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26/11/2016

Traitez-nous comme notre situation le demande et comme la nature l’indique. Si vous mettez à grands frais des barrières entre Genève, et nous, vous nous gênez, vous nous découragez, vous nous faites déserter notre patrie, et vous n’y gagnez rien

... Il est remarquable que toutes les négociations avec les gouvernants et les fonctionnaires, au XVIIIè siècle comme de nos jours, soit basée sur la perspective d'un profit pour l'Etat et par ricochet pour tous les menus rouages impliqués .

De nos jours, passer la douane Pays de Gex-Genève est symbolique, et routinière pour les travailleurs frontaliers français, banale pour les Genevois qui viennent acheter chez nous ce qui est trop cher chez eux (paradoxalement, le Gruyère est moins cher en France qu'en Suisse ! ) .

Que la France ou la Suisse bloque la frontière, et nous aurons quarante mille chomeurs d'un seul coup en France et l'arrêt immédiat de tous services en République genevoise . Alors vive l'entente cordiale ! Gagnant-gagnant !

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Ce que pense le reste de la Suisse sur le canton de Genève ...

 http://www.20min.ch/ro/news/suisse/story/-Les-Valaisans-b...

 

 

«A Etienne-Michel Bouret 1

A Ferney 20 novembre 1761 par Genève 2

Vous êtes une belle âme, monsieur, tout le monde le sait, j’en ai des preuves, et je vous dois de la reconnaissance. Monsieur votre frère est une belle âme aussi ; il veut le bien public et celui du roi, qui sont les mêmes.

S’il avait vu le petit pays de Gex que j’ai choisi pour finir mes jours doucement, il n’en croirait pas les faux mémoires qu’on lui a donnés.

Les ennemis de notre pauvre petite province en imposent à MM. les fermiers-généraux, en disant que ce pays est peuplé et riche, et que les fonds s’y vendent au denier soixante.

Je suis la cause malheureuse des louanges cruelles qu’on nous donne. Je suis le seul qui, depuis trente ans, ai acheté des terres dans cette province : je les ai achetées trois fois plus cher qu’elles ne valent : mais de ce que je suis une dupe, il ne s’ensuit pas que le terrain soit fertile.

Je certifie que, dans toute l’étendue de la province, la terre ne rend pas plus de trois pour un : ainsi elle ne vaut pas la culture. Le paysage est charmant, je l’avoue, mais le sol est détestable.

Sur mon honneur, nous sommes tous gueux ; et j’ai l’honneur de le devenir comme les autres pour avoir acheté, bâti, et défriché très chèrement.

Nous manquons d’habitants et de secours. Le pays, qui possédait, il y a soixante ans, seize mille habitants et seize mille bêtes à cornes, n’en a plus guère que la moitié. Nous sommes tous obligés de faire cultiver nos terres par des Suisses et par des Savoyards, qui emportent tout l’argent du pays. Donnez-nous quelque facilité, le pays se repeuplera, et les fermes du roi y gagneront.

Je peux vous assurer, monsieur, vous et MM. vos confrères, que trois Genevois étaient déjà prêt à acheter des domaines dans le pays, sur la nouvelle que le conseil de Sa Majesté allait retirer les brigades des employés, et qu’il daignait faire pour nous un arrangement utile.

Nous avons compté sur cet arrangement fait par les membres du conseil les plus expérimentés et les plus instruits : jugez combien il serait cruel de nous priver d’un bien que leur équité nous avait promis !

Pour peu qu’on jette les yeux sur la carte de la province, on verra clairement que vos brigades, répandues dans le plat pays, ne servent à rien du tout qu’à vous coûter beaucoup de frais ; placez-les dans les gorges des montagnes, quatre hommes y arrêteraient une armée de contrebandiers ; mais dans le plat pays, les contrebandiers suisses, savoyards et autres ont mille routes. Pour nos paysans, ils ne font d’autre contrebande que de mettre dans leurs chausses une livre de sel et une once de tabac pour leur usage, quand ils vont à Genève.

A l’égard de la grande contrebande, toute la noblesse du pays la regarde comme un crime honteux, et nous vous offrons notre secours contre tous ceux qui voudraient forcer les passages.

5°/ On allègue que, depuis quelques mois, les bandes armées se sont multipliées. Oui, elles ont été une fois dans le plat pays 3. Ne divisez plus vos forces, et il ne passera pas un contrebandier.

On allègue que si on retirait les brigades du plat pays, si on s’abonnait avec nous, si on suivait le règlement proposé, nous nous vêtirions d’étoffes étrangères, au préjudice des manufactures du royaume.

Nous prions instamment MM. les fermiers-généraux d’observer que la capitale de notre opulente province n’a pas un marchand, pas un artisan tolérable, et que, quand on a besoin d’un habit, d’un chapeau, d’une livre de bougie et de chandelle, il faut aller à Genève.

Que le conseil nous accorde cet abonnement utile à jamais pour les fermes du roi et maintenant pour nous (abonnement proposé par plusieurs de vos confrères), nous deviendrons les rivaux de Genève, au lieu d’être ses tributaires.

On nous oppose que le port franc de Marseille n’a pas les privilèges que nous demandons. Mais, monsieur, peut-on comparer nos huit à neuf mille pauvres habitants à la ville de Marseille, qui n’a nul besoin d’un pareil abonnement ? D’autres provinces, dit-on, seraient aussi en droit que nous de demander ces privilèges.

Considérez, je vous prie, que nulle province n’est située comme la nôtre. Elle est entièrement séparée de la France par une chaîne de montagnes inaccessibles, dans lesquelles il n’y a que trois passages à peine praticables 4. Nous n’avons de communication et de commerce qu’avec Genève. Traitez-nous comme notre situation le demande et comme la nature l’indique. Si vous mettez à grands frais des barrières (d’ailleurs inutiles) entre Genève, et nous, vous nous gênez, vous nous découragez, vous nous faites déserter notre patrie, et vous n’y gagnez rien.

Enfin, monsieur, c’est sur un mémoire de plusieurs de vos confrères mêmes que M. de Trudaine arrangea notre abonnement du sel forcé, et qu’il écrivit à M. l’intendant de Bourgogne. Nous acceptâmes l’arrangement. Faut-il qu’aujourd’hui, sur les calomnies de quelques regrattiers de sel intéressés à nous nuire, on révoque, on désavoue le plan le plus sage, le plus utile pour tout le monde, dressé par M. de Trudaine lui-même !

Je vous supplie, monsieur, de faire remarquer à MM. les fermiers, vos confrères, les expressions de la lettre de M. de Trudaine à M. l’intendant de Bourgogne, du 16 Août 1761 : « Je vous prie de faire goûter ces bonnes raisons à ceux qui sont à la tête de l’administration du pays. Je ferai expédier, sans retardement, l’arrêt et les lettres patentes. »

Il est évident qu’on avait discuté le pour et le contre de cet abonnement, qu’on avait consulté messieurs des fermes, qu’on attendait de nous l’acceptation de leurs bonnes raisons : nous les avons acceptées ; nous avons regardé la lettre de M. de Trudaine comme une loi ; nous avons compté sur la convention faite avec vous.

Qu’est-il donc arrivé depuis, et qui a pu changer une résolution prise avec tant de maturité ?

Quelque préposé au sel a craint de perdre un petit profit ; il a voulu surprendre l’équité de M. votre frère ; il a voulu immoler le pays à ce petit intérêt.

Toute la province vous conjure, monsieur, d’examiner nos remontrances avec M. votre frère, en présence de M. de Trudaine, et de finir ce qui était si bien commencé ; elle vous aura autant d’obligations que vous en a eu la Provence 5.

En mon particulier, je sentirai votre bonté plus que personne. J’ai l’honneur d’être, etc. »

2 Copie par Jean-Louis Wagnière, date autographe, avec mention de Wagnière (sauf le premier mot) : « Copie de la lettre de M. de Voltaire , du 20è novembre1761, à M. Bouret, fermier général ».

3 Note du manuscrit : c'est à dire que quatre paysans étrangers voulant passer du tabac, tuèrent un garde, il y a près de deux ans, pruve évidente que ces ardes dispersés dans la plkat pays ne servent à rien . La dixièeme parie placée dans les gorges des moontagnes, formeraient une barrière impénétrable . 

4 Col de La Faucille, col de Saint Cergue et passage du Fort-L'Ecluse .

5 Trudaine, en 1744, avait fourni la Provence en grains pendanrt une famine , et une médaille avait été frappée en son honneur .

 

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