29/09/2015
jamais procédé plus fol ni plus inconséquent n'a flétri un ministre de France depuis que cette monarchie en a
... Le 49-3 ?
Mis en ligne le 8/8/2017 pour le 29/9/2015
« A Frédéric II, roi de Prusse
[septembre-octobre 1760] 1
[Le félicite de ses succès, lui demande le sens des références à Choiseul dans une lettre du roi à d'Argens, mentionne son propre livre sur l'histoire de la Russie, exprime sa haine des jésuites et de la superstition .]
1 Les indications données sur cette lettre sont tirées de deux sources : une lettre de Choiseul à V* de septembre ou octobre 1760, demandant à V* de se renseigner auprès de Frédéric II sur le sens qu'il donnait à une phrase d'une lettre au marquis d'Argence capturée par la cavalerie légère française ; cette phrase est la suivante : « Je sais un trait du duc de Choiseul que je vous conterai lorsque je vous verrai ; jamais procédé plus fol ni plus inconséquent n'a flétri un ministre de France depuis que cette monarchie en a . »
La réponse de Frédéric est d'une grande prudence ; la voici intégralement car elle est la seconde et la plus importante source d'informations sur la lettre de V* : « Le 31 octobre 1760 . Je vous suis obligé de la part que vous prenez à quelques bonnes fortunes passagères que j'ai escroquées au hasard . Depuis ce temps, les Russes ont fait une sulfuration [un pillage] dans le Brandebourg , j'y suis accouru, ils se sont sauvés tout de suite, et je me suis tourné vers la Saxe, où les affaires demandaient ma présence . Nous avons encore deux gros mois de campagne par devers nous ; celle-ci a été la plus dure et la plus fatigante de toutes ; mon tempérament s'en ressent, ma santé s'affaiblit ; et mon esprit baisse à proportion que son étui menace ruine . Je ne sais quelle lettre on a pu intercepter, que j'écrivis au marquis d'Argens ; il se peut qu'elle soit de moi, peut-être a-t-elle été fabriquée à Vienne . Je ne connais le duc de Choiseul ni d'Adam ni d’Ève . Peu m'importe qu'il ait des sentiments pacifiques ou guerriers . S'il aime la paix,pourquoi ne la fait-il pas ? Je suis si occupé de mes affaires que je n'ai pas le temps de penser à celles des autres . Masi laissons là tous ces illustres scélérats, ces fléaux de la terre et de l'humanité . Dites-moi, je vous prie, de quoi vous avisez-vous d'écrire l'histoire des loups et des ours de Sibérie , sur quels mémoires ? En qu'en direz-vous de plus que ce que vous avez répandu dans votre Histoire universelle ? Et que pourrez-vous rapporter du czar qui ne se trouve dans la Vie de Charles XII , je ne lirai point l'histoire de ces barbares ; je voudrais même pouvoir ignorer qu'ils habitent notre hémisphère . Votre zèle s'enflamme contre les jésuites et contre les superstitions . Vous faites bien de combattre contre l'erreur ; mais croyez-vous que le monde changera ? L'esprit humain est faible;plus des trois quarts des hommes sont faits pour l'esclavage du plus absurde fanatisme . La crainte du diable et de l'enfer leur fascine les yeux, et il déteste le sage qui veut l'éclairer . Le gros de notre espèce est sot et méchant . J'y recherche en vain cette image de Dieu dont les théologiens assurent qu'elle porte empreinte . Tout homme a une bête féroce en soi ; peu savent l'enchainer , la plupart lui lâchent le frein lorsque la terreur des lois ne les retient pas . Vous me trouverez peut-être trop misanthrope . Je suis malade, je souffre , et j'ai affaire à une demi-douzaine de coquins et de coquines qui démonteraient un Socrate, un Antonin même . Vous êtes heureux de suivre le conseil de Candide, et de vous borner à cultiver votre jardin . Il n'est pas donné à tout le monde d'en faire autant . Il faut que le bœuf trace un sillon, que le rossignol chante, que le dauphin nage, et que je fasse la guerre . Plus je fais ce métier, et plus je me persuade que la fortune y a la plus grande part . Je ne crois pas que je le ferai longtemps ; ma santé baisse à vue d’œil, et je pourrais bien aller bientôt entretenir Virgile de La Henriade, et descendre dans ce pays où nos chagrins, nos plaisirs et nos espérances ne nous suivent plus, où votre beau génie et celui d'un goujat sont réduits à la même valeur, où enfin on se retrouve dans l'état qui précéda la naissance . Peut-être dans peu vous pourrez vous amuser à faire mon épitaphe . Vous direz que j'aimai les bons vers, et que j'en fis de mauvais ; que je ne fus pas assez stupide pour ne pas estimer vos talents ; enfin vous rendrez de moi le compte que Babouc rendit de Pâris au génie Ituriel . Voici une grande lettre pour la position où je me trouve . Je la trouve un peu noire ; cependant elle partira telle qu'elle est ; elle ne sera point interceptée en chemin , et demeurera dans le profond oubli où je la condamne . Adieu ; vivez heureux, et dites un petit bénédicité en faveur des pauvres philosophes qui sont en purgatoire . Federic . »
16:44 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.