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07/04/2018

je peins le genre humain assez en laid pour le rendre ressemblant. ... vous savez que la vérité est mon premier devoir ; et la dire sans déplaire aux gens de mauvaise humeur, c’est la pierre philosophale

... Tout à fait d'actualité en cette période de grogne syndicale face à un gouvernement qui veut mettre un peu plus d'égalité entre les travailleurs de service public et travailleurs du privé . Qui détient la pierre philosophale qui convertira les exigences des uns en or de l'accord ?

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Tout comme la vérité !

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

Aux Délices , 9 avril 1763

Mes anges, déployez vos ailes et couvrez-moi. Les frères Cramer se sont avisés de mettre mon nom en gros caractères à la tête de cet Essai sur l’Histoire générale 1, où je peins le genre humain assez en laid pour le rendre ressemblant. Ils m’avaient toujours promis de supprimer mon nom. Messieurs peuvent très bien brûler mon livre comme un mandement d’évêque ; mais j’ai toujours dit aux Cramer que je voulais être brûlé anonyme. Ils me l’avaient promis. Ils me manquent de parole, et leur édition est déjà en chemin . Ils manquent à la foi des traités, et ils me doivent assez pour être fidèles. Je suis outré. J’ai recours à vous. Je ne veux point être brûlé en mon propre et privé nom. Vous avez un Cramer 2 à Paris, vous me direz qu’il n’est point libraire, qu’il est prince de Genève . Mais un prince doit avoir de la clémence. Le fait est que s’ils n’ôtent pas mon nom, et s’ils n’insèrent pas dans l’ouvrage les cartons nécessaires, je demanderai net la saisie des exemplaires fataux ou fatals 3.

Les dernières pièces du père Pierre, et les dernières sottises de ma chère nation, ne laissent pas de me gêner ; car, en qualité de critique et d’historien, vous savez que la vérité est mon premier devoir ; et la dire sans déplaire aux gens de mauvaise humeur, c’est la pierre philosophale 4.

Ce qui m’est encore fort amer, c’est que lesdits Cramer ont recueilli tous les traits nouveaux que j’ai ajoutés à la nouvelle édition de l’Histoire générale , et de tous ces petits morceaux ils ont fait un recueil 5 qui se trouve être la satire du genre humain. Ils prétendent donner ce recueil comme un supplément pour ceux qui ont la première édition. Qu’arrivera-t-il ? Les traits qui ne frappaient pas quand ils étaient épars dans huit volumes paraîtront un peu trop piquants quand ils seront rassemblés dans un seul tome . Ce sera là le corps du délit. J’ai souvent représenté que la chose était dangereuse ; mais ces messieurs, en pesant mon danger et leur intérêt, ont vu que leur  intérêt avait beaucoup plus de poids. Ils ont dit que s’ils n’avaient pas fait ce recueil, d’autres l’auraient fait ; et leur maudit recueil est en chemin avec l’édition entière de l’Histoire. Voilà donc dangers sur dangers ; et s’ils mettent mon nom au petit recueil, et s’ils n’y mettent pas les cartons, je me tiens pour brûlé, et, Dieu merci, c’est la seule récompense de cinquante ans de travaux. Messieurs devraient cependant me ménager un peu ; car, en vérité, pourront-il empêcher que leur refus de rendre justice au peuple ne soit consigné dans toutes les gazettes ? pourront-ils empêcher que ce refus ne soit aussi ridicule qu’injuste ? plairont-ils beaucoup au gouvernement en proscrivant des ouvrages où la conduite du roi se trouve, par le seul exposé et sans aucune louange, le modèle de la modération et de la sagesse, et où leurs irrégularités paraissent, sans aucun trait de satire, le comble de la mauvaise humeur, pour ne rien dire de plus ?

Le parlement 6 est puissant, mais la vérité est plus forte que lui. Rien ne résiste à une histoire simple et vraie ; et ce qu’il y a certainement de mieux à faire, c’est de ne rien dire. Vous sentez bien que je parle toujours au ministre d’un petit-fils 7 de Louis XIV, à l’ami de MM. les ducs de Praslin et de Choiseul, et non pas au conseiller d’honneur.

Le but et le résumé de cette longue lettre est qu’il m’importe très peu qu’Omer dénonce mon livre, mais que je ne veux pas qu’il dénonce mon nom, et que je vous supplie, mes divins anges, d’engager le prince Cramer à ordonner à quelqu’un des officiers de sa garde d’ôter ce nom, qui n’est pas en odeur de sainteté. Cette précaution et quelques cartons sont tout ce que je veux.

Si j’étais seulement commis de la chambre syndicale, j’arrêterais le débit d’Olympie jusqu’à ce qu’elle ait été tolérée ou sifflée au théâtre ; mais je ne suis pas fait pour avoir des dignités en France ; je ne veux qu’un titre, et le voici .

Je ne sais quel Anglais fit mettre sur son tombeau : ci-gît l’ami de Philippe Sidney 8 . Je veux qu’on grave sur le mien : ci-gît l’ami de monsieur et de madame d’Argental . »

1 On ne connait guère d'exemplaires de cet ouvrage portant le nom de Voltaire .

2 Philibert Cramer .

3 Rappel de Boursault : Le Mercure galant, IV, 6 :

La Rissole / Nos coups aux ennemis furent des coups fataux, /Nous gagnâmes sur eux quatre combats navaux .

Merlin / Il faut dire fatals et navals . C'est la règle .

4 Terminant la première page par ces cinq mots, V* les répète au début de la troisième .

5 Ces Additions parurent sans nom d'auteur, mais furent publiées sur les directives de V* et sous son contrôle . Ce genre d'affirmations fausses va se multiplier les années suivantes .

6 V* a souligné seulement parle..., intentionnellement semble-t-il .

7 L'infant duc de Parme .

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