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11/07/2019

N’est-ce donc rien d’être guéri des malheureux préjugés qui mettent à la chaîne la plupart des hommes, et surtout des femmes ? de ne pas mettre son âme entre les mains d’un charlatan ? de ne pas déshonorer son être par des terreurs et des superstitions

... indignes de tout être pensant ? d’être dans une indépendance qui vous délivre de la nécessité d’être hypocrite ? de n’avoir de cour à faire à personne, et d’ouvrir librement votre âme à vos amis ?"

Beau programme de vie, n'est-il pas ? Merci Voltaire .

Et zut, flute et pataflute * au pape pour sa déclaration inepte suite au décès de Vincent Lambert, et la même chose aux parents bornés qui se sont pris pour le bon Dieu .

* A la place vous pouvez à votre gré mettre le mot de Cambronne à Waterloo ou de préférence le juron préféré du père Ubu, vu la situation des dix ans passés .

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Papiste ?

 

 

« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

4è juin 1764, aux Délices 1

J’écris avec grand plaisir, madame, quand j’ai un sujet ; écrire vaguement et sans avoir rien à dire, c’est mâcher à vide, c’est parler pour parler ; et les deux correspondants s’ennuient mutuellement, et cessent bientôt de s’écrire . Nous avons un grand sujet à traiter ; il s’agit de bonheur, ou du moins d’être le moins malheureux qu’on peut dans ce monde. Je ne saurais souffrir que vous me disiez que plus on pense, plus on est malheureux. Cela est vrai pour les gens qui pensent mal ; je ne dis pas pour ceux qui pensent mal de leur prochain, cela est quelquefois très amusant ; je dis pour ceux qui pensent tout de travers . Ceux-là sont à plaindre sans doute, parce qu’ils ont une maladie de l’âme, et que toute maladie est un état triste . Mais vous, dont l’âme se porte le mieux du monde, sentez, s’il vous plaît, ce que vous devez à la nature. N’est-ce donc rien d’être guéri des malheureux préjugés qui mettent à la chaîne la plupart des hommes, et surtout des femmes ? de ne pas mettre son âme entre les mains d’un charlatan ? de ne pas déshonorer son être par des terreurs et des superstitions indignes de tout être pensant ? d’être dans une indépendance qui vous délivre de la nécessité d’être hypocrite ? de n’avoir de cour à faire à personne, et d’ouvrir librement votre âme à vos amis ?

Voilà pourtant votre état. Vous vous trompez vous-même quand vous dites que vous voudriez vous borner à végéter : c’est comme si vous disiez que vous voudriez vous ennuyer. L’ennui est le pire de tous les états. Vous n’avez certainement autre chose à faire, autre parti à prendre, qu’à continuer de rassembler autour de vous vos amis . Vous en avez qui sont dignes de vous.

La douceur et la sûreté de la conversation est un plaisir aussi réel que celui d’un rendez-vous dans la jeunesse. Faites bonne chère, ayez soin de votre santé, amusez-vous quelquefois à dicter vos idées, pour comparer ce que vous pensiez la veille à ce que vous pensez aujourd’hui ; vous aurez deux très grands plaisirs, celui de vivre avec la meilleure compagnie de Paris, et celui de vivre avec vous-même ; je vous défie d’imaginer rien de mieux.

Il faut que je vous console encore, en vous disant que je crois votre situation fort supérieure à la mienne. Je me trouve dans un pays situé tout juste au milieu de l’Europe. Tous les passants viennent chez moi , il faut que je tienne tête à des Allemands, à des Anglais, à des Italiens, à des Français même, que je ne verrai plus , et vous ne vivez qu’avec des personnes que vous aimez.

Vous cherchez des consolations ; je suis persuadé que c’est vous qui en fournissez à Mme la maréchale de Luxembourg ; je lui ai connu une imagination bien brillante, et l’esprit du monde le plus aimable . J’ai cru même entrevoir chez elle de beaux rayons de philosophie ; il faut qu’elle devienne absolument philosophe : il n’y a que ce parti-là pour les belles âmes. Voyez la misérable vie qu’a menée Mme la maréchale de Villars dans ses dernières années ; la pauvre femme allait au salut, et lisait, en bâillant, les méditations du père Croiset 2.

Vous qui relisez Corneille, madame, mandez-moi, je vous prie, tout ce que vous pensez de mes remarques, et je vous dirai ensuite mon secret. Daignez toujours aimer un peu votre directeur, qui se ferait un grand honneur d’être dirigé par vous.

V. »

1 V* répond à la lettre de Mme du Deffand du 29 mai 1764 , disant : « Non, monsieur, je ne préférerais pas la pensée à la lumière, les yeux de l'âme à ceux du corps ; je consentirais bien plutôt à un aveuglement moral . Toutes mes observations me font juger, que moins on pense, moins on réfléchit, plus on est heureux . Je le sais même par expérience ; quand on a eu une grande maladie, qu'on a souffert de grandes douleurs, l'état où l'on se trouve dans la convalescence est un état très heureux […] quand on a beaucoup d'esprit et de talent on doit trouver en soi de grandes ressources ; il faut être Voltaire ou végéter . Quel plaisir pourrais-je trouver à mettre mes pensées par écrit ? Elles ne servent qu'à me tourmenter, et cela satisfait peu ma vanité ; […] vous avez une âme sensible, vous ne direz point des choses vagues, le moment où je reçois vos lettres, celui où j'y répond me consolent, m'occupent et même m'encouragent ; si j'étais plus jeune, je chercherais peut-être à me rapprocher de vous ; rien ne m'attache dans ce pays-ci , et la société où je me trouve engagée, me ferait dire ce que M. de La Rochefoucauld dit de la cour : elle ne rend pas heureux, mais,elle empêche qu'on ne le soit ailleurs . Je n'attribue pas mes peines et mes chagrins à tout ce qui m'environne . Je sais que c'est presque toujours notre caractère qui contribue le plus à notre bonheur et à notre malheur, mais comme vous savez nous l'avons reçu de la nature ; que conclure de tout cela ? C'est qu'il faut se soumettre […] Vous voulez que je vous dise mon sentiment sur votre Corneille, c'est certainement vous moquer de moi . Si je vous croyais j'hasarderais peut-être de vous obéir, mais comment aurais-je la témérité de vous critiquer par écrit ? Il faut que vous réitériez encore cet ordre pour que j'y puisse consentir . Je vous dirai seulement que vous êtes cause que je relis toutes les pièces de Corneille . Je n'en suis encore qu'à Héraclius ; je suis enchantée de la sublimité de son génie, et dans le plus grand étonnement qu'on puisse être en même temps si dépourvu de goût . Ce ne sont point les choses basses et familières qui me surprennent et qui me choquent , […] mais c'est la manière dont il tourne et retourne la même pensée, qui est bien contraire au génie et qui est presque toujours la marque d'un petit esprit ? La mort de M. de Luxembourg [Charles-François de Montmorency-Luxembourg, duc de Piney-Luxembourg, mort le 18 mai 1764] m'a fort occupée ; Mme de Luxembourg est très affligée . Je serais bien aise de lui pouvoir montrer quelques lignes de vous, qui lui marquât l'intérêt que vous prenez à sa situation, et que vous partagez mes regrets . »

2 Retraite spirituelle pour un jour chaque mois, de Jean Croiset, 1764 . Voir : https://data.bnf.fr/fr/12927799/jean_croiset/

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