09/09/2017
le torrent des affaires ne permet pas de réfléchir sur l'innocence des particuliers
... La conduite hors-la -loi d'élus de la République ne doit pas faire de nous tous automatiquement des justiciables à leur image, quand bien même ils ont reçu nos votes .
« A Jean le Rond d'Alembert
12 octobre [1762]
Je suis encore forcé de vous écrire , mon cher philosophe, sur cette absurde infamie qu'on m'accuse de vous avoir écrite au mois de juin et qu'on vous accuse d'avoir reçue . Il est important que vous ayez la bonté de me renvoyer la copie que j'ai reçue de Versailles, et copie de la lettre que je vous écrivis en effet , et sur laquelle on a formé cette calomnie abominable, le tout accompagné d'une lettre de vous dans laquelle vous me marquerez avec votre style énergique ce que vous pensez d'une pareille horreur . J'ai tout lieu de penser que cette copie m’a été envoyée de Versailles par ordre des personne les plus puissantes, à qui j'ai les dernières obligations, et qui ont le malheur de soupçonner que je les ai payées d'une noire ingratitude, et que je me suis rendu coupable à la fois envers le roi et envers elles de l’excès le plus punissable . Si elles faisaient un moment de réflexion sur les impertinences de cet ouvrage, sur le style, sur l'impossibilité absolue que j'en sois l'auteur, elles ne feraient pas à leur jugement et à leur goût le tort de me soupçonner, mais le torrent des affaires ne permet pas de réfléchir sur l'innocence des particuliers . On condamne au premier coup d’œil, on passe vite à d'autres objets, on ne donne pas aux accusés le loisir de se défendre , et l'impression une fois reçue reste pour jamais dans le cœur .
Je n'ai point voulu écrire à ces personnes, parce que je suis trop en colère, je me suis contenté de témoigner ma juste indignation à une autre personne de leurs amis qui m'a écrit de leur part .
J'écrirai à celui que je dois détromper et dont le doute seul m'irrite et m'afflige, dès que j'aurai reçu de vos nouvelles .
Encore une fois examinez avec M. Damilaville à qui on a pu donner part de la première lettre que je vous écrivis et que je lui adressai ouverte, sur l'affaire des Calas, vers le mois de juin ou de mai .
Je vous réitère que c'est sur cette lettre qu'on a forgé celle qu'on m'impute . Du temps des Séjan on aurait ouvert quatre veines à l'écrivain soupçonné et à son correspondant, mais du temps des braves chevaliers qui sont à la tête des affaires l'innocence sera bientôt reconnue .
Envoyez-moi au plus vite, par M. Damilaville (je vous le répète, car en affaires il faut répéter ), 1° ma lettre véritable du mois de juin ou de mai pour les Calas, 2° la copie de la rapsodie infâme, 3° un mot de vous qui puisse à la fois faire votre cour et faire rougir ceux qui ont eu d'indignes soupçons.
Je vous embrasse ; êtes-vous aussi en colère que moi ?
Ne manquez pas je vous prie de donner votre paquet à M .Damilaville . »
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