Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

25/02/2021

Les vrais sauvages sont les ennemis des beaux-arts et de la philosophie ...La calomnie mérite bien le nom d’infâme que nous lui avons donné

... Ecrasons l'infâme !

Je ne suis pas un héros .... - Ampélosophisme

http://ampelosophisme.over-blog.com/2018/03/je-ne-suis-pa...

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

4è novembre 1765

Mon cher frère, je ne suis pas étonné que les petits-maîtres de Paris choquent un peu le bon sens d’un philosophe tel que vous. Vous n’aviez pas besoin de Ferney pour détester les faux airs, la légèreté, la vanité, le mauvais goût. Votre Platon est sans doute revenu avec vous, et vous vous consolerez ensemble de l’importunité des gens frivoles. Le petit nombre des élus sera toujours celui des penseurs.

Je suis trop vieux, et je ne me porte pas assez bien pour aller faire un tour chez les Shavanois 1; mais je les respecte et je les aime. Je connaissais déjà la belle harangue de ce peuple vraiment policé aux Anglais de la Nouvelle-Angleterre, qui se disent policés. J’ai déjà même écrit 2 quelque chose à ce sujet qui m’a paru en valoir la peine. Les vrais sauvages sont les ennemis des beaux-arts et de la philosophie ; les vrais sauvages sont ceux qui veulent établir deux puissances ; les vrais sauvages sont les calomniateurs des gens de lettres. La calomnie mérite bien le nom d’infâme que nous lui avons donné . Avouez que vous l’avez trouvée bien infâme quand vous avez été témoin de ma vie philosophique et retirée, quand vous avez vu mon église, que je tiens pour aussi jolie, aussi bien recrépie, et aussi bien desservie que celle de Pompignan. Son frère, l’évêque du Puy, m’appelle impie, et voudrait me faire brûler, parce que j’ai trouvé les psaumes de Pompignan mauvais ; cela n’est pas juste, mais la vertu sera toujours persécutée.

Je crois que vous allez donner une nouvelle chaleur à la souscription en faveur des Calas. Les belles actions sont votre véritable emploi. Celui que la fortune vous a donné n’était pas fait pour votre belle âme.

J’ai pris la liberté de supplier l’électeur palatin d’ordonner à son ministre à Paris de souscrire pour plusieurs exemplaires 3 . Je vous supplie de vous informer si ses ordres sont exécutés. Il doit y avoir pour environ mille écus de souscriptions à Genève. J’en ai pour ma part quarante-neuf qui ont payé, et cinq qui n’ont pas payé. Vous pourrez faire prendre l’argent chez M. Delaleu quand il vous plaira.

M. le comte de La Tour du Pin m’écrivit sur-le-champ une lettre digne d’un brave militaire. Il m’ordonna de ne point rendre l’homme en question, sous quelque prétexte que ce pût être 4. Voilà comme il en faudrait user avec les persécuteurs de l’abominable espèce que vous connaissez.

On dit que Ce qui plaît aux Dames 5 a eu un grand succès à Fontainebleau. Il ne m’appartient pas, à mon âge, de me rengorger d’avoir fourni le canevas des divertissements de la cour ; mais je suis fort aise qu’elle se réjouisse, cela me prouve évidemment que monsieur le Dauphin n’est point en danger comme on le dit. J’ai peur qu’à la Saint-Martin le parlement et le clergé ne donnent leurs opéras-comiques, dont la musique sera probablement fort aigre ; mais la sagesse du roi a déjà calmé tant de querelles de ce genre que j’espère qu’il dissipera cet orage.

On m’a mandé qu’il paraissait un mandement d’un évêque grec 6 ; je ne sais si c’est une plaisanterie ou une vérité. Il me semble que les Grecs ne sont plus à la mode. Cela était bon du temps de M. et de Mme Dacier. Je fais plus de cas des confitures sèches que vous m’avez promis de m’envoyer par la diligence de Lyon ; je crois que les meilleures se trouvent chez Fréret 7, rue des Lombards. Pardon des petites libertés que je prends avec vous, mais vous savez que les dévots aiment les sucreries.

Je peux donc espérer que j’aurai, au mois de janvier, le gros ballot qu’on m’a promis 8, il me fera passer un hiver bien agréable ; mais cet hiver ne vaudra pourtant pas le mois d’été que vous m’avez donné. Il me semble qu’avec cette pacotille je pourrai avoir de quoi vivre sans recourir aux autres marchands, qui ne débitent que des drogues assez inutiles. Je sais fort bien aussi qu’il y a des drogues dans le gros magasin que j’attends, et que tout n’est pas des bons faiseurs ; mais le bon l’emportera tellement sur le mauvais qu’il faudra bien que les plus difficiles soient contents.

Tronchin m’a demandé aujourd’hui des nouvelles de votre gorge ; je me flatte que vous m’en apprendrez de bonnes. Ma santé est toujours bien faible, et les pluies dont nous sommes inondés ne la fortifient pas.

Adieu, mon vertueux ami ; soutenez la vertu, confondez la calomnie, et écrasez cette infâme. »

1 Savanais est le nom générique donné à l’époque aux Indiens vivant dans la région des Grands Lacs .

2 Dans la Philosophie de l'histoire, chapitre VII « Des sauvages » : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8618430t/f45.item

5 La Fée Urgèle , pièce de Favart et Voisenon .

7 A savoir les « manuscrits de Fréret », Lettre de Trasybule à Leucippe, voir lettre du 16 octobre 1765 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/02/13/y-a-t-il-rien-de-plus-tyrannique-par-exemple-que-d-oter-la-l-6297342.html

8 Les derniers volumes parus de l'Encyclopédie, tome VIII et suivants qui parviendront à Ferney en février 1766 .