23/02/2021
dans les campagnes ce ne sont pas toujours les plus vertueux et les plus sensés qui prédominent . Il y a quelques magistrats que l'esprit de parti a rendu ridiculement ennemis de la France
... Des noms ! des noms !
« Au prince Dmitri Mikhailovitch Golitsin
[vers le 1er novembre 1765]1
Monsieur,
J'ai trop d'obligations à Sa Majesté impériale, je lui suis trop respectueusement attaché pour ne pas l'avoir servie autant qu'il a dépendu de moi dans le dessein qu'elle a eu de faire venir dans son empire quelques femmes de Genève et du pays de Vaud pour enseigner la langue française à de jeunes filles de qualité à Moscou et à Petersbourg . C'est d'ailleurs un si grand honneur pour notre langue que j'aurais secondé cette entreprise quand même la reconnaissance ne m'en aurait pas imposé le devoir .
M. le comte de Shouvalow a déjà rendu compte à Votre Excellence de toute cette affaire, et de la manière dont le Petit Conseil de Genève a fait sortir de la ville M. le comte de Bulau 2, chargé des ordres de l'impératrice .
Je peux assurer à Votre Excellence que jamais il n'a été défendu à aucun Genevois ni à aucune Genevoise d'aller s'établir où bon leur semble . Ce droit naturel est une partie essentielle des droits de cette petite nation dont le gouvernement est démocratique . Il est vrai qu'il ne prétend pas qu'on fasse des recrues chez elle, et M. le duc de Choiseul même a eu la bonté de souffrir que les capitaines genevois au service de la France ne fissent point de recrues à Genève quoiqu’il fût très en droit de l'exiger .
Mais il y a une grande différence entre battre la caisse pour enrôler des soldats et accepter les conditions que demandent des femmes maîtresses d'elles-mêmes pour aller enseigner la jeunesse . Le Petit Conseil de Genève semble je l'avoue ne s'être conduit ni avec raison ni avec justice ni avec le profond respect que doivent des bourgeois de Genève à votre auguste impératrice . Mais Votre Excellence sait bien que dans les campagnes ce ne sont pas toujours les plus vertueux et les plus sensés qui prédominent . Il y a quelques magistrats que l'esprit de parti a rendu ridiculement ennemis de la France et de la Russie et qui faisaient des feux de joie à leurs maisons de campagne lorsque nos armes avaient été malheureuses dans le cours de la dernière guerre . Ce sont ces conseillers de ville qui ont forcé les autres à faire à M. de Bullau l'affront intolérable dont M. le comte de Shouvalow se plaint si justement .
Je ne me mêle en aucune manière des continuelles tracasseries qui divisent cette petite ville et sans avoir la moindre discussion avec personne je me suis borné dans cet éclat à témoigner à M. le comte de Shouvalow et à d'autres mon respect, ma reconnaissance et mon attachement pour S. M. l'impératrice . Ces sentiments gravés dans mon cœur seront toujours la règle de ma conduite . C'est ce que j'ai écrit en dernier lieu à un ami de M. le duc de Praslin, et c'est une protestation que je renouvelle entre vos mains . Les bontés que vous avez eues pour moi m'y autorisent.
J'ai l'honneur d'être avec respect
monsieur
de Votre Excellence
le. »
1 L'édition de Kehl suite aux hésitations de la copie Beaumarchais, date de « fin octobre 1765 » . Cette lettre a été écrite après réception d'une lettre de Schouvalov datée du 28 octobre 1765 . Une lettre de Golitsin, dont on conserve la trace, datée du 7 novembre 1765 constitue sans doute la réponse à la présente, d’où la date proposée .
Voir page 369, note 4 : https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_1990_num_22_1_1769
2 Voir lettre du 11 octobre 1765 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/02/07/il-me-semble-qu-il-est-encore-trop-jeune-pour-desirer-ce-repos-qui-doit-etr.html
02:21 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.