10/10/2017
L’infâme superstition, Qu’un vulgaire hébété contemple, Monte toujours sur ses tréteaux. Elle nous vend son mithridate, ... Et des fripons et des cagots En violet, en écarlate, Sont ses gilles et ses bedeaux.
... Et pan ! sur le bec comme dit le Canard ! Religieux de tous ordres et toutes confessions, mîtrés, calottés, rasés ou hirsutes, et fidèles décervelés, reprenez contact avec la réalité, que diable !*
* Locution proverbiale invoquant une entité créée pour mettre le trouillomètre à zéro au vulgum pecus en quête d'immortalité et de paradis .
Infâme, ça pour sûr ! Alien ne date pas d'aujourd'hui !
« A Bernard-Joseph Saurin
Au château de Ferney par Genève 28è novembre 1762
Je vous sais très bon gré, mon cher confrère, d’avoir fait un Saurin, et je vous remercie tendrement de me l’avoir appris dans une si jolie lettre 1. Je suis de votre avis ; c’était un garçon qu’il vous fallait.
J’aime le sexe assurément,
Je l’estime, je sais qu’il brille
Par les grâces, par l’enjouement,
Que souvent d’esprit il pétille,
Qu’en ses défauts il est charmant :
Mais j’aime mieux garçon que fille.
Cela ne veut pas dire que je sois du goût de Socrate ou des jésuites ; j’entends seulement que je vous souhaitais un garçon.
Nous avons besoin de Saurins
Qui vengent la philosophie
De ces fanatiques gredins
Ergotant en théologie.
En vain depuis peu la raison
Vient d’ouvrir en secret son temple ;
L’infâme superstition,
Qu’un vulgaire hébété contemple,
Monte toujours sur ses tréteaux.
Elle nous vend son mithridate :
Chaumeix la suit, Omer la flatte,
Et des fripons et des cagots
En violet, en écarlate,
Sont ses gilles et ses bedeaux.
Votre enfant, mon cher confrère, apprendra de vous à penser. Je fais mes compliments à la mère de donner à son fils ses beaux tétons : c’est encore là une sorte de philosophie qui n’est pas à la mode 2. Vous devriez bien, avant que je meure, passer quelque temps à Ferney avec la mère et le fils. Les philosophes sont trop dispersés, et les ennemis de la raison trop réunis.
C’est une bonne acquisition que celle de l’abbé de Voisenon 3, tant qu’il se portera bien ; mais c’est un saint dès qu’il est malade.
J’ai ouï dire en effet beaucoup de bien d’une tragédie d’Éponine 4. Il faut au moins que la France brille par le théâtre ; c’est toute la supériorité qui lui reste.
Je crois que vous avez assisté aux assemblées 5 où l’on a lu le Jules César de Gille-Shakespear. J’enverrai incessamment l’Héraclius de Scaramouche-Calderon . Cela vous amusera.
Je vous embrasse mon cher confrère de tout mon cœur.
V. »
1Lettre de Saurin du 11 novembre 1762 commençant par des vers : « Je vous apprends, mon cher confrère,
Qu'aujourd'hui le ciel m'a fait père
D'un joli petit enfançon,
Qui, contre l'usage ordinaire,
D'une nourrice mercenaire
Ne pressera point le téton,
Mais du lait de sa propre mère
Nourri sur son tendre giron
Humera ce franc caractère,
Cet enjouement, cette raison
Qui rendant ma chaine légère
Me font trouver dans ma maison
Un bonheur qu'on ne trouve guère . »
Plus loin il écrit : « La raison nous fait préférer un garçon à une fille, c'est que nous croyons que la condition du premier est la meilleure, nous pensons que la vie lui a été vendue moins cher, qu'au physique et au moral il est moins dépendant, que pour peu qu'il vaille il se tire d'affaire, et qu'avec une fortune aussi médiocre que la nôtre il n’est pas aisé de pourvoir une fille . »
2 Cette « mode » le deviendra sous l'influence de J.-J. Rousseau .
3 Voisenon est à l'Académie française le 4 décembre 1762 pour remplacer Crébillon . Voir : http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/claude-henri-de-fusee-de-voisenon
4 Jouée le 6 décembre 1762 . Sur Éponine ou plutôt Éponime, voir lettre du 6 septembre 1762 aux d'ArgentaI : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/08/03/malheur-aux-compliments-quand-ils-sont-longs-5968453.html
5 Séances de l'Académie française .
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