25/06/2023
je fais des vœux au ciel avec vous pour qu'il réussisse en tout, et pour que les hommes soient moins asservis à leurs préjugés, et plus dignes d'être heureux
... Voeux pour tout chef d'Etat digne de ce nom et des peuples qui ne soient pas bornés .
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« A Stanislas-Auguste Poniatowski, roi de Pologne
6 décembre 1767
Sire,
On m'apprend que Votre Majesté semble désirer que je lui écrive. Je n'ai osé prendre cette liberté ; un certain Bourdillon 1, qui professe secrètement le droit public à Bâle, prétend que vous êtes accablé d'affaires, et qu'il faut captare mollia fandi tempora 2. Je sais bien, sire, que vous avez beaucoup d'affaires mais je suis très sûr que vous n'en êtes pas accablé, et j'ai répondu au sieur Bourdillon Rex ille superior est negotiis 3.
Ce Bourdillon s'imagine que la Pologne serait beaucoup plus riche, plus peuplée, plus heureuse, si les serfs 4 étaient affranchis, s'ils avaient la liberté du corps et de l'âme, si les restes du gouvernement gothico-slavonico-romano-sarmatique étaient abolis un jour par un prince qui ne prendrait pas le titre de fils aîné de l'Église, mais celui de fils aîné de la raison. J'ai répondu au grave Bourdillon que je ne me mêlais pas d'affaires d'État, que je me bornais à admirer, à chérir les salutaires intentions de Votre Majesté, votre génie, votre humanité, et que je laissais les Grotius et les Puffendorf ennuyer leurs lecteurs par les citations des Anciens, qui n'ont pas fait le moindre bien aux Modernes. Je sais, disais-je à mon ami Bourdillon, que les Polonais seraient cent fois plus heureux si le roi était absolument le maître, et que rien n'est plus doux que de remettre ses intérêts entre les mains d'un souverain qui a justesse dans l'esprit et justice dans le cœur 5, mais je me garde bien d'aller plus loin. Vous n'ignorez pas, monsieur Bourdillon, qu'un roi est comme un tisserand continuellement occupé à reprendre les fils de sa toile qui se cassent; ou, si vous l'aimez mieux, comme Sisyphe, qui portait toujours son rocher au haut de la montagne, et qui le voyait retomber; ou enfin comme Hercule avec les têtes renaissantes de l'hydre.
M. Bourdillon me répondit : « Il finira sa toile, il fixera son rocher, il abattra les têtes de l'hydre. »
Je le souhaite, mon cher Bourdillon, et je fais des vœux au ciel avec vous pour qu'il réussisse en tout, et pour que les hommes soient moins asservis à leurs préjugés, et plus dignes d'être heureux. Je ne doute pas qu'un grand jurisconsulte comme vous ne soit en commerce de lettres avec un grand législateur. La première fois que vous l'ennuierez de votre fatras, dites-lui, je vous en prie, que
je suis avec un profond respect, avec admiration, avec dévouement,
de Sa Majesté,
le très humble, etc. »
1 C'est le nom sous lequel Voltaire avait publié l'Essai sur les Dissensions des églises de Pologne; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome26.djvu/461
2 Saisir les occasions favorables de parler, d'après Virgile, L'Enéide, IV, 293-294 :
Par les plaisirs vos moments sont comptés. / Goûtez longtemps cette douceur première; /A la raison joignez les voluptés; /Et que je puisse, à mon heure dernière, /Me croire heureux de vos félicités.
3 Ce roi là est supérieur aux affaires .
4 La copie porte chefs, ce qui manifestement est une erreur .
5 C'est la doctrine du despotisme éclairé . Mais il est cruel de la proposer à Stanislas-Auguste, monarque éclairé certes, mais qui peut d'autant moins faire table rase des traditions de son pays que celles-ci en constituent l'armature contre ses ennemis naturels, notamment la puissante Russie.
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