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31/08/2022

L’histoire et la bibliographie sont son fait ; mais on risque avec cela de mourir de faim, si on n’a pas quelque chose d’ailleurs

... Ce ne sont pas les professeurs qui sont en ordre de marche actuellement qui diront le contraire, hélas !

 

 

« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu

À Ferney, ce 16 mars 1767

Votre lettre du 2 de mars, monseigneur, m’étonne et m’afflige infiniment. Mon attachement pour vous, mon respect pour votre maison, et toutes les bienséances réunies, ne me permirent pas de vous envoyer une pièce de théâtre le jour que j’apprenais la mort de Mme la duchesse de Fronsac. Je vous écrivis 1, et je vous demandai vos ordres. Voici la pièce que je vous envoie. Il se sera passé un temps assez considérable pour que votre affliction vous laisse la liberté de gratifier votre troupe de cette nouveauté, et que vous puissiez même l’honorer de votre présence.

M. de Thibouville va faire jouer à Paris Les Scythes ; c’est une obligation que je lui ai, car c’est une peine très grande, et souvent désagréable, que de conduire des acteurs.

J’ai chez moi actuellement M. de La Harpe et sa femme. Vous n’ignorez pas que M. de La Harpe est un homme de très grand mérite, qui vient de remporter deux prix à notre Académie, par deux ouvrages excellents 2. Il récite les vers comme il les fait . C’est le meilleur acteur qu’il y ait aujourd’hui en France. Il est un peu petit, mais sa femme est grande. Elle joue comme Mlle Clairon, à cela près qu’elle est beaucoup plus attendrissante. Je souhaite que la pièce soit jouée à Paris et à Bordeaux comme elle l’est à Ferney.

La petite Durancy est mon élève. Elle vint, il y a dix ans, à Genève ; c’était un enfant. Je lui promis de lui donner un rôle, si jamais elle entrait à Paris à la Comédie ; elle me fit même, par plaisanterie, signer cet engagement ; il est devenu sérieux, et il a fallu le remplir. Je lui ai donné le rôle d’Obéide. Je ne connais point Mlle Dubois ; je ne savais pas même quelle sorte d’emploi elle avait à la Comédie. Vous savez qu’il y a près de vingt ans que les Fréron me chassèrent de Paris, où je ne retournerai jamais. Vous savez aussi que les pièces de théâtre font mon amusement ; j’en fais présent aux comédiens, et je ne dois attendre d’eux que des remerciements, et non des tracasseries. C’était même pour arrêter toutes les querelles de ce tripot que j’avais fait imprimer la pièce, que je ne comptais pas livrer au théâtre, ainsi que je le dis dans la préface. Enfin la voici avec tous les changements que j’ai faits depuis, et avec les directions, en marge, pour l’intelligence de la pièce, et pour gouverner le jeu des acteurs. Je ne sais si vous serez en état de vous en amuser, mais vous le serez toujours de la protéger. Ces petites fêtes font l’agrément de ma vieillesse. Je vous envoie la pièce dans un autre paquet, et j’annonce sur l’enveloppe le titre du livre afin qu’il puisse servir de passeport.

Je me doutais bien que Galien 3, qui, dans ma tragédie, joue le rôle d’un jeune Scythe, ne jouerait pas dans votre réponse celui d’un futur inspecteur des toiles . Mais vous êtes assez puissant pour lui procurer autre chose. L’histoire et la bibliographie sont son fait ; mais on risque avec cela de mourir de faim, si on n’a pas quelque chose d’ailleurs. Il attend tout de vos bontés. Il travaille toujours beaucoup, et il a déjà plusieurs portefeuilles remplis de bons matériaux sur le Dauphiné, où il voudrait bien aller faire un tour pour voir ses parents près Grenoble, qui n’est pas loin d’ici.

Comme il se connaît en livres rares, il en a acheté un petit nombre de ce genre, et que vous n’avez pas. Il veut vous les offrir ; mais comme ce sont de ces livres sur lesquels on n’entend pas raillerie en France, je ne suis point du tout d’avis qu’il vous les envoie . Il y aurait du danger, et les conséquences en pourraient être fâcheuses . Il vaut mieux qu’il les garde jusqu’à ce que vous m’ayez fait connaître vos ordres sur ces deux derniers articles.

Agréez, monsieur, les sentiments inaltérables du respect et de l’attachement que je conserverai pour vous jusqu’au dernier moment de ma vie.

V. »

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