, née vers 1741, débuta le 30 mai 1759, fut reçue en 1760, se retira en 1773, et mourut de la petite vérole en 1779, laissant, dit-on, vingt ou vingt-cinq mille livres de rente.
« J'aurais dû vous dire que Mlle Dubois, fille de l'acteur, grande, bien faite, avec la plus belle voix du monde, et dix-sept ans, est une copie de Mlle Clairon, et fait espérer à son début qu'elle égalera bientôt sa maîtresse . »(ibid)
Une partie de la lettre de Cideville développe des points d'actualité, auxquels répond ici V* , en J'aurai dû […] et J'aurai pu […] , pour expliquer enfin : « Je ne vous ai point fait part de toutes ces belles choses, 1° parce que je sais que d'Argental et Thieriot vous en instruisent toutes les semaines, 2° parce que j'hésite toujours à faire perdre en lisant et en répondant à mes lettres un temps que vous employez bien mieux pour votre gloire, la nôtre et nos plaisirs ; il est contre l'intérêt du bien public […] d'interrompre l'auteur admirable de la vie du czar, du Siècle de Louis XIV, de la Mort de Socrate [...] » Cette lettre répond manifestement à la suggestion de Mme Denis, dans sa lettre du 8 juin 1759, dont on a donné le texte à propos de la lettre du 3 juin 1759 à de Bussy :http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/07/24/sa-parole-d-honneur-ce-qui-est-comme-vous-savez-en-fait-de-traite-un-pacte.html
3 Voir la lettre du 11 mars à François de Chennevières : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/04/21/il-n-y-a-pas-apparence-qu-il-ne-fasse-payer-beaucoup-d-ordonnances.html
4 Essai sur l'Homme, par Pope, traduit de l'anglais en français, 1736, in-12. Voir lettre du 11 mars 1759 citée ci dessus .
5 Les Anglais venaient de s'emparer de la Guadeloupe qu'ils garderont jusqu'en 1763 .Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Invasion_de_la_Guadeloupe_%281759%29
6 Dans le grand genre .
7Voir : http://www.cubra.nl/PM/Gresset/Gresset_Lenel_Voltaire/1889_Lenel_Voltaire-et-Gresset_HPM.pdf
En France, on fait , par un plaisant moyen,
Taire un auteur qui d'écrits nous assomme;
Dans un fauteuil d'académicien,
Lui quarantième, on fait asseoir mon homme:
Lors il s'endort et ne fait plus qu'un somme;
Plus n'en avez prose ni madrigal;
Au bel esprit ce fauteuil est , en somme,
Ce qu'à l'amour est le lit conjugal.
8 Voir tome XV, page 397 : http://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome15.djvu/407
Jeu de mot sur le nom de Malagrida que V* semble enfin connaître exactement ; voir lettre de février 1759 à François Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/03/20/tachez-de-nous-honorer-dimanche-de-votre-presence-reelle-5327905.html
9 L'esprit est prompt, mais la chair est faible ; Matthieu, XXVI, 41 .
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