28/05/2022
Nous ne craignons rien tant qu’un procès criminel devant un parlement, quel qu’il puisse être. Nous demandons surtout que le jugement du Conseil soit différé, s’il est possible, parce que le temps adoucit tout
... Il en est plus d'un qui , profitant de quelques bribes de pouvoir, fait ainsi jouer son entourage . Notre actualité politico-judiciaire française fournit son lot de justiciables qui, crient haut et fort à la malfaisance et au mensonge de femmes qui osent -enfin- les dénoncer . Marre de ces hommes abusifs et dangereux !
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
30 janvier [1767], part le 31
Nous sommes très inquiets de la santé d’un de nos anges, et nous en demandons des nouvelles à l’autre. Voici bientôt le temps de vous amuser des Scythes. J’envoie deux exemplaires très bien corrigés à M. le duc de Praslin ; je vous prie d’en remettre un à M. Lekain, de faire porter les corrections sur les autres, de les examiner avec vos amis, et de faire valoir auprès d’eux ma docilité et mes efforts. Comptez que c’est beaucoup pour un malade enseveli dans la neige et dans les chagrins 1.
Voici enfin la leçon suivant laquelle nous jouons le cinquième acte à Ferney. Ce dernier acte nous a fait la plus grande impression. Nous avons trouvé dans Mme de La Harpe un talent bien singulier ; il ne lui a fallu que deux ou trois répétitions pour acquérir ce que Mlle Clairon a longtemps cherché. Sa déclamation, pleine de tendresse et de force, est soutenue par la figure la plus noble et la plus théâtrale, par de beaux yeux noirs qui disent tout ce qu’ils veulent dire, par un geste naturel, par la démarche la plus libre, et par les attitudes les plus tragiques. Son mari est un acteur excellent . Il récite des vers aussi bien qu’il les fait, et, quoique très petit, il a une figure très agréable sur le théâtre.
Cette occupation nous console un peu de nos malheurs ; et vous savez que ces malheurs sont la guerre et la famine, en attendant la peste.
Ce que je crains de la part du Conseil me paraît un plus grand fléau, car certainement si on renvoie le tout indivisiblement au procureur général de Dijon, cela devient une affaire horrible : décret de prise de corps contre la Doiret, qu’on peut retrouver ; ajournement personnel contre la Doiret de Châlons, qu’on trouvera et qui dira tout ; ajournement contre le quidam, qui est très connu, et dont les dépositions jetteront les intéressés dans le plus grand embarras ; ajournement personnel contre celui 2 qui est nommé dans le procès ; décret de prise de corps auquel on n’obéit pas ; une famille entière tombée tout d’un coup de l’opulence dans la pauvreté ; sept ou huit personnes accoutumées à vivre ensemble depuis dix ans, séparées pour jamais ; la nécessité de chercher une retraite en traversant des montagnes de glaces et des précipices, quand on est au lit, accablé de vieillesse et de maladies ; voilà sans aucune exagération tout ce qui peut arriver, et ce qui arrivera infailliblement si on prend le parti funeste dont on nous a parlé.
C’est donc ce qu’il faut éviter avec le plus grand soin. Il faut tâcher que le tout soit jugé définitivement au Conseil. On condamnera la Doiret, à la bonne heure ; il n’y aura là aucun mal ni pour elle ni pour personne ; que l’équipage soit déclaré bien confisqué et qu’on s’accommode avec les fermiers pour le prix, cela est encore très aisé : tout serait fini alors. Nous avions demandé, dans tous nos mémoires, que la malle de la Doiret fût envoyée au premier magistrat suivant l’usage ; nous le demandons encore. Nous voulions débattre la confiscation en justice réglée ; nous abandonnons ce point. Nous ne craignons rien tant qu’un procès criminel devant un parlement, quel qu’il puisse être. Nous demandons surtout que le jugement du Conseil soit différé, s’il est possible, parce que le temps adoucit tout, à moins que vous ne soyez sûr d’un jugement favorable ; mais qui peut en être sûr ? Cette affaire fait déjà du bruit à Versailles. Je n’en ai point écrit à M. le duc de Choiseul, et depuis sa lettre sur les Scythes, je n’ai point eu de nouvelles de lui 3. J'en ai dans le moment et je suis très content de lui ; il nous délivre de la famine . Je ne lui ai point parlé de la Doiret . Je m’étais flatté que, si les Scythes réussissaient, ce succès pourrait faire une diversion heureuse et détourner la persécution qui menace une tête de soixante-treize ans et un corps de quatre-vingt-dix. Je peux m’être trompé en cela ; mais au moins ce succès sera une consolation que je recommande à vos bontés généreuses. Mon attachement et ma tendresse pour vous sont une consolation bien supérieure à tous les succès possibles.
N. B. – Vous savez quelle est à présent la persécution de tout ce qui a rapport à cette affaire ; un homme de Lorraine, très protégé, vient d’être conduit en prison à Paris. »
1 Ces trois phrases depuis J'envoie , sont ajoutées en marge sur le manuscrit .
2 Évidemment V* lui-même .
3 Les deux phrases suivantes sont ajoutées dans la marge du bas par V*.
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