17/03/2023
ce n'est que la rage de nuire, et la folle espérance de se faire une réputation en attaquant ceux qui en ont
... Trop tristement d'actualité !
« A Jean-François Marmontel, de
l'Académie française
7è auguste 1767 1
Mon cher confrère, vous savez sans doute que ce malheureux Coger a fait une seconde édition 2 de son libelle contre vous , et qu'il y a mis une nouvelle dose de poison. Ne croyez pas que ce soit la rage du fanatisme qui arme ces coquins-là, ce n'est que la rage de nuire, et la folle espérance de se faire une réputation en attaquant ceux qui en ont. La démence de ce malheureux a été portée au point qu'il a osé compromettre le nom du roi dans une de ses notes, page 96. Il dit, dans cette note, que « vous répandez le déisme, que vous habillez Bélisaire des haillons des déistes 3que les jeunes empoisonneurs et blasphémateurs de Picardie condamnés au feu l'année dernière, ont avoué que c'était de pareilles lectures qui les avaient portés aux horreurs dont ils étaient coupables; que le jour que MM. le président Hénault, Capperonnier et Le Bault, eurent l'honneur de présenter au roi les deux derniers volumes de l'Académie des belles-lettres, Sa Majesté témoigna la plus grande indignation contre M. de V., etc. ».
Vous saurez, mon cher confrère, que j'ai les lettres de M. le président Hénault et de M. Capperonnier, qui donnent un démenti formel à ce maraud 4. Il a osé prostituer le nom du roi, pour calomnier les membres d'une académie qui est sous la protection immédiate de Sa Majesté.
De quelque crédit que le fanatisme se vante aujourd'hui, je doute qu'il puisse se soutenir contre la vérité qui l'écrase, et contre l'opprobre dont il se couvre lui-même.
Vous savez que Coger, secrétaire de Riballier, vous prodigue, dans sa nouvelle édition, le titre de séditieux 5 mais vous devez savoir aussi que votre séditieux Bélisaire vient d'être traduit en russe, sous les yeux de l'impératrice de Russie. C'est elle-même qui me fait l'honneur de me le mander 6. Il est aussi traduit en anglais et en suédois cela est triste pour maître Riballier.
On s'est trop réjoui de la destruction des jésuites. Je savais bien que les jansénistes prendraient la place vacante. On nous a délivrés des renards, et on nous a livrés aux loups. Si j'étais à Paris, mon avis serait que l'Académie demandât justice au roi. Elle mettrait à ses pieds, d'un côté, les éloges donnés à votre Bélisaire par l'Europe entière, et de l'autre les impostures de deux cuistres de collège 7. Je voudrais qu'un corps soutînt ses membres quand ses membres lui font honneur.
Je n'ai que le temps de vous dire combien je vous estime et je vous aime. »
1 Édition Lettre de M. de Voltaire à M. Marmontel, 1767 . Curieusement Marmontel écrit le même jour à V*.
2 Sur cette seconde édition, voir lettre du 27 juillet 1767 à Coger : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/03/21/il-ne-vous-reste-qu-a-vous-repentir.html
3 Ce qui précède n'est pas une citation mais un résumé .
4 On peut se demander pourquoi V* n'a jamais publié ces démentis.
5 Voir l'Examen de Bélisaire, p. 52 .
6 Dans la lettre du 9 juin 176, dont V* fait état auprès de différents correspondants depuis le 25 juillet . La voici : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-35175925.html
« A Casan, le 18/29 Mai.
Je vous avais menacé d’une lettre, de quelque bicoque de l’Asie ; je vous tiens parole aujourd’hui.
Il me semble que les auteurs de l’Anecdote sur Bélisaire, et de la Lettre sur les Panégyriques, sont proches parents du neveu de l’abbé Bazin. Mais, monsieur, ne vaudrait-il pas mieux renvoyer tout panégyrique des gens après leur mort, crainte que tôt ou tard ils ne donnent un démenti, vu l’inconséquence et le peu de stabilité des choses humaines ? Je ne sais si, après la révocation de l’édit de Nantes, on a fait beaucoup de cas des panégyriques de Louis XIV : les réfugiés, au moins, n’étaient pas disposés à leur donner du poids.
Je vous prie, monsieur, d’employer votre crédit auprès du savant du canton d’Uri (1), pour qu’il ne perde pas son temps à faire le mien avant mon décès.
Ces lois dont on parle tant, au bout du compte, ne sont point faites encore. Eh ! Qui peut répondre de leur bonté ? C’est la postérité, et non pas nous, en vérité, qui sera à portée de décider cette question. Imaginez, je vous prie, qu’elles doivent servir pour l’Europe et pour l’Asie : et quelle différence de climat, de gens, d’habitudes, d’idées même !
Me voilà en Asie ; j’ai voulu voir cela par mes yeux. Il y a dans cette ville vingt peuples divers, qui ne se ressemblent point du tout. Il faut pourtant leur faire un habit qui leur soit propre à tous. Ils peuvent se bien trouver des principes généraux ; mais les détails ? Et quels détails ! J’allais dire : C’est presque un monde à créer, à unir, à conserver. Je ne finirais pas, et en voilà beaucoup trop de toutes façons.
Si tout cela ne réussit pas, les lambeaux de lettres que j’ai trouvés cités dans le dernier imprimé (2) paraîtront ostentation (et que sais-je, moi !) aux impartiaux et à mes envieux. Et puis mes lettres n’ont été dictées que par l’estime, et ne sauraient être bonnes à l’impression. Il est vrai qu’il m’est bien flatteur et honorable de voir par quel sentiment tout cela a été cité chez l’auteur de la Lettre sur les panégyriques ; mais Bélisaire dit que c’est là justement le moment dangereux pour mon espèce. Bélisaire, ayant raison partout, sans doute n’aura pas tort en ceci. La traduction de ce dernier livre est finie, et va être imprimée. Pour faire l’essai de cette traduction, on l’a lue à deux personnes qui ne connaissaient point l’original. L’un s’écria : Qu’on me crève les yeux, pourvu que je sois Bélisaire, j’en serai assez récompensé ; l’autre dit : Si cela était, j’en serais envieux.
En finissant, monsieur, recevez les témoignages de ma reconnaissance pour toutes les marques d’amitié que vous me donnez ; mais, s’il est possible, préservez mon griffonnage de l’impression. Caterine. »
1 – C’est sous le nom d’un professeur en droit du canton d’Uri qu’avait paru la Lettre sur les panégyriques. (G.Avenel)
2 – L’instruction pour la réforme des lois. (G.A.)
On notera que le « savant du canton d'Uri » est V* lui-même ; sa Lettre sur les panégyriques a été publiée sous le nom d' « Irénée Aléthès, professeur en droit dans le canton suisse d'Uri ».
7 Riballier et Coger .
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